17% des Russes estiment que la loi sur la défense des sentiments religieux enfreint les droits des athées, alors que 45% pensent le contraire. Source : Kommersant
Cinq semaines après qu’en août 2012, les membres du groupe Pussy Riot aient chacune écopé d’une peine de deux ans de camps de travail pour troubles à l’ordre public après avoir chanté Vierge Marie, chasse Poutine ! dans la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou, les représentants des quatre partis siégeant à la Douma, chambre basse du parlement russe, se sont vus présenter un projet de loi relatif aux offenses envers les sentiments des croyants. Mardi dernier, trois quarts des députés ont approuvé le projet lors de sa seconde lecture, moment clé du processus.
Les moscovites inquiets par la construction massive d’églises orthodoxes
Des prêtres parachutistes sautent à la suite de leurs ouailles
Ces huit derniers mois, en réponse aux critiques suscitées, les législateurs ont dû réduire de cinq à trois ans la peine maximale proposée pour les « actes publics présentant un manque de respect flagrant envers la société », commis dans des églises et mosquées par exemple, et ce « dans le but d’offenser les sentiments religieux des croyants ». Aucune norme de ce type n’était prévue auparavant. L’amende maximale pour de tels faits s’élèvera à 500 mille roubles (12 340 euros). De plus, des travaux correctifs, forcés ou d’intérêt général seront également prévus.
« La société voit d’un mauvais œil les profanations des sanctuaires religieux et exige de plus en plus que l’on défende de manière adéquate les convictions des croyants. Regardez les actes des Pussy Riot. Une majorité écrasante des Russes les a désapprouvés, et ce indépendamment de leur appartenance religieuse », indique le député Tamerlan Agouzarov, cité par le service de presse du parti Russie Unie.
Selon un sondage de la Fondation « Obshestvennoe Mnenie » (« Opinion publique ») réalisé en septembre 2012, 45% de la population russe estime que des peines doivent être prévues pour ceux qui insultent les convictions de tiers. 22% des sondés ont exprimé un avis contraire, le reste des personnes interrogées ne souhaitant pas donner son avis.
Le Kremlin soutient également l’idée d’une telle loi. « Elle sera très difficile à appliquer, mais elle est absolument indispensable dans un pays multiconfessionnel et pluriethnique comme le nôtre », a déclaré début avril Dmitri Peskov, porte-parole de Vladimir Poutine.
D’après Andreï Kouraev, professeur à l’Académie théologique de Moscou, le monde contemporain a besoin d’une loi qui protège les gens des manifestations de haine. Il considère cependant que les formulations de ce projet sont « très imprécises » et propose de retirer les mentions aux sentiments.
« Cette situation ouvrirait grand la porte aux plaintes et accords ou désaccords réciproques devant le tribunal », indique ainsi Kouraev au magazine Pravoslavie i mir (« Orthodoxie et monde »). « Je peux très bien déclarer au juge et au procureur que mes sentiments ont été offensés, mais qui à part moi pourrait le vérifier ? Le juge devra donc juger deux aspects : les sentiments et opinions du plaignant ont-ils réellement été touchés ? L’accusé voulait-il de façon cachée et délictueuse blesser l’autre personne ? ».
Pour Mikhaïl Fedotov, conseiller aux droits de l’Homme auprès du président russe et qui en janvier dernier a donné un avis négatif par rapport à la première version de la proposition de loi, l’article actuel « est assez précis » et « proche de la perfection ». « Il est évidemment nécessaire de défendre les convictions religieuses des citoyens, et tous les sentiments en général, comme les valeurs intrinsèques par exemple », a notamment déclaré Fedotov sur les ondes de la radio « Echo de Moscou ».
Fedotov a également souligné que cette nouvelle mesure « permettrait de sanctionner les violations à la liberté d’opinion », et que les Pussy Riot avaient été jugées « selon un passage du code pénal qui n’existait pas ». « Sans article de ce type dans le code pénal, il n’existe aucune base pour condamner », a ajouté Fedotov.
Mikhaïl Markelov, président adjoint de la commission de la Douma chargée des mouvements associatifs et des organisations religieuses, ajoute que la nouvelle version du projet ne parle pas d’offense aux sentiments religieux en tant que tels. « Il s’agit d’un concept trop subjectif, et il serait très difficile de qualifier les faits. Nous souhaitons introduire des peines pour des faits commis en public ».
Les représentants du parti démocrate Iabloko, qui se sont rassemblés mardi devant le bâtiment de la Douma, affirment que la nouvelle loi empiètera sur les droits des athées. « En défendant au pénal les sentiments d’une seule catégorie de la population, à savoir les croyants, le pouvoir enfreint la Constitution qui garantit l’égalité entre tous les citoyens », explique un communiqué du parti.
Toutefois, selon un sondage de la fondation « Obshestvennoe Mnenie », 17% des Russes estiment que la loi sur la défense des sentiments religieux enfreint les droits des athées, alors que 45% pensent le contraire.
Le journal Moskovskie Novosti a mené un sondage auprès des fidèles des églises moscovites afin de mieux connaître leur point de vue vis-à-vis de ce projet de loi.
« Il ne faut jamais insulter les convictions des croyants, mais punir ces actes ne sert à rien, le Seigneur s’en chargera », estime la retraitée Irina Fiodorova. Elle pense néanmoins que les comportements semblables à ceux des Pussy Riot doivent être sanctionnés car « ils sont trop provoquants ».
Un sondage effectué en avril par le Centre Levada a montré que 56% des Russes considéraient comme adéquates les peines infligées aux Pussy Riot, contre 26% qui les trouvaient excessives et 9% qui ne voyaient aucune raison de les poursuivre.
« Il faut un juste milieu dans tout », poursuit Irina Fiodorova. « M’insulter est une chose. Peut-être que je le méritais. Mais si on humilie plusieurs personnes à la fois, l’État doit intervenir ».
Un autre paroissien, Iouri Oskine, estime cette proposition de loi insensée. « Si les gens insultent quelqu’un, Dieu sera leur juge », dit-il. « Nos lois interdisent déjà ces gestes. La législation est la même pour tous et définir certaines catégories distinctes de personnes offensées n’est pas nécessaire. Il faudrait alors aussi imaginer des mesures pour les insultes aux ouvriers, aux policiers de la route, etc. ».
Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.
Abonnez-vous
gratuitement à notre newsletter!
Recevez le meilleur de nos publications directement dans votre messagerie.