La classe moyenne russe prise dans l’étau de la crise économique

Sortir dans les bons restaurants comme White Rabbit, à Moscou, n'est plus abordable pour la classe moyenne russe.

Sortir dans les bons restaurants comme White Rabbit, à Moscou, n'est plus abordable pour la classe moyenne russe.

Getty Images
La classe moyenne russe, qui a connu une croissance importante au début des années 2000, porte le poids de la crise économique aux côtés des propriétaires de petites entreprises.

Ils ont créé leur fortune dans les années 1990, ont bénéficié des retombées des années 2000, caractérisées par un prix élevé du pétrole, et espéraient offrir un meilleur avenir à leurs enfants. Ils composent la classe moyenne russe, segment de la population naguère en croissance rapide à Moscou et dans d’autres grandes villes russes. Libéraux ou conservateurs, ces gens ont monté leur petite entreprise, acheté des berlines confortables de marques étrangères et sortaient dans les bons restaurants.

Aujourd’hui, cette classe moyenne, durement impactée par la crise financière mondiale de 2008, se réduit rapidement à cause de la situation économique instable, des sanctions occidentales et des politiques économiques du gouvernement russe.

« Les personnes créatives, libres, pacifiques, non-agressives et ouvertes d’esprit se sentent aujourd’hui victimes, comme un mouton à qui l’on a retiré son dernier bout de laine », a déclaré Irina Khakamada, femme politique libérale et membre du Conseil présidentiel pour les droits de l’homme, lors d’une réunion du groupe en octobre.

Nulle part où aller

C’est en effet la classe moyenne qui souffre le plus du ralentissement économique actuel. Son pouvoir d’achat s’est effondré lorsque l’équivalent de leur salaire en dollars a été divisé par deux à cause de l’effondrement du rouble. Une personne qui travaillait pour une entreprise privée et gagnait l’équivalent d’un salaire confortable de 3 000 dollars par mois avant la crise n’en gagne plus que 1 500 aujourd’hui alors que le montant de son salaire en roubles est resté le même.

Comment définit-on la classe moyenne russe ? Les sociologues disent que la classe moyenne russe doit disposer d’un revenu suffisant pour pouvoir réaliser les cinq choses suivantes : acheter une voiture de bonne qualité, par exemple, une Toyota ; partir en vacances à l’étranger ; payer les besoins éducatifs de leurs enfants ; souscrire une hypothèque pour acheter un appartement et se payer une assurance privée. 

En 2013, environ 18% de la population remplissait ces critères. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 13% à pouvoir le faire et leur nombre est en baisse, selon une récente étude du gouvernement sur la classe moyenne.

Prix élevés, peu de clients

Les petites et moyennes entreprises sont touchées par la crise économique de manière disparate. De nombreux entrepreneurs qui ont lancé leurs petites entreprises il y a quelques années sont désormais incapables de régler leurs loyers, souvent calculés encore en euros ou en dollars, ou encore de faire des bénéfices sur la revente de produits importés de l’étranger.

Le mois dernier, lors d’un entretien avec la radio Russian News Service, l’ombudsman des entreprises, Boris Titov, a indiqué que le nombre d’entreprises de taille moyenne était tombé à 13% depuis 2014.

Olga Promptova, PDG de dd-atelier.com, une société qui vend de la lingerie sur Internet, redoute que le pire ne soit à venir : « Je vois de moins en moins de possibilités de développement. Les gens ont moins d’argent, ils font des économies et font rarement des achats compulsifs », a déclaré l’entrepreneuse.

Olga Promptova, femme d’affaires énergique et élégante, a crée son entreprise en 2007 parce qu’elle avait du mal à trouver la lingerie qu’elle aimait. Elle explique que la chute du rouble a renchéri le coût des tissus importés de l’étranger de 20% à 30%, poussant le prix de ses produits à la hausse, décourageant ainsi de nombreux clients.

« Il y a deux ans, ces mêmes femmes achetaient les mêmes produits sans trop réfléchir », dit-elle.

Cependant, il y a tout de même quelques points positifs, car les coûts de production des marchandises en Russie n’ont pas augmenté. « Aujourd’hui, nous pouvons partiellement gagner, mais cela ne durera pas éternellement », a déclaré Olga Promptova. « Pour proposer aux clients les prix qu’ils veulent, nous devons acheter des matières moins onéreuses et fabriquer des produits moins chers. Mais cela suppose qu’on produise des pièces de qualité moindre et ce n’est pas ce que nous voulons faire ».

