À la recherche des «agents étrangers»

Plusieurs ONG russes, y compris Memorial, ont ouvertement refusé de respecter la nouvelle législation. Crédit : AP

Plusieurs ONG russes, y compris Memorial, ont ouvertement refusé de respecter la nouvelle législation. Crédit : AP

Le ministère russe de la Justice, soutenu par le Parquet général du pays, a déclaré son intention de surveiller de près l’application des amendements controversés qualifiant d’« agents d’étrangers » les ONG bénéficiant d’un financement étranger. Les représentants des ONG visées par cette récente initiative gouvernementale disent avoir peur de poursuites judiciaires de la part des autorités.

Selon les défenseurs des droits de l’homme, l’État a déjà organisé les inspections de 40 organisations dans 16 régions de la Russie. Les inspecteurs gouvernementaux ont notamment rendu visite dans le bureau russe d’Amnesty International, ainsi que dans la célèbre ONG russe Memorial, engagée dans l’étude de l’histoire des répressions soviétiques, et dans l’enquête de violations des droits de l’homme dans les zones de conflits militaires.

D’après les déclarations officielles du Parquet général, il s’agit d’un « contrôle de routine », qui vise à « confirmer la légitimité de l’activité des ONG bénéficiant d’un financement étranger ». Le ministère russe de la Justice a annoncé pour sa part que la campagne d’inspection a pour but d’identifier les organisations qui peuvent être qualifiées d’« agents étrangers ».

En outre, les agents du Parquet menant les inspections dans certaines régions indiquent que leur mission est de vérifier si les organisations respectent la législation russe sur l’extrémisme.

De leur part, les défenseurs des droits de l’homme estiment que les autorités essaient d’appliquer les nouveaux amendements à la loi sur les ONG. Dénommés collectivement « la loi sur les agents de l’étranger », ces rectifications obligent toutes les ONG financées de l’étranger et participant dans la vie politique de se faire enregistrer dans une liste spéciale du ministère de la Justice comme des « agents de l’étranger ». Toutes les organisations faisant partie de cette liste, seront soumises à un contrôle financier très strict.

Cependant, aucune ONG ne s’est jusqu’à présent inscrite sur ce registre. Le terme d'« agent étranger » a dans la langue russe une connotation très négative. Cette terminologie a été sans doute copiée de la loi américaine FARA ou Foreign Agents Registration Act (« loi sur l’enregistrement des agents étrangers »), adoptée en 1938. Toutefois, cette expression qui représente en anglais un terme juridique assez neutre, est en russe beaucoup plus concrète : elle était utilisée traditionnellement pour dénommer des espions (réels comme supposés), et les ONG y voient alors une humiliation délibérée.

Plusieurs ONG russes, y compris Memorial, le Groupe Helsinki de Moscou, Golos, Assistance Civique et Pour les droits de l’Homme, ont ouvertement refusé de respecter la nouvelle législation. En février dernier, 11 ONG du pays ont déposé une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, dénonçant l’initiative gouvernementale.

« Cette loi est absurde même du point de vue juridique », estime Boris Kagarlitsky, directeur de l’Institut russe de mondialisation et de mouvements sociaux. « Une loi peut nous obliger à faire quelque chose, ou l’interdire. Mais je ne comprends pas une loi qui nous oblige à porter un nom spécial et à l’annoncer au gouvernement en plus », ajoute l’expert.

Un des chefs de Memorial Boris Belenkine se dit persuadé, pour sa part, que la vague d’inspections représente une réaction à une phrase prononcée par Vladimir Poutine durant une réunion du FSB (service secret russe) le 14 février 2013. Le président a alors dit que les amendements à la loi sur les ONG devaient « être appliqués sans aucun doute ».

« Les critères selon lesquels l’État définit si une ONG est un agent de l’étranger ou non, sont trop vagues. Le ministère de la Justice qui doit former la liste des « agents de l’étranger », ne pouvait pas pour longtemps établir les caractéristiques typiques des organisations qui devaient y être inscrites. Je n’exclus pas que cette campagne de vérification ait été lancée parce qu’ils ont finalement inventé ces critères. Ou bien, ils vont le faire après les inspections, en se basant sur les informations qu’ils vont découvrir », a déclaré M.Belenkine.

D’après le responsable, les inspections devraient se traduire par de vastes poursuites judiciaires contre certaines ONG, et les accusations seraient probablement diverses : il s’agira de violations de la « loi sur les agents de l’étranger », mais peut-être d’autres, en fonction de l’envergure de la campagne gouvernementale. « Memorial est prêt à comparaitre devant la justice, nous espérons juste que la justice sera impartiale », dit M.Belenkine.

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