Les enfants qui étudiaient uniquement en ukrainien doivent dorénavent suivre les cours en russe. Crédit : Andreï Iglov/RIA Novosti
La langue ukrainienne perd du terrain
A l’automne, de nombreux enseignants criméens ont changé de discipline : abandonnant l’ukrainien et la littérature ou l’histoire de l’Ukraine, ils se sont « reconvertis » au russe et à la littérature ou l’histoire de Russie. Ils ont passé toutes les vacances d’été à suivre des cours de recyclage. Toutefois, la situation la plus difficile est celle des enfants qui étudiaient uniquement en ukrainien et dont tous les cours sans exception étaient donnés dans cette langue, comme au Gymnase ukrainien de Simféropol où l’enseignement du russe était facultatif.
Le Gymnase ukrainien a ouvert en Crimée en 1997. Il a déménagé en 2004 dans un nouvel établissement moderne avec deux piscines, trois salles de sport, un jardin d’hiver et des chambres avec lits pour que les élèves puissent se reposer. Les changements ont commencé au lendemain de l’entrée de la Crimée dans la composition de la Russie.
En avril 2014, les réunions de parents d’élèves du Gymnase se muaient en meetings en faveur de la langue de l’enseignement. Les uns criaient qu’il est important de préserver l’identité et les traditions ukrainiennes, les autres disaient que sans le russe, les bacheliers ne pourraient pas s’inscrire à l’université. La victoire est revenue à ces derniers. Les parents ont dû exprimer par le biais d’un vote leur volonté de voir leurs enfants étudier dans une classe russe ou ukrainienne. Aujourd’hui, sur les 986 élèves de l’établissement, 143 suivent des cours en ukrainien. Dans l’ensemble de la république, 1 990 enfants sur environ 215 000 font des études dans des classes dont l’enseignement est en ukrainien.
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Environ 10% des enseignants du Gymnase ont présenté leur démission pour différentes raisons après les événements du printemps dernier, a indiqué la directrice de l’établissement, Valentina Lavrik. « Une cinquantaine d’élèves sont partis en Ukraine, mais nous avons accueilli un grand nombre d’enfants de Russie et de réfugiés du Sud-Est ukrainien », a-t-elle ajouté. Les parents estiment pour leur part que le nombre d’enfants partis est plus important. « Les élèves étaient éduqués dans l’esprit de la famille et des traditions ukrainiennes, de l’amour de la patrie et du peuple. Nous avions beaucoup d’enfants dont les parents les destinaient à des études dans les écoles supérieures d’Ukraine. Cela étant, lorsque l’établissement a commencé à enseigner en russe, de nombreux parents ont préféré en retirer leurs enfants », a raconté la mère d’un élève sous couvert de l’anonymat.
La plupart des élèves étudient toujours l’ukrainien comme langue étrangère. Ils ont cours d’ukrainien une fois par semaine et cours de littérature ukrainienne une fois toutes les deux semaines. Le français et l’allemand ne sont enseignés qu’en première et en terminale, le nouveau comité de parents d’élèves ayant décidé que les enfants devaient se concentrer sur l’étude du russe.
La question des écoles supérieures
Les conséquences de l’adhésion de la Crimée à la Russie ont également perturbé l’existence des écoles supérieures. « Les étudiants ont vécu l’année dernière un printemps émotionnellement tendu », se rappelle Vadim Khapaïev, maître de conférences à la chaire d’histoire des relations internationales de la succursale de l’Université Lomonossov de Moscou à Sébastopol, qui enseigne également à l’Université des sciences humaines de Sébastopol. Dans ce dernier établissement, « les enfants ont formé deux clans : les partisans et adversaires du « printemps russe », a-t-il dit. Parmi les adversaires, les enfants de Sébastopol étaient très peu nombreux, il s’agissait surtout des enfants du « continent » (appellation donnée à l’Ukraine en Crimée, ndlr) dont une partie s’en est allée. »
Pour ce qui est des étudiants, ils avaient des préoccupations terre à terre. « Au cours des quatre mois du premier semestre, il nous fallait oublier toute l’histoire ukrainienne. Ce n’est pas très facile de parler à un examen d’Ivan le Terrible lorsqu’à l’école on a étudié Bogdan Khmelnitski », déplore l’étudiant Maxime.
Le changement de pouvoir a été marqué de pertes, dont les plus lourdes ont été subies par l’Université nationale de l‘industrie nucléaire et de l’énergie de Sébastopol. Fin mars 2014, certains étudiants ont chanté l’hymne ukrainien lors de la descente des couleurs et ont quitté les lieux quand a été hissé le drapeau russe. Selon Vladimir Kiriyatchenko, recteur par intérim de l’établissement, plus de la moitié des étudiants sont partis après l’entrée de la Crimée dans le sein de la Russie. « Les jeunes des première, deuxième et troisième années d’études ont été très nombreux à jeter l’éponge. Il ne restait pratiquement plus que ceux de quatrième et dernière années. Tous les Ukrainiens ont reçu la consigne de rentrer sur le « continent » et de s’inscrire dans d’autres établissements, vu que les diplômes russes ne seraient pas reconnus », a poursuivi Vadim Khapaïev. En outre, il a fallu limoger 280 membres du personnel.
