Les participants du programme « Nous vivons sur cette Terre » en voyage à Heidelberg. Crédit photo : Amvrossiï Chramov
Rita Khaïroullina, 18 ans, championne du monde de triathlon, participe au projet photo de Iouri Khramov « Nous vivons sur cette Terre ». Il y a un an, elle découvre sa leucémie et pendant son traitement, elle commence à s’intéresser à la photo.
« Je photographiais tout ce que je voyais : les médecins, les infirmières, la vue de ma fenêtre », raconte-t-elle en passant sa main dans ses cheveux courts, seule trace de sa maladie. « La photo me permettait de me détacher de ce qui se passait autour », ajoute-t-elle. Rita est restée cloîtrée près d’un an dans sa chambre, sans pouvoir sortir, recevoir ses amis et en suivant une chimiothérapie qui lui faisait perdre ses cheveux.
« Les psychologues affirment que dans de telles conditions, les gens commencent à souffrir de privation visuelle. La photographie, comme tout art, permet de donner libre cours à son imagination et de transformer une chambre d’hôpital aux murs oppressants en palais ou en forêt vierge », explique Iouri Khramov.
Avec son projet « Nous vivons sur cette Terre », depuis six ans, il vient à la rencontre des enfants du Centre d’hématologie, oncologie et immunologie infantile de Moscou et leur apprend comment photographier les objets qui les entourent.
Sauver une vie, plus simple qu’obtenir une signature
Iouri a été fonctionnaire, puis chef d’entreprise ; il faisait de la photo pour son plaisir. Puis il a répondu à une annonce où un photographe bénévole était recherché pour venir une fois par mois expliquer aux enfants les bases de l’art photographique. Très vite, il s’aperçut que c’était insuffisant, il s’attacha aux enfants et commença à venir toutes les semaines.
Une fois, à l’issue d’un cours, il apprit qu’un de ses élèves était en salle de réanimation et qu’il lui restait une demi-heure à vivre, les soins palliatifs se trouvant dans un autre hôpital. Iouri se souvient avoir sauté dans sa voiture et foncé sur la route verglacée, poussé par une montée d’adrénaline incontrôlable. Il arriva à temps avec le médicament et réussit à sauver l’enfant.
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Iouri Khramov. Crédit photo : Maïa Zhadina.
Le lendemain, il passa huit heures dans l’antichambre d’un haut fonctionnaire pour obtenir une signature pour son entreprise, ce qui lui fit réaliser toute l’absurdité de la situation : quinze minutes pour sauver la vie d’un enfant ou tout ce temps perdu pour un papier sans valeur réelle. Depuis ce jour, le programme « Nous vivons sur cette Terre » est devenu l’affaire de sa vie. Et aucun des grands photographes invités à faire des ateliers pour enfants n’a refusé.
Une fois dehors
Tous les ans, Iouri Khramov et une quinzaine de ses élèves guéris du cancer font un voyage en Allemagne, visitent villes, musées, châteaux et bien sûr s’adonnent à la photo. Ce séjour est entièrement gratuit pour tous les jeunes. « Combien auraient pu se payer le voyage ? Un ou deux seulement », explique Khramov. La plupart des enfants sont issus de familles défavorisées.
Selon Katia Kazakova (26 ans), guérie de son cancer il y a sept ans, les problèmes psychologiques chez les anciens malades restent ancrés pour longtemps. Certains ados rendus trop maigres ou trop gros par les traitements hormonaux sont la risée de leurs camarades à l’école. D’autres se culpabilisent d’avoir été malades et d’avoir fait souffrir leurs proches.
« Mais la plupart n’ont simplement personne à qui parler », souligne Katia. « Pendant leur hospitalisation, ils ont perdu leurs amis. Et leur vision du monde a changé ». La photographie leur permet de tout oublier, même les perfusions et la chimio.
Les résultats impressionnants de leurs efforts artistiques sont ensuite exposés ou publiés dans des livres, dont les tirages se vendent plutôt bien. Nul besoin d’insister sur leur valeur. Iouri Khramov cite l’exemple de ce garçon que ses camarades traitaient de « chauve » et qui leur répondit : « Chauve peut-être mais j’ai déjà fait deux expos à Moscou. Et vous ? ».
Le rêve de Iouri : créer une sorte de colonie de vacances réunissant de jeunes photographes du monde entier pour qu’ils puissent échanger leur expérience. Et il y croit vraiment. C’est un grand optimiste qui plaisante tout le temps et quand il affirme financer le projet de sa poche, on croit d’abord à une blague. Pourtant, c’est bien vrai. « Et s’il vous manquait l’argent pour organiser votre séjour photographique à Heidelberg ? ». Il répond sans hésiter : « Je prendrais un crédit à la banque ».
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