Un coup de main ?

Pour un autre entrepreneur russe, Boris Akimov, la politique de substitution aux importations du gouvernement a été un coup de pouce. Artiste et ancien rédacteur de l’édition russe de 
Rolling Stone, Boris Akimov est propriétaire de Lavka-Lavka, qui vend des aliments et de la viande issus de la production locale. « Nous avons un public fidèle et il y aura toujours des gens qui voudront acheter des produits fermiers de qualité », reconnaît l’intéressé.

Il ajoute que son chiffre d’affaires a crû de 25% depuis l’année dernière, grâce aux sanctions russes qui interdisent l’importation de la plupart des aliments frais en provenance des pays occidentaux.

Pour illustrer son succès professionnel, Boris Akimov n’hésite pas à souligner que son entreprise est en passe d’ouvrir son propre marché de produits fermiers dans un supermarché géré par IKEA près de Moscou : « Même les acheteurs de la classe moyenne pourront se permettre d’y faire leurs courses », annonce-t-il.

« Vous devez avoir les meilleurs produits sur le marché et, pour améliorer la qualité, il faut des prêts », explique Viktor Ermakov, directeur d’une organisation qui soutient les petites et moyennes entreprises. Il reconnaît que la stratégie de substitution aux importations peut aider certains types d’activités, soulignant toutefois que les entreprises ont besoin d’un soutien plus important de la part du gouvernement.

Malgré les efforts déployés par les autorités pour aider les petites et moyennes entreprises, qui peuvent emprunter à des taux abaissés à 10,5% pour réaliser des projets qui répondent à des critères spécifiques, la bureaucratie et la paperasserie sont toujours, à ses yeux, la principale source d’inquiétude.

« Même quand le président ordonne de ne pas mettre trop de pression sur les entreprises, les fonctionnaires sur le terrain font l’inverse et tuent l’entreprenariat », déplore Viktor Ermakov.

D’après lui, la moitié seulement des régions russes propose des incitations fiscales aux petites entreprises. « Les régions qui les ont introduites ont beau avoir augmenté leurs recettes fiscales, de nombreux responsables régionaux ont peur de prendre leurs responsabilités et d’introduire des mesures similaires. Je ne pense pas que ce soient des saboteurs, ce sont simplement des gens qui s’en soucient moins », explique-t-il encore.

Une nouvelle agence gouvernementale a été créée récemment pour aider les petites et moyennes entreprises. La nouvelle Société pour le développement des petites et moyennes entreprises est dirigée par un responsable pro-business énergique, Alexandre Braverman. Son objectif est d’aider les entreprises à décrocher des prêts émanant du gouvernement et de les assister dans la paperasserie qu’il faut remplir pour bénéficier des incitations mises en place par le gouvernement. Cependant, en annonçant la nomination d’Alexandre Braverman, le Premier ministre Dmitri Medvedev a souligné que tout ne dépendait pas du seul gouvernement. « L’État ne pourra jamais faire autant que les entreprises… », a déclaré le Premier ministre.

Une classe moyenne russe est unique en son genre

Alors que certains sociologues affirment que la classe moyenne existait dans la société soviétique « sans classes » et qu’elle était composée de médecins, d’ingénieurs et de professeurs d’université, d’autres pensent que ce terme n’était pas réellement applicable en Russie avant l’effondrement de l’Union soviétique. Le concept de la classe moyenne au sens occidental n’existait pas vraiment en Russie au cours la majeure partie de son existence. Durant les périodes impériale et soviétique, la remise en question des autorités et des règles, généralement opérée par les classes moyennes, revenait en Russie à l’intelligentsia, des gens instruits qui ne venaient pas des milieux aristocratiques. Ils questionnaient l’establishment politique du point de vue idéologique plutôt qu’économique. Selon cette théorie, la Russie n’a assisté à l’essor d’une classe moyenne à l’Occidentale que dans les années 2000, sous le règne de l’économie du marché.

Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.

Ce site utilise des cookies. Cliquez ici pour en savoir plus.

Accepter les cookies