Le deuxième établissement de la presqu’île, l’Université Vernadski de Crimée (KFU), avait été mise en place à Simféropol sur la base de sept écoles supérieures, notamment de l’Université nationale de Tauride. Elle a perdu tous ses étudiants étrangers après l’entrée de la Crimée au sein de la Russie. Redoutant que leur diplôme ne soit pas reconnu à l’étranger, les jeunes « sont partis ou bien se sont réinscrits à la fac de Lvov ou d’Ivano-Frankovsk », a expliqué le recteur de la KFU, Sergueï Donitch. Pour l’instant, il s’agit de 450 étudiants sur les 2 500 que compte l’établissement, a-t-il fait remarquer.
La validité des diplômes remise en question
« La fusion des écoles supérieures ne s’est pas trop répercutée sur l’inscription des étudiants. Aujourd’hui, ceux qui le peuvent tenteront de quitter la presqu’île parce que la validité des diplômes est remise en question », a raconté un étudiant d’une université de Sébastopol. « Quel débouché nous donnera un diplôme russe ? Personne ne peut le dire actuellement. Si l’on a l’intention de vivre en Russie ou de rester en Crimée, il n’y a rien à craindre. Mais si l’on souhaite partir travailler en Europe, on risque de se heurter à la même situation qu’avec les passeports criméens : notre diplôme ne sera pas reconnu », a expliqué une étudiante de l’Université nationale de Tauride.
Mais le problème de la non-validité d’un diplôme en Europe préoccupe moins les étudiants que celui de la non-validité de ce diplôme en Ukraine. « Cette année, l’établissement a délivré des diplômes russes et ce n’est pas notre faute si l’Ukraine ne les reconnaît pas. Mes étudiantes venues des régions méridionales de l’Ukraine ont fondu en larmes parce qu’elles ne savaient pas ce qu’elles ont reçu. Cinq ans d’études pour un diplôme qui n’est pas reconnu ! Mais je pense que tout s’arrangera avec le temps », a dit Sergueï Kisseliov, maître de conférences de la faculté de géologie de la KFU.
Refus poli
Les écoles supérieures et les établissements scientifiques de Crimée ne peuvent pas publier d’articles dans des revues scientifiques occidentales. D’après Sergueï Donitch, son université se heurte à « un refus poli ». « Nous avons cependant des accords avec d’autres écoles supérieures russes – je ne vais pas les citer ici – par le biais desquelles nous pouvons le faire », a-t-il ajouté.
Les allocations accordées par les pays occidentaux ne sont plus débloquées, les programmes européens de coopération ne sont plus réalisés. Selon Galina Bogdanovitch, doyenne de la faculté de philologie slave et de journalisme de la KFU, sa faculté, qui faisait part de l’Université de Tauride, a été dotée il y a huit ans de matériel pour former des journalistes radio et télé grâce à une prestation accordée dans le cadre d’un projet supervisé par la BBC. En 2012, la faculté a touché une allocation de l’Union européenne. Outre des stages à l’étranger pour les meilleurs étudiants et enseignants, cet argent devait permettre de moderniser les équipements en 2014. « Le projet devait prendre fin en 2015, mais nous en avons été exclus, a-t-elle indiqué. Toutes les écoles supérieures restées dans le projet ont eu du très bon matériel, alors que le nôtre est arrivé en Ukraine, à Ivano-Frankovsk, et y est resté. C’était en mars 2014. »
« L’Université de Tauride entretenait de bons contacts avec l’Europe, en l’occurrence notre faculté de philosophie coopérait avec l’Italie, a dit une étudiante. Nos camarades faisaient des stages à Rome dans le cadre de programmes d’échanges. Nous avions établi de larges relations avec les universités européennes, mais aujourd’hui et il n’en reste rien. »
Vladimir Kiriyatchenko souligne que son Université nationale de l’industrie nucléaire et de l’énergie de Sébastopol entretenait des rapports étroits avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). « Quatre laboratoires ont été mis sur pied à ses frais. Nous coopérions avec la Chine, le Japon et la Corée du Sud. Aujourd’hui, tout est suspendu suite aux sanctions. Si même les entreprises russes nous regardent avec une certaine préoccupation, que dire des structures européennes ? Si une société russe coopère déjà avec l’Europe, alors de fait, elle ne travaillera pas avec Sébastopol ou la Crimée. »
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