Famille ou carrière ? Les Russes choisissent leurs priorités

Selon la législation russe, la durée maximale du congé maternité est de trois ans ; durant toute la priode, la jeune mère garde son poste et l'employeur est donc obligé de la réintégrer au sein de son équipe après son retour. Crédit : Shitterstock

Selon la législation russe, la durée maximale du congé maternité est de trois ans ; durant toute la priode, la jeune mère garde son poste et l'employeur est donc obligé de la réintégrer au sein de son équipe après son retour. Crédit : Shitterstock

Le système soviétique bien établi « école-université-emploi-mariage-enfants » fonctionnait parfaitement à l'époque de l'URSS et les jeunes gens savaient bien ce qu'ils devaient faire dans la vie. Mais l'URSS n'existe plus, la vie continue, et les règles évoluent.

Quand doit-on fonder une famille ?

« Nous avons toujours considéré que la femme devait donner naissance aux enfants avant l'âge de 25 ans », dit Militina Dolina, obstétricienne avec 52 ans d'expérience, aujourd’hui retraitée. « Une fois cet âge passé, on parlait déjà d'une grossesse tardive ». Il n'est donc pas surprenant que l'âge du premier mariage était de 22 ans durant les années 1970 et 1980, et se chiffrait en 1990 à 21,9 ans (données de l'Institut de démographie de l'École des hautes études en sciences économiques de Moscou).

Toutefois, l'économie planifiée a été abandonnée par la Russie en faveur du marché libre, et les priorités des gens ont évolué. D'après un sondage mené par le site d'offres d'emplois russe Superjob auprès de la population active âgée de 18 ans et plus, un tiers des citoyens russes estiment qu'il est impossible d'élever des enfants et de faire en même temps une bonne carrière. Les jeunes de moins de 24 ans croient en outre qu'il faut premièrement réussir dans la vie professionnelle et puis fonder une famille.

« Je suis contre les mariages hâtifs », dit Ekaterina, directrice de ventes de 25 ans. « L’homme et la femme doivent tous les deux trouver leur vocation, ils doivent être prêts. Les mariages hâtifs sont fragiles. Bien évidemment, essayer d'être nommé à la tête d'une banque avant de passer l’âge de 35 ans et puis penser aux bébés, ce n’est pas bien non plus. Il faut s’épanouir avant l’âge de 27 ou 28 ans, et puis fonder une famille ».

C’est une opinion de plus en plus répandue chez les jeunes citadins instruits qui voyagent beaucoup. Toutefois, la plupart des Russes se prononcent toujours en faveur des mariages hâtifs.

« J’ai 27 ans, et j’ai trois enfants », dit Anna, ménagère. « Deux filles de sept ans et de trois ans et demi et un fils de trois mois. Quand j’avais 19 ans, mon mari et moi, nous avons emménagé ensemble, et j’ai compris que je voulais avoir un bébé. J'ai donné naissance à ma fille aînée à 20 ans. Je passe tout le temps avec mes enfants et je suis heureuse que cela soit possible. Leur enfance passe vite, et l’emploi, il ne va pas disparaître ».

En Russie, l’âge nubile est de 18 ans pour les hommes et les femmes. Mais dans certaines régions du pays, la nubilité est effectivement fixée à 14 ans – les administrations peuvent autoriser de tels mariages dans certains cas. Bien que le nombre de mariages précoces reste très bas, l’on se marie toujours très tôt en Russie, l’âge moyen du premier mariage étant de 22 ans pour les femmes et de 24 ans pour les hommes (d’après les estimations du centre analytique Levada pour 2012). À titre de comparaison, selon les données de l’Institut de démographie de l’EHESE, les Américains célèbrent en moyenne cette union à 26,1 ans, les Japonais à 28,8 ans et les Allemands à 30,2 ans.         

Quand doit-on poursuivre la carrière ?

Grâce à la politique d'encouragement de la natalité qui est devenue en Russie une cause nationale au cours de ces dernières années, les dispositions du congé maternité sont ici parmi les plus favorables. Selon la législation russe, la durée maximale du congé maternité est de trois ans; durant toute la priode, la jeune mère garde son poste et l'employeur est donc obligé de la réintégrer au sein de son équipe après son retour. Cela étant dit, ces normes n'aident pas vraiment les familles dont le budget dépend largement du salaire de la femme : durant les premiers 18 mois, la mère reçoit un montant égal à un salaire moyen pour son poste, net d'impôts, qui est généralement inférieur à ses revenus réels; et à l'issue de ces 18 mois, la société ne la paie rien.

« Je resterais avec un grand plaisir avec mon enfant », dit Olessia, 26 ans, employée d'une ambassade. « Mais mon mari et moi, nous nous sommes séparés, et il ne m'aidait pas, donc j'étais obligée de trouver un emploi. Les prestations sociales ne dépassaient même pas 930 euros, ce qui n'est pas du tout suffisant pour vivre dans une grande ville. D'abord, je laissais ma fille avec ma mère, puis j'ai embauché une baby-sitter, et maintenant elle a presque deux ans et elle va à l'école maternelle ».

