Compte tenu de l'hostilité croissante vis-à-vis des minorités sexuelles, éveillée par le gouvernement russe, il est beaucoup plus difficile et dangereux d'organiser de tels événements. Crédit photo : ITAR-TASS
Depuis la nuit des temps, l'homosexualité est un thème récurrent en prose et en poésie. En Grèce ancienne comme en Chine, les relations homosexuelles ont traditionnellement existé à côté des relations hétérosexuelles, ce qui était reflété dans la littérature, par exemple, chez les Grecs, Socrate et Sappho, ou dans La Fleur en fiole d'or, un roman chinois classique du XVIIe siècle.
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Au XIXe siècle, la société russe est également tolérante vis-à-vis des couples de même sexe. Sergueï Ouvarov, ami de Goethe et d'Alexandre von Humboldt, ministre de l'Instruction publique, ne cachait pas ses relations amoureuses avec de jeunes hommes, tout comme Filipp Vigel, ami d'Alexandre Pouchkine et écrivain prolifique.
La situation changea au début du XXe siècle lorsque l'opinion publique se tourna contre les homosexuels. Le poète et grand-duc Constantin Romanov, le célèbre entrepreneur Serge de Diaghilev et le poète remarquable Mikhaïl Kouzmine devaient cacher leur nature par peur de discrimination publique.
Mikhaïl Kouzmine fut l'un des premiers auteurs russes à ouvertement introduire le thème de l'homosexualité dans zes œuvres, ce qui ne manqua pas de choquer le public. Son roman Les ailes provoqua une avalanche de mépris de la part des lecteurs saint-pétersbourgeois, qui ignorèrent l'importance réelle de son œuvre, louée par le grand poète Alexandre Blok.
Bien plus tard, le poète soviétique Evgueni Evtouchenko appellera Kouzmine « le premier dissident sexuel ».
Au début du XXe siècle, les actes homosexuels, désignés sous le terme « sodomie », constituaient un délit dans l'empire Russe, mais étaient rarement punis. En Union soviétique, la sodomie fut déclarée un délit en 1934 (article 121 du Code pénal).
Depuis, de nombreux écrivains et artistes russes furent condamnés pour sodomie et envoyés dans les camps de travail, la raison réelle de leur emprisonnement n'étant pas l'homosexualité, mais leurs activités sociales contre l'état oppressif. C'est le cas du poète Guennadi Trifonov, qui passa 4 ans dans un camp.
D'un autre côté, certains écrivains et acteurs se battaient pour préserver leur liberté et avoir une vie en Union soviétique, dissimulant leur préférence sexuelle : c’est le cas d’Evgueny Kharitonov, acteur et réalisateur, leader de la culture gay des années 70.
Kharitonov était surveillé par le KGB, tout comme de nombreux autres poètes et écrivains. C'est cette position de hors-la-loi qui inscrivait les écrivains homosexuels dans la littérature non-censurée de la Russie soviétique au sens large.
Le samizdat était le moyen classique de diffusion de la littérature non-censurée, et les premiers almanachs à publier la prose et poésie gay sont Mitin Journal (édité par Dimitri Voltchek) et Vavilon (édité par Dimitri Kouzmine), lancés en version samizdat en 1984 et 1989 respectivement et publiés en version imprimée au début des années 90.
Les deux se positionnaient comme almanachs underground, non spécialisés dans la prose et poésie gay, mais les inscrivant dans le processus littéraire contemporain.
En 1993, le tristement célèbre article 121 fut aboli, et l'homosexualité fut retirée de la liste des délits. Cela rendit la publication de la littérature gay moins dangereuse, aussi en 1993 Dimitri Kouzmine fonda la maison d'édition Argo-Risk qui publiait son magazine Vavilon ainsi qu'un magazine littéraire gay, Risk, lancé en 1995.
Les publications d'Argo-Risk étaient tirées à seulement un millier d'exemplaires. La maison d'édition était une entreprise à but non-lucratif, financée par les économies de ces éditeurs.
