Le président russe Vladimir Poutine a déjà prononcé trois discours depuis la tribune des Nations unies, le dernier remontant à 2005. Cette fois-ci, les attentes étaient très élevées : trop tendues sont actuellement les relations entre la Russie et l’Occident, trop grande est l’incompréhension mutuelle sur les objectifs, buts et activités de chacun.
Presque tous les orateurs qui ont précédé Vladimir Poutine (le président américain Barack Obama, le chef de l’Etat polonais Andrzej Duda et le leader chinois Xi Jinping) ont évoqué dans une plus ou moins grande mesure la Seconde Guerre mondiale. D’une part, pour rendre hommage à l’anniversaire de la Victoire, d’autre part, pour rappeler que c’est un « pont » vers les temps modernes où les sujets de la prévention des guerres, des agressions et d’autres tragédies humaines restent d’actualité. L’une des raisons en est notamment le manque d’efficacité de l’Onu, que nombre de politiques appellent à réformer sans pouvoir trouver mieux que le schéma adopté à la conférence de Yalta, mentionné par Vladimir Poutine. D’après le président russe, le « système de Yalta » a été « payé au prix de deux guerres mondiales » et a réussi « à épargner des bouleversements majeurs au monde ».
Pour ce qui est des réformes de l’Organisation, une récente initiative appelle à limiter le recours au droit de véto par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité. Cette proposition revêt actuellement un aspect conjoncturel : plusieurs pays cherchent à priver la Russie du droit de veto dans le contexte de la crise ukrainienne. Ainsi, selon le président français François Hollande, son pays « veut que les membres permanents du Conseil de sécurité ne puissent plus recourir au droit de veto en cas d’atrocités de masse ». Toutefois, l’idée n’est soutenue pour l’instant que par un peu plus d’un tiers des pays membres. Il serait possible d’opérer une réforme de la Charte des Nations unies par les deux tiers des voix de l’Assemblée générale, mais l’approbation de tous les membres permanents du Conseil de sécurité sera tout de même indispensable.
D’après la fréquence de l’usage du veto, l’Union soviétique a détenu le leadership durant les dix premières années de l’existence de l’Onu (la moitié de tous les cas), avant de laisser la main aux Etats-Unis, dans les années 1970-1980. Et si l’on fait abstraction de la crise ukrainienne et du désir de « punir » Moscou, personne ne peut prévoir l’impact de la suppression du droit de veto sur la capacité des Nations unies dans leur ensemble. Car la menace même du veto pousse les « grandes puissances » à chercher un compromis. Comme l’a fait remarquer Vladimir Poutine, l’Onu « ne supposait pas une unanimité complète… L’objectif essentiel de l’organisation est d’encourager à trouver des compromis ».
Ce qui était inattendu dans le discours de Vladimir Poutine, c’est la critique de l’Union soviétique pour « ses tentatives de lancer des expériences socialistes dans d’autres pays », ce qui a débouché parfois sur de véritables désastres. Toutefois, tout le monde a vite compris la motivation d’une idée aussi farfelue pour un homme politique qui qualifie la désagrégation de l’URSS de « plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle ». Selon lui, de telles tentatives se matérialisent actuellement dans « l’exportation des révolutions ». L’allergie aux révolutions « de couleur » peut être considérée comme une idée fixe du Kremlin, mais le fait est que le droit international moderne, notamment les documents des Nations unies, se sont révélés impuissants face aux situations dans lesquelles des pays entiers se retrouvent en ruines, sans institutions d’Etat fonctionnelles, à la suite de bouleversements révolutionnaires soutenus de l’extérieur. La Lybie a vécu une telle « démocratisation ». La Syrie est au bord d’une catastrophe semblable. « Je suis tenté de demander à ceux qui ont créé cette situation : comprenez-vous au moins ce que vous avez fait ? », a déclaré Vladimir Poutine.
Contrairement à toute attente, le leader russe n’a pas fait le détail des désaccords sur la Syrie entre Moscou et Washington, réservant le sujet pour son tête-à-tête avec Barack Obama. Il s’est tourné vers un dossier « indiscutable », celui de la lutte contre le terrorisme, en l’occurrence contre l’Etat islamique (EI). En tant que contrepoids indirect à la politique des Etats-Unis en Syrie – où les Américains misent toujours sur l’opposition « modérée » qui n’est qu’à peine visible sur le champ politique et imperceptible sur le champ de bataille contre le régime du président syrien Bachar el-Assad – Vladimir Poutine a proposé de mettre en place une coalition antiterroriste « qui aurait pour base les pays islamiques ». D’ailleurs, Moscou a d’ores et déjà organisé un centre de coordination de la lutte contre l’EI comprenant le gouvernement essentiellement chiite de l’Irak, l’Iran chiite, le gouvernement syrien et la Russie.
Pour ce qui est du « dossier ukrainien », politiquement explosif, l’homme fort du Kremlin ne s’y est arrêté que pour réitérer la position officielle de Moscou, selon laquelle il est indispensable d’appliquer l’Accord de Minsk. Mais Vladimir Poutine ne serait pas ce qu’il est s’il n’avait pas vilipendé une nouvelle fois « la mentalité des blocs » (qui se manifeste dans l’élargissement de l’Otan) et les tentatives de domination unilatérale sur le monde. Et si une heure plus tôt, Barack Obama a affirmé du haut de la tribune des Nations unies que les sanctions contre la Russie resteraient en vigueur, Vladimir Poutine a répliqué un peu plus tard : « Les sanctions unilatérales adoptées en contournant l’Onu visent des objectifs politiques et, en outre, permettent d’éliminer des concurrents économiques ». Ayant sans doute en vue les projets de création des zones de libre-échange transatlantique et transpacifique, il a condamné « la formation d’unions économiques exclusives fermées », en proposant d’examiner le sujet aux Nations unies et au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
« Il semble qu’on veuille nous placer devant un fait accompli : les règles du jeu ont été réécrites au gré d’un nombre restreint de pays. Ce qui risque de déséquilibrer l’économie internationale », a souligné le président russe, en laissant entendre qu’il engagerait des débats sur ce dossier au niveau du G20. Un format dont la Russie n’a pas été exclue, à la différence du G8. Moscou s’y manifestera vraisemblablement en commun avec Pékin, car les Etats-Unis ne cherchent pas à cacher que le partenariat transpacifique est créé dans une grande mesure en contrepoids à la puissance croissante de la Chine.
Vladimir Poutine a également fixé les priorités dans le contexte global : éviter toute ingérence dans les affaires de pays souverains et soutenir les gouvernements légitimes, surmonter la « mentalité de blocs » en faveur de l’intégration économique, lutter ensemble contre les défis globaux (qu’il s’agisse du changement climatique ou du terrorisme) et revenir à « la bonne volonté » figurant à la base des documents fondamentaux des Nations unies. Suite à cela, Vladimir Poutine était attendu pour une rencontre avec Barack Obama – la première dans le cadre de négociations officielles au cours des deux dernières années. Chacun des deux hommes devait convaincre son interlocuteur qu’il possédait cette « bonne volonté » envers l’interlocuteur. A en juger d’après le ton des discours du président américain (qui a mis l’accent sur la force et les défis) et du chef de l’Etat russe (qui est resté plus placide), la conversation qui les attendait s’annonçait difficile.
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