En dehors de la Tchétchénie, Kadyrov est particulièrement populaire auprès des Russes.
Dmitri DivineLe dirigeant de la République tchétchène Ramzan Kadyrov est devenu, ces derniers temps, l’un des personnages médiatiques les plus en vue en Russie, faisant même parfois de l’ombre au président russe Vladimir Poutine. Une célébrité principalement liée à une série de déclarations extrêmement virulentes émises par Kadyrov envers l’opposition russe.
Sa publication du 31 janvier sur Instagram est la dernière d’une longue série d’attaques menées par Kadyrov contre l’opposition. Le « post » en question contenait un extrait vidéo montrant les leaders du parti d’opposition Parnas Mikhaïl Kassianov et Vladimir Kara-Mourza visés par un fusil de sniper et portant l’inscription « Ceux qui n’ont pas compris comprendront » (la publication a été supprimée par l’administration du réseau social pour violation des règles du service).
L’image sombre des opposants visés par un fusil paraît d’autant plus inquiétante qu’il y a un peu moins d’un an, le 27 février, Boris Nemtsov, un autre homme d’opposition célèbre, était assassiné en plein centre de Moscou. L’enquête a établi que le meurtre avait été perpétré par des agents du ministère tchétchène de l’Intérieur, mais la recherche du commanditaire est au point mort. De nombreux Russes sont persuadés que Kadyrov lui-même a commandité cet assassinat.
La toile russe regorge actuellement de spéculations et hypothèses sur les raisons de cette activité exceptionnellement intense du dirigeant tchétchène.
Un avis répandu y voit la conséquence d’un conflit entre Kadyrov et le FSB (renseignement), qui peine à contenir le jeune et énergique leader régional, celui-ci affichant une loyauté sans faille à l’égard du président Poutine.
Selon une autre version, Poutine aurait depuis longtemps perdu le contrôle sur un Kadyrov déchaîné, et aimerait lui serrer la bride. Toutefois, il ne peut le faire, car il ne souhaite pas rallumer le conflit avec la Tchétchénie, réglé au prix de tant d’efforts et investissements financiers.
Enfin, selon un autre avis, Ramzan Kadyrov agirait non contre l’avis du Kremlin, mais sur ordre direct de Poutine. Les dirigeants russes ne peuvent utiliser la technique de l’intimidation contre leurs opposants politiques ouvertement et utilisent donc le leader tchétchène pour cette besogne.
Pourquoi l’Occident doit suivre la confrontation
Pour un observateur étranger, les écarts de Kadyrov semblent mineurs et pourraient apporter de l’eau au moulin de ceux qui voient dans la Russie un pays où l’état de droit est remplacé par la force, alors que les leaders de l’opposition sont marginalisés et menacés de mort. Mais ce problème revêt un autre aspect qui pourrait rapidement transformer ce problème privé russe en menace d’ampleur internationale.
En effet, aussi incroyable que cela puisse paraître, Kadyrov pourrait selon une opinion répandue devenir le successeur de Poutine au poste de président russe. Cela peut sembler étonnant, mais la réputation douteuse du leader tchétchène ne l’empêche pas, dans les conditions actuelles, d’encaisser des points politiques et de gagner la sympathie de larges couches de la population russe, bien au-delà de sa propre région.
Un sondage mené par le centre Levada en mars 2015 (un mois après le meurtre de Nemtsov, quand les rumeurs sur l’implication de Kadyrov dans ce meurtre allaient bon train dans la société) a montré que le cote de confiance accordée par les Russes au dirigeant tchétchène atteignait le chiffre impressionnant de 55%. Il y a dix ans, seuls 33% faisaient confiance à Kadyrov. Depuis, le dirigeant tchétchène est parvenu à « rétablir l’ordre » et le calme dans la région qui lui a été confiée, estiment les Russes. Seuls 12% des sondés ont affiché en 2015 leur animosité envers Kadyrov.
En outre, Kadyrov est célèbre pour son adhésion ardente aux valeurs de l’islam traditionnel. Des mosquées poussent à travers la Tchétchénie, où l’on introduit les règles de la charia (loi islamique, ndlr), bien que Kadyrov ne ménage aucun effort pour condamner toute manifestation de radicalisme islamique. Après le lancement des opérations aériennes russes en Syrie, Kadyrov s’est dit prêt à envoyer des troupes tchétchènes combattre Daech, une organisation interdite en Russie.
Les sentiments antiaméricains alimentent la popularité de Kadyrov
En Russie, où les musulmans représentent 10% de la population russe, la religion de Kadyrov est loin d’être un frein, et pourrait même l’aider dans son ascension vers l’Olympe politique. Le dirigeant tchétchène se construit habilement l’image d’un partisan des valeurs traditionnelles, opposé à l’universalisme occidental et à l’hégémonie culturelle américaine. C’est cet ensemble idéologique qui permet au président Poutine de conserver une cote de popularité très élevée depuis de longues années.
La propagande étatique attise en permanence l’antiaméricanisme, tous les représentants de la classe politique russe cherchent à surfer sur cette vague, mais rares sont ceux qui y parviennent aussi sincèrement et brillamment que Kadyrov. Pour preuve : son compte Instagram cumule aujourd’hui plus de 500 000 abonnés.
En dehors de la Tchétchénie, Kadyrov est particulièrement populaire auprès des Russes qui se qualifient d’« impérialistes » ou d’« eurasiens ». Contrairement aux nationalistes russes, ils estiment que la puissance de l’État russe ne peut s’exprimer pleinement qu’au sein d’un empire multinational réunissant les peuples qui, naguère, faisaient partie de la Russie tsariste ou de l’URSS.
Malgré ses critiques à l’égard des radicaux de Daech, Kadyrov se permet régulièrement des actes et des paroles très proches de ceux des bâtisseurs du nouveau califat. Les ambitions politiques et idéologiques du dirigeant tchétchène dépassent désormais largement les frontières de sa république.
En dépit de la marginalité politique apparente de Kadyrov, son image colle d’année en année toujours plus aux tendances de la vie politique russe. Il est temps pour les observateurs occidentaux de commencer à étudier les scénarios impliquant l’arrivée d’un tel personnage au poste du président de l’une des principales puissances nucléaires.
Texte original en anglais disponible sur le site de Russia Direct. Russia Direct est un média analytique international spécialisé dans la politique étrangère.
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