« Ce n’est pas ma patrie, mais c’est mon monde »

"Il ne faut pas seulement regarder les informations et suivre ce qui se passe dans la sphère politique, mais regarder ce qui existe et où nous allons dans le domaine artistique. C’est la principale richesse de la Russie". Crédit photo : PhotoXpress

"Il ne faut pas seulement regarder les informations et suivre ce qui se passe dans la sphère politique, mais regarder ce qui existe et où nous allons dans le domaine artistique. C’est la principale richesse de la Russie". Crédit photo : PhotoXpress

John Friedman, spécialiste de théâtre, est le critique théâtral du journal The Moscow Times. Il vit et travaille depuis 24 ans à Moscou.

En février, à New York, votre nouvelle pièce participe à un projet en ligne plutôt original de théâtre contemporain : les pièces seront jouées sur Skype. Comment est-ce possible ?

C’est un festival multiculturel annuel, organisé par les « Internationaux », intitulé « Le roman à distance ». Le but du projet est de faire en sorte que les gens de pays différents tombent artistiquement amoureux les uns des autres et travaillent simultanément, sans quitter leurs villes.

Le festival dure tout le mois de février. Ma pièce s’appelle Cinq histoires drôles du cœur de Buenos Aires. Oksana Mysina [actrice moscovite et épouse de Friedman, ndlr] y participe aussi.  

C’est un truc très populaire aux États-Unis en ce moment. À New-York, les gens arrivent, achètent un billet et accèdent non pas à un théâtre, mais à une salle équipée de 20-40 écrans d’ordinateur. Ils se posent devant un écran et regardent pendant dix minutes un court spectacle interprété par, disons, Oksana Mysina.

Puis ils s’installent devant un autre écran. Et ainsi de suite pendant une heure et demie.

Le théâtre traditionnel russe tel qu’il existe encore aujourd’hui mérite-t-il que l’on change de pays de résidence de manière aussi drastique ?

C’est précisément grâce à l’immensité du théâtre russe et à l’amour pour Oksana Mysina que ça a valu le coup de changer de pays.  

Depuis que vous vivez en Russie, le théâtre vous a-t-il déçu ?

Comment est-ce-que le théâtre russe, époustouflant, varié, richissime, peut-il décevoir ? Je peux le dire ouvertement, ce n’est pas facile de vivre en Russie. Pour de nombreuses raison, du climat à la politique.

Mais quand tu vis dans un endroit avec un théâtre aussi fantastique et aux côté de gens aussi formidables… la vie ne peut pas être plus riche !

Vous rappelez-vous de vos premières impressions moscovites, quand vous êtes arrivés il y a presqu’un quart de siècle ici ? Étaient-elles heureuses ?

Quand je suis arrivé en 1988, ce n’était pas la première fois que je venais en Russie. Je suis arrivé en pleine perestroïka.

La première chose qui m’avait sauté aux yeux, c’est que rien n’avait changé. En 1988, tout était exactement comme en 1979, quand je vivais ici. Hormis peut-être quelques kiosques qui vendaient du poulet grillé.

Depuis, j’ai vécu un nombre un croyable de changements ici, avec tout le monde. Je considère que j’en suis à la 5e, 6e, ou même 7e Russie depuis que je me suis installé ici. C’est comme si le pays ne cessait de changer de peau et de se transformer en un pays nouveau, complètement différent.

Nadja Maire, comédienne française

Elle a fait ses études au Conservatoire de Saratov et à l’Académie théâtrale de Saint-Pétersbourg. Depuis 2007, elle est membre de la troupe de Piotr Fomenko. Elle joue dans Rhinocéros, Les contes de la forêt des Ardennes (adaptation de Comme il vous plaira de Shakespeare), De l’autre côté du miroir,  Le rouquin.

 « J’ai ouvert un manuel de conversation russe pour la première fois dans l’avion vers la Russie. C’était terrifiant, pendant le premier semestre, à la fac, je ne comprenais rien du tout… Et à Saratov et à Saint-Pétersbourg on me répétait qu’une Française ne monterait jamais sur les planches en Russie. Mais j’ai essayé, et j’ai été prise par Fomenko ».

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Avez-vous eu des moments où vous aviez envie de tout laisser tomber et déménager plus près d’Hollywood ?

Le monde théâtral dans lequel nous travaillons avec Oksana est tellement riche que nous comprenons bien que rien de tel n’existe ailleurs. Cet univers nous soutient et nous donne une raison de vivre. Si nous devions partir, en trois mois nous deviendrions fous sans la vie moscovite, sans le théâtre moscovite.

Vous parlez russe parfaitement. Pensez-vous en russe aussi ?

Oui, depuis très longtemps. Avant même mon arrivée en 1988. Pendant les cinq-sept premières années, j’étais terriblement épuisé à la fin de la saison. Mon cerveau était complètement usé d’avoir travaillé en russe tout le temps. Mais à la 8e année, cela a disparu. Et je ne sens plus aucune tension.

Comment avez-vous réglé la question de la citoyenneté ?

J’ai conservé la nationalité américaine et j’ai un titre de séjour russe, qui me permet de travailler et de circuler librement. 

Qu’est ce qui est plus difficile à accepter, le climat russe ou la paresse russe ?

Ils sont liés. La paresse russe découle précisément du climat. Il fait froid en hier et on n’a qu’une envie, c’est de rester au lit, sous la couette ; en été il fait chaud et lourd, on a envie de s’allonger par terre. Heureusement, j’ai un travail intéressant qui me permet de surpasser la paresse.

Que conseillez-vous aux étrangers nouvellement arrivés en Russie ?

Cela dépend vraiment des cas.

Limitons-nous au monde artistique que vous connaissez bien…

En premier lieu, il faut s’immerger dans la culture et l’art. Musées, littérature, théâtre… Je propose tout de suite à cet étranger d’aller voir les spectacles de théâtre contemporain. Ce sont ces pièces précisément, qui, ces dix dernières années, cherchent à comprendre ce qui se passe d’un point de vue politique et social en Russie.

Il ne faut pas seulement regarder les informations et suivre ce qui se passe dans la sphère politique, mais regarder ce qui existe et où nous allons dans le domaine artistique. C’est la principale richesse de la Russie, qui n’a absolument pas d’égal.

Chaque pays a ses trésors, mais l’art, le théâtre, la musique, la littérature russes sont grandioses. Je vis ici depuis 24 ans, et je m’incline toujours devant les artistes qui ont créé ici ces trois-quatre derniers siècles, et qui continuent à créer aujourd’hui. Ce n’est pas ma patrie, mais c’est mon monde. Le monde dans lequel je vis.

Fabio Mastrangelo, chef d’orchestre italien

Il vit depuis dix ans avec son épouse russe et leur fils à Saint-Pétersbourg, et travaille avec les meilleures formations symphoniques, l’orchestre du théâtre Mariinsk et de la philharmonie de Novossibirsk.

« Je suis né à Bari, où reposent les reliques de Saint-Nicolas, très vénéré en Russie. Je ne saurais expliquer pourquoi, à l’âge de neuf ans, j’ai commencé tout seul à étudier l’alphabet russe… Le nom de jeune fille de ma mère, c’est Russo. Mon père était un pianiste amateur de très bon niveau, il adorait la Russie et la musique russe. Il a appelé ma sœur Valentina, en l’honneur de Terechkova, la première femme-astronaute. Je me sens de plus en plus russe. Je viens même d’obtenir mon passeport russe ».

 

Paru sur le site de Rossiyskaya Gazeta.

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