Kouzmine souligne dans la préface du premier numéro de Risk : « Ce n'est ni un magazine sur les homosexuels ni pour les homosexuels. Nous parlons de la situation culturelle contemporaine, vue à travers un prisme particulier, et tout cela n'est que très vaguement lié aux pratiques sexuelles de qui que ce soit."
Kouzmine, écrivain et critique, mais aussi entrepreneur littéraire, créa une communauté d'écrivains autour de Vavilon et Risk, réunissant de nombreux écrivains gay majeurs de la nouvelle génération comme Alexandre Ilyanen, Vadim Kalinine, Alexandre Anachevitch, Iaroslav Mogoutine, Kseniya Marennikova, etc.
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Néanmoins, au début des années 2000, les deux magazines disparaissent, Risk après seulement quatre numéros, le dernier publié en 2002, et Vavilon en 2003 après la publication du 10e numéro.
A la fin des années 2000, la vie littéraire russe connaît un boum, avec de nombreux festivals et lectures organisés dans différentes villes russes, de Moscou à Saint-Pétersbourg en passant par Ekaterinbourg et Kaliningrad.
En 2007, les poétesses pétersbourgeoises Nastya Denisova and Nadya Dyaghileva, organisent le premier Festival de poésie lyrique amoureuse lesbienne qui se déroula sur une seule journée dans un club de Saint-Pétersbourg le 26 mai 2007. Avant le festival, les organisateurs publièrent un message sur Internet, encourageant les poétesses lesbiennes à soumettre leurs œuvres pour le festival.
Nastya Denisova se souvient : « Nous avons reçu beaucoup de réponses, bien plus qu'on ne l'espérait, et nous avons sélectionné des poétesses de différentes villes, et même de l'étranger. Nous n'avions pas de fonds et ne pouvions pas couvrir les frais de voyage, donc quelques poétesses n'ont pas pu venir au festival. Alors, Nadya ou moi montions sur scène pour lire leurs poèmes et faire entendre leurs voix."
Une deuxième édition fut organisée peu de temps après, le 30 octobre 2007. Le festival attira de nombreux amateurs de poésie, et suite à ce succès, un almanach de poésie lyrique amoureuse lesbienne Le Lyu Li fut publié en 2008 par la maison d'édition Kvir avec un tirage de 1 000 exemplaires.
L'almanach réunissait les œuvres de 30 poétesses lesbiennes, telles que Nastya Afansyeva (lauréate du prix littéraire Russian Premium, 2006), Alla Gorbounova (lauréate du prix Debut en 2005), Tatiana Moseeva, Faina Grimberg, etc., notamment quelques poétesses lesbiennes non-professionnelles pour qui il s'agissait de leur première publication.
La troisième et dernière édition du festival de poésie lyrique amoureuse lesbienne eut lieu le 31 mai 2008 à Saint-Pétersbourg. Puis le festival fut arrêté car, selon les organisateurs, « il n'y avait pas de nouveaux auteurs intéressants, donc on a décidé d'attendre 2 à 3 ans ».
Denisova a récemment affirmé que, compte tenu de l'hostilité croissante vis-à-vis des minorités sexuelles, éveillée par le gouvernement russe, il est beaucoup plus difficile et dangereux d'organiser de tels événements.
Dimitri Kouzmine, qui reconnaît lui aussi un statut quo dans la vie littéraire gay en Russie, tient la communauté gay pour responsable de cette situation : elle est très mal organisée, le rôle des intellectuels y est insignifiant, aussi la littérature ne fait pas partie de ses priorités.
D'autre part, de nombreux écrivains homosexuels poursuivent leur carrière avec succès, parmi eux de nombreux lauréats du prestigieux prix littéraire d'Andrei Belyï : Dimitri Kouzmine (2002), Alexandre Ilyanen (2007), Nikolaï Kononov (2009), alors que d'autres, comme Linor Goralik et Alexeï Purin, sont régulièrement publiés dans des périodiques russes.
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