En Tchétchénie, les défenseurs des droits de l’Homme dans la tourmente

Ramzan Kadyrov s’est dit indigné par ces meurtres et s’est engagé à faire tout son possible pour amener les coupables à répondre de leurs actes devant la justice. Crédit : Reuters

Ramzan Kadyrov s’est dit indigné par ces meurtres et s’est engagé à faire tout son possible pour amener les coupables à répondre de leurs actes devant la justice. Crédit : Reuters

La Tchétchénie continue de subir les conséquences de l’attentat du 4 décembre 2014 à Grozny. Un conflit a éclaté entre le dirigeant de la république Ramzan Kadyrov et le chef de l’ONG « Comité contre la torture » Igor Kalyanine, autour de la question de savoir si les familles des terroristes devaient être punies pour les crimes de leurs proches. Ceci a intensifié la pression sur les défenseurs des droits de l’homme actifs sur le territoire de la république.

« Si un combattant tchétchène commet un homicide, sa famille sera immédiatement expulsée du territoire de Tchétchénie sans droit de retour et sa maison démolie jusqu’aux fondations », a déclaré sur son blog le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov au lendemain des affrontements entre les forces de l’ordre et les combattants qui ont causé la mort de quatorze policiers le 4 décembre.

Les propos du chef de cette république du Caucase du nord coïncidant généralement avec la position officielle des autorités russes, cette déclaration a été prise au sérieux. Le défenseur des droits de l’homme et président du « Comité contre la torture » (CCT) Igor Kalyanine, qui milite contre l’arbitraire policier sur tout le territoire de la fédération, y compris en Tchétchénie, a adressé au Comité d’instruction et au Parquet une plainte dans laquelle il démontre la non-conformité de cette déclaration avec la Constitution et le Code pénal russe. En outre, il demande d’examiner la présence d’éléments constitutifs d’une infraction pénale dans les propos de Kadyrov. Les autorités judiciaires ont statué que ces propos n’étaient pas pénalement répréhensibles.

La réaction du dirigeant tchétchène était prévisible : il a accusé indirectement Kalyanine de soutenir les terroristes, et souligné que toutes les actions des autorités tchétchènes visaient à protéger les honnêtes citoyens. Une manifestation « contre le terrorisme et ses complices » s’est tenue le 12 décembre à Grozny, au cours de laquelle les défenseurs des droits de l’homme ont été accusés de ne jamais parler des victimes des attentats et de se soucier toujours des proches des combattants, créant de la sorte une ambiance propice aux attentats. Le bureau tchétchène du CCT a brûlé le soir même, la cause de l’incendie n’a pas été établie.

Situation actuelle

Igor Kalyanine lui-même a raconté dans une interview accordée au site Meduza que le « Comité contre la torture » poursuit son activité en Tchétchénie malgré la dégradation de la situation (même si le nouveau bureau local de l’organisation sera probablement situé sur le territoire d’un autre sujet de la Fédération). Le défenseur des droits de l’homme considère que la répression promise aux proches des combattants ne fera qu’aggraver la soif de vengeance de certains.

Dans le même temps, des domiciles de familles de combattants ont été incendiés en Tchétchénie. L’organisation de défense des droits de l’homme Mémorial rapporte sept incendies criminels provoqués par des hommes armés et masqués. Les familles dont les domiciles ont été incendiés ont généralement pris la fuite, et l'on ignore où elles se trouvent.

Les partisans de cette politique - dont le député de la Douma russe d'origine tchétchène Khodja Mahomed Vakhaïev - se réfèrent à l’expérience d’Israël, où les démolitions de  domiciles d’auteurs présumés d’attentats ont repris cette année. Le président de l’institut du Moyen-Orient et spécialiste d’Israël Evgueny Satanovsky juge efficace cette méthode de lutte contre le terrorisme. « Selon les statistiques, les années pendant lesquelles Israël a recouru à ces mesures sévères, l’activité terroriste a diminué, tandis qu’elle est remontée pendant les années où Israël s’abstenait de cette pratique. Ceci est lié au fait qu’au Moyen-Orient comme dans le Caucase, l’homme existe toujours comme membre d’une famille. Or, si la famille sait qu’elle souffrira des actes d’un de ses membres, elle peut exercer la pression nécessaire afin d’éviter des attentats », a expliqué Satanovsky à RTBH.

La Tchétchénie et les droits de l’Homme

Le travail des défenseurs de droits de l’homme en Tchétchénie a toujours été difficile voire dangereux. La collaboratrice de l’organisation Mémorial Natalia Estemirova, qui avait dénoncé l’arbitraire des forces de police dans la région, a été tuée en 2009 à Grozny. L’assassinat d’Estemirova reste non élucidé. La même année, la militante des droits de l’homme Zarema Sadoulaïeva et son mari ont été assassinés, ils travaillaient pour l’ONG « Sauvons cette génération ». Ramzan Kadyrov s’est dit indigné par ces meurtres et s’est engagé à faire tout son possible pour amener les coupables à répondre de leurs actes devant la justice. Depuis, les défenseurs des droits de l’homme n’avaient pas subi d’atteintes à leur personne ou à leurs biens jusqu’à cette semaine. Au cours d’un entretien avec RBTH, le directeur de Mémorial Alexandre Tcherssakov a indiqué que « la situation en Tchétchénie s’est manifestement dégradée ».

« Cela fait quinze ans que le Caucase du nord fait l’objet d’une opération anti-terroriste, raconte Tcherkassov. La politique pratiquée en Tchétchénie est plus dure qu’ailleurs : l’Ingouchie voisine, par exemple, était une des zones les plus conflictuelles au moment de l’arrivée au pouvoir de Younouss-Beka Yevkourov il y a six ans (en 2008 – RBTH). Comme nous le voyons, en six ans, Yevkourov a réussi à stabiliser plus ou moins la situation, et ce en employant des méthodes « douces » : il a réduit l’influence des organisations clandestines en légalisant les communautés salafistes et en donnant aux combattants repentis qui n’ont pas commis de crimes graves une chance de revenir dans la société ». Ramzan Kadyrov, à la différence de son homologue ingouche, mène une politique de « tolérance zéro ». Une telle politique, selon Tcherkassov, « a de l’effet sans être efficace. Lorsque les forces de l’ordre démolissent les domiciles des familles de ceux qui sont ‘partis dans la forêt’, alors même qu’ils n’ont pas commis de crimes aggravés, elles ne font que grossir les rangs des opposants au régime ».  

 

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