Des ONG étrangères bientôt « indésirables » en Russie

Sergueï Nikitine, directeur du bureau russe de l’organisation internationale de défense des droits de l’homme Amnesty International. Crédit :  Sergueï Bobylev / TASS

Sergueï Nikitine, directeur du bureau russe de l’organisation internationale de défense des droits de l’homme Amnesty International. Crédit : Sergueï Bobylev / TASS

Une loi sur les ONG étrangères indésirables a été adoptée en Russie. Celles qui présentent, aux yeux des autorités, une menace pour « l’ordre constitutionnel, la défense ou la sécurité » seront interdites sur le sol russe. Les experts reconnaissent que la loi pénalisera coupera à la source l’activité des organisations mal vues par le Kremlin.

La loi sur les organisations non-gouvernementales étrangères ou internationales indésirables a été adoptée en troisième et dernière lecture le 19 mai. Pour être « indésirable » en Russie, il suffit de présenter une menace à l’ordre constitutionnel, la défense ou la sécurité de l’État, ont estimé les députés.

Cela justifiera l’interdiction de travailler en Russie, d’ouvrir des filiales, de réaliser des programmes et des projets et de diffuser des informations dans la presse et sur Internet.

Par ailleurs, des poursuites pourront être engagées non seulement contre les organisations mêmes, mais également contre tous ceux qui collaborent avec elles – personnes morales, citoyens, banques et organismes financiers. Des amendes allant jusqu’à 100 000 roubles (1 800 euros) et des peines de prison pouvant aller jusqu’à 6 ans sont prévues pour les « complices ».

Nouvel outil

La Douma (chambre basse du parlement russe) a assuré à RBTH que la loi visait à « offrir un outil permettant de répondre rapidement à de nouvelles menaces », plus précisément « de prévenir toute tentative visant à déstabiliser la situation dans le pays depuis l’extérieur », a expliqué l’un des auteurs de la loi, Anton Ichtchenko, député du Parti libéral-démocrate de Russie. Des structures commerciales pourraient également être qualifiées d’« indésirables ».

Au final, « l’outil de réaction rapide » a été remis entre les mains du Procureur général de Russie et de ses adjoints. La décision sera prise en coordination avec le ministère des Affaires étrangères, tandis que la liste d’organisations « indésirables » sera tenue par le ministère de la Justice.

Désormais, la balle est dans le camp du Parquet général, souligne la Douma. « Nous ne prendrons pas la responsabilité [de choisir ceux qui seront inscrits dans le registre] », explique Ichtchenko, qui reconnaît ne pas connaître d’organisations susceptibles d’être classées indésirables à l’heure actuelle. « Et puis, il n’est pas de notre ressort de désigner les organismes qui pourraient être inscrits sur cette liste », précise le député.

« La loi est dirigée contre nous »

Toutefois, certaines organisations voient dans cette loi une menace directe et un outil de pression. « La loi est dirigée contre nous et contre d’autres organisations similaires », nous a déclaré Olga Pispanen, représentante du mouvement public Open Russia (Russie ouverte, créée par l’ancien PDG de Ioukos Mikhaïl Khodorkovski) et porte-parole de Khodorkovski.

« Nous faisons notre travail, ils peuvent inventer ce qu’ils veulent », a-t-elle ajouté, qualifiant la loi d’« idiotie absolue ».

« La loi est dirigée contre la société civile russe. C’est une suite logique de la loi sur les agents étrangers [organisations russes à but non lucratif qui mènent des activités politiques et se financent à l’étranger, ndlr] », nous a indiqué Sergueï Nikitine, directeur du bureau russe de l’organisation internationale de défense des droits de l’homme Amnesty International.

Il estime que les députés agissent avec conséquence : « D’abord, ils se sont attaqués aux organisations russes, désormais, il est temps de faire de même avec les organisations étrangères ».

Les défenseurs des droits de l’homme sont également indignés par la rédaction « négligente » de la loi. Premièrement, elle fait doublon avec les normes existantes visant à protéger l’État, explique-t-il, notamment la loi sur l’extrémisme. Deuxièmement, elle ne précise pas le mécanisme de sortie de la liste, ni celui permettant de contester les décisions du Parquet général devant les tribunaux.

Coupées des sources

Le flou juridique de la loi s’explique par le fait qu’elle a été adoptée pour assurer l’autodéfense, explique le politologue Igor Bounine. Le document ne permet pas de comprendre qui est visé par la loi, de sorte que son champ d’application est très large. L’expert n’exclut pas que cette norme « préventive » puisse frapper les organisations que « le Kremlin jugerait dangereuses ».  

Pavel Saline, directeur du Centre d'études politiques de l’Université des finances auprès du Gouvernement de la Fédération de Russie, estime que la responsabilité pénale des « collaborateurs » des organisations indésirables est un point sérieux. Il rappelle comment, en 2012, la notion de « haute trahison » a été élargie pour être appliquée à toute assistance consultative aux entités étrangères.

« Je sais que de nombreux représentants de la communauté d’experts sont désormais plus prudents dans leurs communications avec les étrangers », explique-t-il. Il n’exclut pas que les « organisations indésirables » puissent connaître le même sort. « Cette éventualité [d’être poursuivis] aura une grande influence sur le milieu dans lequel gravitent ces organisations. Elles seront coupées de nombreuses sources, aussi bien financières que médiatiques », estime Saline. 

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