« Les héros ne meurent jamais » : marche en mémoire de Boris Nemtsov à Moscou

Crédit : AP

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Selon différentes estimations, entre 16 500 et 70 000 personnes se sont réunies dimanche dernier dans le centre de Moscou pour une marche en mémoire de l’opposant Boris Nemtsov. De nombreux participants considèrent l’assassinat comme une tragédie personnelle. De leur côté, les politologues estiment qu’il sera encore plus difficile de consolider l’opposition sans Nemtsov.

Dimanche 1er mars, une marche funèbre s’est déroulée dans le centre de Moscou à la mémoire de Boris Nemtsov, ancien vice-premier ministre russe et leader de l’opposition, assassiné dans la nuit du 27 au 28 février.

La tragédie a bouleversé les plans de l’opposition, qui a été contrainte d’annuler la marche anti-crise « Vesna » (Printemps) annoncée pour le même jour à Marino (à la périphérie de la ville) et d’établir un nouvel itinéraire dans le centre-ville avec l’accord des autorités moscovites. Selon les estimations du ministère de l’Intérieur, la marche a réuni 21 000 personnes, les organisateurs annoncent 70 000 personnes au minimum.

« Ma tragédie »

Avant le début de la marche, une longue file d’attente s’est formée devant le fleuriste situé près de la place Smolenskaïa. La place est parsemée d’une multitude de détecteurs de métaux, les gens sont fouillés minutieusement. En revanche, les policiers sont à peine visibles le long de l’itinéraire de la marche.

Il ne s’agissait pas d’une manifestation politique. Les participants avançaient lentement dans un silence absolu portant des drapeaux russes ornés de rubans de deuil et des banderoles « Il est mort pour l’avenir de la Russie », « Ils te craignaient, Boris », « La propagande tue » et « Je n’ai pas peur ».

« Cette mort est pour moi insupportable , raconte Evguenia Ipatova, retraitée. La Russie perd l’un de ses meilleurs fils. C’était un grand scientifique (Nemtsov avait publié plus de 60 articles scientifiques en physique), mais il a décidé de se consacrer à son peuple. Hélas, le peuple ne l’a pas compris ».

« Je veux vivre dans un pays libre. Je ne veux pas qu’on nous tire dessus, qu’on nous tue avec des bombes. Je veux parler librement de ce que j’aime et ce que je n’aime pas. La tragédie de Nemtsov est ma tragédie », raconte Viktor Artamonov, collaborateur de Boris Nemtsov depuis 1992.

Les hypothèses

 Deux hypothèses dominent au sein des participants à la marche quant au meurtrier de Nemtsov : un représentant du pouvoir ou une troisième force cherchant à diviser le pays. Les partisans de la première hypothèse sont bien plus nombreux. Tous s’accordent à dire que le meurtre était commandité.

« Boris Nemtsov était indésirable pour le pouvoir. Il déstabilisait la situation en encourageant l’activisme citoyen. Il révélait des schémas de corruption, préparait un rapport sur l’implication des dirigeants russes dans le conflit ukrainien. Ce ne sont clairement pas des marginaux qui ont commis ce meurtre », estime l’entrepreneure Lioudmila Koch.

« Au sein de nos forces de l’ordre, quelqu’un n’a pas apprécié que Poutine ait décidé de freiner légèrement sur la question ukrainienne. Ce meurtre vise à empêcher la poursuite du règlement de ce conflit », explique Vitali Gorski, âgé de 56 ans.

« Je suis persuadé que c’est un grand problème pour Poutine. Cet assassinat, près des murs du Kremlin, est extrêmement audacieux. Cela montre que quelqu’un cherche à instrumentaliser sans vergogne la situation », confirme Viktor Artamonov.

Une mort fédératrice ?

 Soudain, des cris solitaires résonnent dans la foule : « La Russie sans Poutine ! ». Des voix répondent : « Arrêtez de crier, c’est de la provocation ! ». Les auteurs de l’esclandre  se trouvent dans les premiers rangs du cortège, là où se trouvent les activistes de l’opposition conduits par Mikhaïl Kassianov.

Ensuite, une minute de silence est observée, puis le premier cortège traverse le pont pour atteindre la fin de l’itinéraire. Les opposants peuvent désormais avancer plus librement.

Ilya Iachine, ami proche et collaborateur de Nemtsov, expose pour les journalistes la réaction de l’opposition à cet assassinat. « Pour la société russe et l’opposition, la mort de Nemtsov est un événement de taille, une sorte de point de non-retour. <…> J’aimerais croire que les démocrates s’uniront, que cette mort ressemblera les leaders de l’opposition qui auparavant ne se parlaient même pas », a-t-il déclaré.

Conflits internes

 Les politologues interrogés par RBTH sont toutefois sceptiques quant aux perspectives de consolidation de l’opposition. Alexandre Pojalov, directeur adjoint de l’Institut de recherches socio-économiques et politiques, proche du Kremlin, estime que Nemtsov « lissait les conflits intérieurs au sein du mouvement de protestation hétérogène et élaborait la stratégie de l’opposition ».

Le politologue rappelle que c’est Nemtsov qui, fin 2014, avait appelé l’opposition à se ressembler au sein d’une coalition « Pour le choix européen ». « Il est évident que désormais, le rôle d’Alexeï Navalny et de ses proches collaborateurs au sein du mouvement d’opposition se renforcera. Ils chercheront à étendre leur mainmise, ce qui pourrait conduire à de nouveaux conflits internes dans l’opposition », ajoute Pojalov.

« Notre opposition ne peut se consolider qu’autour d’événements tragiques », estime Konstantin Kalatchev, dirigeant de l’organisme indépendant, Groupe d’experts politiques. « C’est une question importante : autour de qui et de quoi se consolider ». Il estime qu’en matière d’organisation et de leadership moral, l’opposition est assez faible.

« Dans ce cas, il ne faut pas s’attendre à ce que le bébé naisse un mois après la conception. Une nouvelle opposition pourrait émerger en Russie, mais uniquement si une crise économique majeure éclate dans le pays. Et ce sera une opposition qui bâtira son programme principalement autour d’un agenda socio-économique », conclut Kalatchev. 

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