ONG : l’aide scientifique est-elle suspecte ?

« La science en Russie. Attentes et réalité ». Lors d’une manifestation de soutien à la fondation Dynastie. Crédit : TASS

« La science en Russie. Attentes et réalité ». Lors d’une manifestation de soutien à la fondation Dynastie. Crédit : TASS

La campagne visant à identifier les « agents de l’étranger » parmi les ONG a connu son apogée en 2015. Cependant, certains considèrent que celle-ci est justifiée : les apports financiers dans le « tiers secteur » ont été multipliés par plus de 10 en 2 ans.

En Russie, la liste des organisations à but non lucratif classées « agents de l’étranger » continue à s’allonger. Fin mai, deux organismes d’éducation scientifique y ont été inscrits. Il s’agit de la fondation Dynastie, créée par Dmitri Zimine, plus grand mécène russe dans le domaine de la science, et de la Mission libérale du directeur de recherche de l’École des hautes études en sciences économiques, Evgueni Yassine.

Question d’image

La loi sur les « agents de l’étranger » est entrée en vigueur en juillet 2012. Sont ainsi qualifiées les ONG qui sont financées, même partiellement, de l’étranger et qui mènent des activités politiques. L’objectif officiel est d’informer les citoyens. « Quand ces ONG disent que chez nous tout va mal, tout le monde doit savoir qui se cache derrière leurs paroles », a déclaré l’auteur de la loi, le député Alexandre Sidiakine en juin 2012. Aujourd’hui, la liste comprend 68 organisations (dont la plupart sont des ONG de défense des droits de l’homme) et sur ce chiffre, 38 ont été inscrites en 2015, 13 autres fin 2014. Les ONG qui se voient attribuer ce statut doivent fournir des rapports comptables trimestriels, se soumettre à un audit indépendant une fois par an et indiquer sur tous les documents que ces derniers sont préparés par un « agent de l’étranger ».

De nombreuses ONG inscrites sur la liste contestent le statut « d’agent », cherchant à sauvegarder leur réputation. « Je n’ai évidemment pas l’intention de dépenser mon argent personnel sous la marque d’un État étranger dont je ne connais pas le nom », a déclaré Dmitri Zimine à propos de l’inscription de Dynastie sur la liste, lors d’un entretien avec Interfax. Il a précisé qu’il cessait le financement de la fondation.

La direction de la Mission libérale a pour sa part annoncé qu’elle allait se battre pour défendre son nom. « Nous sommes patriotes », affirment ses responsables qui se disent « l’agent de personne ».

Activité politique démentie

La loi sur les ONG « agents de l’étranger » ne revêt pas de caractère prohibitif, mais avec le temps, de nombreux « agents » décident de fermer, car ils perdent leur public en raison du nouveau statut discriminant, selon Maria 
Kanevskaïa, directrice du Centre Human Rights Resource

Nombre des ONG visées par le statut d’« agent » nient se livrer à des activités politiques. Une seule organisation s’est inscrite volontairement sur la liste depuis l’adoption de la loi.

« Dans les faits, n’importe quelle organisation de défense des droits de l’homme [disposant de financements de l’étranger, ndlr] peut être qualifiée d’agent de l’étranger », estime Alexandre Brod, membre du Conseil présidentiel pour le développement de la société civile et les droits de l’homme. La chose est possible, car la loi ne définit pas la notion d’« activité politique ». Dynastie et Mission libérale ont notamment été qualifiées d’ONG politiques orientées pour avoir organisé des séminaires et des conférences portant sur la situation politique actuelle, explique Maria 
Kanevskaïa, directrice du Centre Human Rights Resource.

Les défenseurs des droits de l’homme réclament depuis longtemps que la loi soit au moins révisée. Toutefois, Ekaterina Schulmann, politologue et chargée de cours à l’Institut des sciences sociales, estime que, dans sa version actuelle, la loi offre au ministère de la Justice « un in­strument puissant de répression qui le propulse au rang de structure des forces de l’ordre ». Le flou de la définition permet ainsi une application arbitraire.

Des financements importants

Cependant, le fait que, selon les statistiques du ministère russe de la Justice, les apports financiers au tiers secteur depuis l’étranger aient été multipliés par plus de 10 en deux ans (pour atteindre 1,1 milliard d’euros en 2014), constitue pour certains un argument convaincant en faveur de telles mesures. « Certains pays étrangers considèrent réellement les organisations publiques et le tiers secteur comme un instrument permettant d’exercer une influence sur la politique intérieure de la Russie », explique Constantin Kostine, président du Fonds de développement de la société civile, se référant notamment à la loi « sur la lutte contre l’agression russe » adoptée aux États-Unis. « Elle suppose l’octroi de financements à différentes ONG russes et à la contestation de la censure pour les médias et ressources en ligne interdits », explique-t-il.

La loi russe sur les agents étrangers n’a « rien de grave », estime M. Kostine : elle n’interdit rien et s’inscrit parfaitement dans la « construction de la législation russe ». « Rappelons qu’en Russie le financement des organisations politiques depuis l’étranger est interdit, comme c’est le cas dans tout pays souverain », souligne-t-il. Quant au flou à propos des « activités politiques » dans la loi, il convient de réfléchir à leur définition, juge-t-il, « pour que les organisations puissent clairement comprendre où se situe la limite ».

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