Source : wikipedia.org
Milliardaire et prophète
À la fin du XIXème siècle, alors que la mitrailleuse, l’avion, la radio et le moteur à essence venaient à peine de passer le stade des expériences, et que les armées n’avaient pas encore tout à fait mis de côté les tactiques de l’époque de Napoléon, le groupe d’experts de Bloch prédisait déjà les guerres du XXe siècle.
Cette « prophétie » prévoyait presque tout, à l’exception peut-être de la bombe atomique : fusils automatiques en alliages de nouveaux métaux, lunettes de tir, dispositifs de vision de nuit, gilets pare-balles, armées composées de millions d’hommes combattant dans des travées barbelées s'étendant sur des milliers de kilomètres.
Même si le mot « tank » n’existait pas encore, les prévisions parlaient d’automobiles équipées de « supports de tirs blindés et invincibles face aux balles, fragments et grenades légères ».
Presque dix ans avant le vol du premier avion au monde des frères Wright, le groupe d’experts indiquait déjà : « Celui qui maîtrisera les airs prendra le dessus sur l’ennemi, le battra en détruisant ses ponts et routes, brûlera ses entrepôts, engloutira sa flotte, deviendra un orage de terreur pour ses capitales, fera tomber ses gouvernements, apportera le désarroi dans ses armées, détruira ses derniers campements durant le combat et forcera son retrait ».
L’ouvrage conclut en faisant une claire allusion au fait que durant cette nouvelle guerre mondiale sans précédent, l’« ordre culturel » existant sera nettoyé et remplacé par de « nouvelles théories de bouleversementssociaux » : les révolutions.
Six tomes de prédictions
Bloch a collaboré avec des économistes, des statisticiens, des ingénieurs et, plus important, des militaires des quartiers généraux des pays européens, avant tout de Russie et d’Allemagne. Des prédictions précises sur la première Guerre mondiale ont ainsi été recueillies en six tomes.
La première édition intitulée La Guerre de l’avenir et ses implications techniques, économiques et politiques est sortie en 1898, en russe à Saint-Pétersbourg et en allemand à Berlin. Le livre a plus tard été publié en anglais, en français et en polonais.
À l’époque où les généraux de tous les pays pensaient encore aux charges à la baïonnette, Bloch parlait de son côté d’infanteries entières munies d’armes automatiques. Et bien que les armées des grands États possédaient une puissante cavalerie sur laquelle les généraux plaçaient beaucoup d’espoirs, Bloch savait qu’elle ne conserverait que des fonctions de reconnaissance, les attaques à cheval appartenant à l’histoire ancienne.
Il présageait donc de nouvelles méthodes de renseignement comme « les télégraphes et téléphones de l’armée, les dispositifs de vision diurne et nocturne pour la signalisation et l’éclairage des champs de bataille, les appareils photographiques afin de visualiser les emplacements à distance ou les moyens d’observation aérienne des déplacements de troupes ».
Le travail de Bloch prédisait aussi l’apparition d’une « sorte de navire se déplaçant dans le airs », ce qui n’existait pas encore en 1898. Les termes « appareil volant » et « aéroplane » sont même utilisés dans l’ouvrage.
Ce dernier contient, il est vrai, une description fantaisiste d’un « véhicule nageant dans le ciel et détruisant des armées entières, un appareil étrange ressemblant à une soucoupe volante avec un mât, volant autour de montgolfières et tirant sur les troupes adverses grâce à l’artillerie ».
Selon le livre, des armées de millions d’hommes s’étendraient sur le front jusqu’à mille verstes (1 verste = 1 066,8 mètres). Tout attaque « se finira immanquablement par des pertes horribles », poursuit Bloch. « Les avancées pour prendre les positions ennemies dans cette guerre seront avant tout difficiles et sanglantes, à tel point qu’aucun des camps ne souhaitera célébrer ses victoires ».
Dans ce conflit à venir, les armées devront « être capables de résister à un hiver entier, voire deux », expliquait Bloch. Il sentait donc que les hostilités dureraient plusieurs années. À l’époque, même les généraux les plusexpérimentés du quartier général allemand s’attendaient à se battre moins de six mois.
Le troisième tome est consacré à la guerre en mer : « Des bateaux sous-marins devraient bientôt faire leur apparition… ». D’après Bloch, les énormes cuirassés et navires seraient sans défense face aux escadrons sous-marins, et « des navires entiers pourraient être détruits ».
Il écrivait ainsi : « Les conclusions que nous tirons démontrent qu’en cas de guerre longue, seule l’Angleterre pourrait conserver sa domination sur la mer. Cela dit, l’arrêt des transports maritimes lui causerait des dégâts considérables… ». La guerre de 14-18 a confirmé ses propos.
Le déroulement général de la guerre est décrit avec précision : « En Angleterre, en Italie, en Autriche, en Russie, en Allemagne et en France, la situation sera si compliquée que ces pays seront obligés de signer la paix avant que les objectifs envisagés par chacun ne soient atteints… Suite à l’appel sous les drapeaux de presque toute la population masculine adulte, mais aussi à cause de l’arrêt des communications maritimes, la paralysie de l’industrie et du commerce, la hausse des prix de tous les produits de première nécessité et une généralisation de la panique, les revenus de la population et les emprunts nationaux chuteront, favorisant ainsi les doutes : tous les États auront-ils, durant la période indiquée par les spécialistes militaires, les moyens d’entretenir des armées composées de millions d’hommes et de satisfaire les exigences budgétaires tout en assurant la subsistance des citoyens sans revenus ? ».
Pas prophète en son pays
Le livre n’a hélas pas bénéficié d’une reconnaissance mondiale. Bloch était perçu comme un milliardaire excentrique. L’auteur de La Guerre de l’avenir... espérait que les dirigeants qui liraient son livre comprendraient l’absurdité et les conséquences désastreuses d’un conflit armé mondial. Les hommes politiques n’ont cependant pas tenu compte de ses mises en garde.
Bloch a néanmoins participé à la première conférence de paix de La Haye en 1899. Bien qu’il ne fît pas partie d’une délégation officielle, la conférence rassemblant 26 États a pour la première fois au monde adopté les restrictions militaires prédites par Bloch.
Ont ainsi été interdits (seulement pour cinq ans dans les faits) : « Le jet d’obus et d’explosifs à partir de montgolfières et à l’aide d’autres nouveaux moyens similaires, ainsi que l’utilisation de projectiles et engins explosifs ayant pour seul objectif de disperser des gaz asphyxiants ou nocifs ». Inutile de dire que personne ne respectera ces restrictions durant la Grande Guerre.
En 1901, Bloch a été nominé au Prix Nobel de la Paix, qui venait de voir le jour, mais ne l’a pas remporté. Le prix est finalement revenu au Suisse Henri Dunant, fondateur de la Croix-Rouge internationale.
Il a tout de même réussi à mettre en place un musée international de la Guerre et de la Paix à Lucerne, en Suisse. Ironie du sort, les visiteurs venaient plus souvent pour voir la partie sur la guerre, où Bloch exposait une grande collection d’équipements et d’armes, que celle dédiée au pacifisme. Le musée a ouvert ses portes après la mort du prophète de la guerre, en janvier 1902.
Article disponible en intégralité et en russe sur www.rusplt.ru
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