12 juin: comment la déclaration d’indépendance a sauvé la Russie

Crédit : Itar-Tass

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Pendant les années turbulentes de l'effondrement soviétique, le parlementaire Sergueï Chakhraï a soutenu la Déclaration de souveraineté, votée par les députés le 12 juin 1990, qui serait plus tard interprétée par certains comme la déclaration d’«indépendance» de la Russie envers l'Union soviétique. Russia Beyond a évoqué avec Chakhraï les causes de la disparition du plus grand pays du monde.

Quels événements ont mené à la Déclaration d’indépendance de la Russie du 12 juin 1990 ?

La direction soviétique de l'époque a pu constater que l'article 73 de la Constitution soviétique, qui garantit le droit de faire sécession de l'Union à un sujet fédéral et avait été en sommeil pendant des décennies, a soudainement commencé à sembler attrayant à diverses républiques de l'Union sur fond de faiblesse de Moscou. Cela a été suivi par des événements dans les pays baltes, en Ukraine et dans d'autres territoires soviétiques. L'article était une bombe à retardement prête à exploser. La réponse de Gorbatchev a été de réorganiser le système fédéral de l'URSS, un plan secret dont nous avons appris l’existence lorsque les comptes-rendus des réunions du Politburo ont été déclassifiés en 1992.

L'Union soviétique était composée de 15 républiques fédérées et de 20 régions autonomes à base ethnique, qui se trouvaient à l'intérieur de ces républiques et relevaient de leur juridiction. Le plan prévoyait de relever le statut de ces régions autonomes à celle des républiques fédérées en échange de leur soutien au retrait de l'article 73 de la Constitution. Si cela avait été adopté, nous aurions eu une Union soviétique composé de 35 républiques au lieu de 15, aucune d'entre elles n’étant légalement être en mesure de faire sécession du pays. Il y avait un certain sens derrière ce plan, mais 16 de ces régions autonomes étaient situées sur le territoire de la Fédération russe actuelle. Elles représentaient 51 pour cent de son territoire et contenaient une grande quantité de ressources naturelles à l'intérieur de leurs frontières. Sans elles, le territoire de la Russie ressemblerait à un morceau de fromage suisse avec la moitié de son territoire manquant (sans parler de 20 millions de personnes).

Ainsi, la déclaration était une réaction du parlement de Russie à l'initiative du gouvernement soviétique de diviser la moitié de son territoire.

Quelle était l’atmosphère durant l’adoption de la déclaration? Craigniez-vous les accusations de trahison ?

Trahison contre qui? Les députés agissaient par patriotisme. Leur logique était : en sauvant la Russie, nous sauvons l'Union soviétique. Parce que sans la République soviétique fédérative socialiste de Russie, il n'y a pas d’URSS. La Russie peut être plus grande ou plus petite, la désintégration et la réintégration peuvent se produire, mais son rôle central dans toute la région est essentiel. Un point intéressant ici est que suite à la suppression du quota qui exigeait que les deux tiers du parlement soient membres du Parti communiste de l'Union soviétique, le nombre d'élus du Parti communiste au sein du parlement russe a en fait augmenté. Ainsi, les personnes qui adoptaient cette déclaration ne constituaient pas un groupe de radicaux anti soviétiques, ils étaient fidèles au gouvernement national, et ils ont fait passer la déclaration à la quasi-unanimité.

Il n'y a pas un mot dans le document au sujet de ​​l'indépendance. Au contraire, il précise que la Russie fait partie de l'Union soviétique. Il dit : « La RSFSR reconnaît et respecte les droits souverains des républiques fédérées et l'URSS ». Suite à la déclaration et en dépit de son animosité personnelle envers le dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev, Boris Eltsine, président de la Russie, a [plus tard] signé le traité de l'Union le 18 août 1991. Au-delà de cela, la déclaration concernait la délimitation des pouvoirs entre le gouvernement national et le gouvernement [russe]. Plus précisément, il déclarait que l'intégrité territoriale de la Russie ne pouvait être contestée sans la participation de son propre corps législatif.

Donc, le battage selon lequel ce serait une sorte de déclaration d'indépendance est un mythe. Ce n'était ni le début, ni la fin de la réalisation de la souveraineté russe. Je n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi cela s'appelle désormais « Journée de la Russie », la plupart des gens n'ont pas lu la déclaration et encore moins compris ce que cela signifiait, selon les derniers sondages. Pourquoi indépendance ? Envers qui ? Il serait plus logique de célébrer l'Etat russe le 12 décembre, le jour où notre constitution a été adoptée.

Quelle influence la Déclaration de Souveraineté a sur l’avenir ?

Plus tard, quand Eltsine a fait face au problème de la désagrégation de la Fédération de Russie, il s’est rappelé l'expérience soviétique quand il a appelé les sujets fédéraux à prendre « autant de souveraineté qu'ils pourraient avaler ». C'était sa façon de lutter contre les mouvements indépendantistes en Russie au milieu de l'absence d’options économiques ou militaires efficaces.

