La sex-tape qui met KO l'opposition russe

Mikhaïl Kassianov.

Mikhaïl Kassianov.

Ruslan Shamukov / TASS
La diffusion d’une sex-tape où l’on voit l'un des leaders de l'opposition russe a entraîné un scandale qui pourrait bien coûter les élections législatives aux libéraux. Les autorités ont atteint leur objectif, remarquent les politologues.

L'opposition russe, réunie au sein d'une même coalition démocratique, est de plus en plus divisée à l'approche des élections législatives de cet automne. Après l'assassinat retentissant de Boris Nemtsov, l'un des leaders de l'opposition et ancien premier vice-premier ministre russe, à Moscou le 27 février 2015, certains s'attendaient à un redémarrage des relations entre le pouvoir et l'opposition.

Telle devait, selon certains observateurs, être l'une des conséquences inévitables de cette mort derrière laquelle l'Occident et l'opposition avaient soupçonné la main du Kremlin — faire de Nemtsov un martyr pour déstabiliser la situation était plus simple et garantissait que le pouvoir ferait plus attention.

En héritage, Boris Nemtsov a laissé à son parti libéral-démocrate PARNAS — qui dirigeait la coalition démocratique — son mandat de député régional de l'oblast de Iaroslav. Ce mandat aurait pu permettre au PARNAS de participer aux élections fédérales sans avoir à recueillir de signatures : au moment de se présenter sur la liste de ce parti pour obtenir un siège de député à la Douma (chambre basse du parlement russe), les membres de l'opposition auraient au moins eu une infime d'y entrer.

Mais aujourd'hui cette chance a disparu. Et le redémarrage des relations n'a pas eu lieu. Au lieu de ça, les chaînes de télévision fédérales diffusent des « révélations » compromettantes pour les membres de l'opposition.

Aujourd'hui s'ajoute, aux différentes histoires sur les liens entre l'opposition et les tentatives présumées de mener une «révolution orange» en Russie avec l'argent de Washington, une vidéo en caméra cachée dans laquelle on voit un leader d'opposition s'adonner à des relations intimes et, dans la foulée, raconter combien il déteste ses partenaires de la coalition.

La maîtresse de Mikhaïl Kassianov

La vidéo « La journée de Kassianov », de 32 minutes, a été diffusée le 1er avril par la chaîne russe NTV. La majeure partie des images a été tournée lors de rencontres entre l'ancien premier ministre russe Mikhaïl Kassianov, président du PARNAS, avec sa collègue Natalia Pelevina, 39 ans, dans un appartement.

Natalia Pelevina. Crédit : Mikhail Tereshenko / TASSNatalia Pelevina. Crédit : Mikhail Tereshenko / TASS

Dans leurs conversations personnelles, ils évoquent les futures élections à la Douma et ne mâchent pas leurs mots au sujet de leurs collègues. Kassianov, par ailleurs, était le seul membre de la coalition qui aurait pu diriger la liste du PARNAS aux élections sans avoir à passer par des primaires.

Avec ce film, les téléspectateurs ont notamment appris que Kassianov avait construit le parti selon les volontés de sa maîtresse, et qu'il prévoyait d'envoyer sa femme et ses enfants au Royaume-Uni, où il possède déjà cinq appartements et plusieurs maisons amassés selon le principe grâce auquel les oligarques russes s'étaient enrichis dans les années 1990 : « Acheter pour cinq kopecks et revendre pour 5 roubles ».

On apprend aussi que son principal objectif est de constituer un front contre son partenaire de coalition Alexeï Navalny (qui, en échange de ses ressources en termes de relations publiques, menace de placer un trop grand nombre de ses hommes).

Après la diffusion de cette vidéo, Natali Pelevina s'est excusée pour les propos tenus (ce qui confirme de facto l'authenticité de la vidéo) et a quitté le conseil politique du parti. « Ces images ont été tournées parce que les élections approchent. Elles visent la plateforme PARNAS qui va être utilisée lors du scrutin », résume-t-elle. « Oui, le niveau de pression que subit la coalition PARNAS et moi-même s'accentue fortement », confirme Kassianov.

Un parti en lambeaux

Certains de ses collègues attendaient une autre réaction - au minimum l’abandon de la première place sur la liste avec une formulation du genre : « Je veux réaffirmer mon droit de diriger la coalition et la relever après ce coup dur », écrit dans sa déclaration le vice-président du PARNAS Ilya Iachine.

Ce dernier a annoncé qu'il retirait sa candidature et ajouté qu'il n'était « pas le seul ». « Dans ces conditions, nous allons devoir répondre pendant toute la campagne à des questions idiotes sur qui a couché avec qui. Les possibilités de Kassianov en tête de liste sont nulles aujourd'hui ». Ce dernier a répondu que le départ de Iachine n'était pas un problème. Mais les libéraux ont un autre problème – et il ne s'agit pas du départ de leur vie-président, pense les politologues.

Dans le contexte actuel, le PARNAS n'a pas d'avenir, affirme Pavel Saline, directeur du Centre de recherches politiques de l'Université des finances du gouvernement russe. Il n'y a pas de figure capable de porter la liste du parti. Cela aurait pu être Navalny, mais en raison de ses condamnations judiciaires il est exclu du processus électoral. Pour Kassianov, cela ne change pas grand chose selon Pavel Saline : « D'un point de vue électoral il était, est et sera toujours un cadavre politique ».

Cet affaiblissement des libéraux à l'approche d'une élection avait aussi un autre objectif, pense Mikhaïl Remizov, président de l'Institut indépendant de stratégie nationale. « C'est justement un coup porté à la capacité du parti à consolider les effectifs - notamment en négociant avec Navalny ».

« On peut donc penser ce qu'on veut des méthodes utilisées pour porter ce coup, mais les autorités ont bel et bien atteint leur objectif : miser sur les divisions internes s'est révélé payant », résume Saline.

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