Bien évidemment, l'argent n'est pas un problème pour les familles biparentales si l'homme touche un salaire qui permet de soutenir entièrement la famille. Mais il y a une autre raison qui incite les femmes à faire la carrière : l'épanouissement personnel.

La concurrence dure et le rythme rapide de la vie moderne ne permettent pas tout simplement de quitter la vie sociale pour trois années, estime Anastassia, conceptrice d'une magazine de mode de 27 ans. À 23 ans, Anastassia a donné naissance à une fille, et juste deux semaines plus tard, elle est allée travailler, laissant l'enfant avec une baby-sitter. « Vous perdez vos compétences et vos connaissances. Il sera impossible de reprendre votre carrière après une longue interruption, et puis, votre enfant vous accusera de ne pouvoir lui acheter ce qu'ont ses amis ».

Soit l’argent, soit le bébé, est-ce la question ?

La socialisation et le développement professionnel figurent parmi les raisons pour lesquelles les jeunes Russes optent le plus souvent pour la carrière. Les résultats du même sondage du portail Superjob, avant l'âge de 24 ans, la plupart des jeunes interrogés (42%) rêvent de faire une brillante carrière, les enfants n'étant perçus que comme une entrave. Entre 25 et 34 ans, le pourcentage des gens pensant ainsi baisse : 35% considèrent qu'il faut bâtir la carrière avant la naissance de  l'enfant. A l'âge de 35-44 ans, uniquement 27% des sondés répondent ainsi et une fois passée la barre de 45 ans, uniquement 26 % placent le travail en tête.

D’après Elena Balachova, de la faculté de psychologie de l’Université d’État de Moscou, il est vrai que de nos jours les gens préfèrent faire une carrière. « Actuellement, les gens regardent leur carrière d’une façon très différente, si bien qu’ils ont beaucoup plus de possibilités d’épanouissement professionnel par rapport à la situation d’il y a 30 ou 40 ans. Ils peuvent maintenant gagner beaucoup d’argent, travailler à l’étranger, voyager. Et si auparavant, c’était plutôt les hommes qui voulaient réussir dans leur métier, maintenant, on voit l’essor des femmes qui veulent travailler », dit l’expert.

Néanmoins, la chose la plus essentielle pour les parents, c’est d’assurer des liens affectifs et stables avec leurs enfants, estime Ekaterina. « Il est souhaitable de dédier 2 ou 3 ans à l’enfant, car vous ne pourrez pas rattraper cette période précieuse. Bien évidemment, il est possible de laisser parfois l’enfant avec ses grands-parents, mais les enfants doivent passer la plupart de temps avec leurs parents ».

Selon Militina Dolina, les médecins russes sont persuadés que l’allaitement maternel présente de nombreux avantages, stimulant notamment l’immunité du bébé. C’est une autre raison pour laquelle beaucoup de mères russes ne veulent pas laisser leurs enfants avec des baby-sitters ou leurs grand-mères. « Ma fille aînée, je l’ai allaitée jusqu’à l’âge d’un an et sept mois, la cadette, jusqu’à un an et quatre mois. Pour moi, c’est un principe, car plus on allaite, mieux il est pour la santé de l’enfant », dit Anna.

Pour passer plus de temps avec leurs bébés, de nombreuses jeunes mères trouvent des solutions alternatives pour l’emploi. Elles travaillent à domicile ou en indépendantes, certaines ouvrent même des petites entreprises; parfois les parents trouvent un travail posté et restent avec l’enfant à tour de rôle. Certains couples choisissent même de louer une chambre dans leur appartement pour que la jeune mère puisse rester à la maison et ne pas éprouver un besoin.

Toutefois, le marché dicte sa loi. À Moscou et dans d’autres grandes villes russes, une famille de trois personnes doit toucher un revenu mensuel d’au moins 1.396 euros s’ils possèdent leur propre logement et d’au moins 2.326 euros s’ils le louent. Et il ne s'agit que du strict nécessaire permettant d'assurer des conditions de vie très simples. Cela ne suffit ni pour voyager à l’étranger au moins une fois par an, ni pour inscrire son enfant à des cours de danse, ni pour payer un professeur d’anglais. En outre, de nombreux Russes doivent également prendre soins de leurs parents âgés. En raison de tous ces facteurs, les jeunes gens essaient le plus souvent de gagner autant d’argent que possible avant la naissance du premier enfant et les mères reprennent le travail juste quelques mois après qu’il voit le jour.

D’après Elena Balachova, il est impossible actuellement de prédire si cette tendance de s'adonner à l'emploi  sera durable. Il est donc probable que d’ici quelques années, les gens préféreront de s’occuper plutôt de leurs familles.

 

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