Lors de la signature du traité de l'Union en août 1991, les régions autonomes de la Russie ont signé sous la signature de Boris Eltsine, cela a été un point important. Ils se reconnaissaient comme faisant partie de la Russie, et ont en échange obtenu un statut fédéral au cours des négociations sur le fédéralisme russe en mars 1992.

La Russie d'Aujourd'hui : Quelle fut la véritable cause de la chute de l’URSS ?

S.Ch.: Je suis choqué qu’un fait soit pratiquement ignoré par les historiens: pourquoi un parti communiste a-t-il été créée au sein de la République soviétique fédérative socialiste de Russie ? Toutes les républiques soviétiques avaient leurs propres partis communistes, sauf la Russie, car la RSFSR et l'Union soviétique étaient indissociables (Lénine et Staline avaient renforcé cela). Alors, quand Ivan Poloskov et Guennadi Ziouganov ont combattu politiquement Gorbatchev en quittant le parti communiste et en créant leur propre parti au sein de la RSFSR, une énorme division a vu le jour à l'intérieur du pays. Cette situation s’est aggravée après le putsch d’août 1991, quand Gorbatchev, en colère contre les putschistes, a annoncé qu'il quittait le Parti communiste et a appelé tous les communistes honnêtes à en faire de même. Mais ils n'avaient nulle part où aller. 

Le rôle du parti en tant que « force prépondérante et guide de la société soviétique» a été consacré par l'article 6 de la Constitution (il y avait des débats en cours sur l'abolition de cette idée). Mais à l'époque un affaiblissement du Parti communiste signifiait un affaiblissement du pays. C'est pourquoi, si vous regardez les manifestations massives qui eurent lieu dans toute l'Union soviétique dans les années de déclin, elles montrent des personnes tenant des pancartes apparemment trompeurs disant : « Tout le pouvoir aux Soviets ! » (« Soviet » en russe signifie comité de décision, représentant le peuple dans ce cas, ndlr). Ce qu'ils voulaient dire était le pouvoir au peuple, sa confiscation au Parti communiste.

Quelles étaient les alternatives viables ?

Si le parti avait été en mesure de se réformer, nous aurions eu, plus ou moins, le modèle de développement chinois. Qu'est-ce que je veux dire par réforme ? Il y avait une faction démocratique au sein du Parti communiste, il aurait pu être divisé en factions, il y aurait eu des discussions et se serait reconsolidé. C'est quelque chose auquel les grands partis doivent être préparés et dont ils ne doivent pas avoir peur. Mais après avoir perdu la bataille pour le pouvoir au sein du parti, Gorbatchev l’a transféré au niveau du gouvernement. Si nous n'avions pas eu la Déclaration de souveraineté de la Russie, la désintégration de la République soviétique fédérative socialiste de Russie aurait continué et nous aurions eu un scénario comme celui des Balkans. D'abord, les républiques soviétiques auraient quitté l'Union, puis les régions autonomes. Ainsi, la déclaration a aidé à gagner du temps et à éviter que les régions autonomes quittent la Russie. Elle a démontré que les questions d'autorité et de propriété pouvaient être résolus dans le système.

Quelque chose de similaire pourrait-il arriver dans la Russie actuelle ?

Le processus de désintégration a continué jusqu'au 31 mars 1992, lorsque l'Accord de fédération a été atteint. Puis il y a eu une absence totale de leadership et du chaos jusqu'en décembre 1993, lorsque la nouvelle Constitution russe a été adoptée. Entre ces deux dates vous avez eu l’adoption de toutes les constitutions des régions autonomes de Russie - c'est à ce moment que la désintégration aurait pu réellement avoir lieu. J'ai eu l'honneur de présider la Chambre des régions au cours de la Convention constitutionnelle (l'une des cinq chambres). Il y avait beaucoup de conflits alors ; des représentants de diverses régions sont partis. Mon concept et celui de Sergueï Alexeïev (co-auteur de la Constitution russe, ndlr) ne prévoyait pas de clause de sécession de la Fédération de Russie. Nous avions appris à nos dépens de l'Union soviétique que c'était une mauvaise idée. Notre modèle n’avait pas de concept d'Etats souverains au sein de la Russie. Et nous avons écarté la possibilité d’utiliser les nationalités comme base pour former les sujets fédéraux - l'histoire nous a montré que toutes les fédérations créées sur des bases nationales échouent. Les exemples les plus modernes comprennent la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie et l'URSS. Les régions autonomes s’y sont opposées.

A mon propre crédit et à celui de mes collègues, le texte final de la Constitution ne comportait aucun de ces principes.

Mais que dire des régions russes comme la Tchétchénie et le Tatarstan, où se concentre un grand nombre de personnes d'un même groupe ethnique ?

Ce sont juste des noms. Ce sont aussi des sujets fédéraux en vertu des mêmes lois nationales que les autres régions. Notre constitution permet de les fusionner - comme vous le savez, au cours de la dernière décennie, la Russie est passée de 89 régions à 83 - et d’élargir les frontières du pays.

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