Image par Alexeï Iorch
La prochaine rencontre des dirigeants et chefs de gouvernement européens, prévue les 25 et 26 juin, ne changera sans doute pas la donne en ce qui concerne les relations entre l’Union européenne et la Russie. Les sanctions antirusses en vigueur seront probablement conservées, sans pour autant être élargies (à moins d’une aggravation de la situation dans le sud-est de l’Ukraine). Les principaux pays de l’UE, l’Allemagne et la Grande-Bretagne en particulier, ne souhaitent pas renoncer à faire pression sur la Russie, mais sont contraints de prendre en compte la réticence apparente de certains pays, dont la Grèce, la Hongrie et Chypre, à durcir les sanctions existantes. L’UE, de toute évidence, éprouve également une certaine lassitude à l’égard du pouvoir ukrainien actuel qui réclame de plus en plus d’aide, sans pour autant écouter les conseils de ses « amis européens », notamment en ce qui concerne le respect des accords de Minsk. Enfin, l’UE est consciente du rôle de la Russie dans le règlement des problèmes internationaux pressants (le programme nucléaire iranien, l’avancée de l’État islamique en Syrie et en Irak).
Globalement, il faut partir du principe que le « gel » des relations entre la Russie et l’UE pourrait durer assez longtemps, car il n’a pas été provoqué par les seuls événements d’Ukraine. Au contraire, dans une certaine mesure, la crise ukrainienne est le résultat des contradictions croissantes qui émaillent ces relations. La volonté des deux parties de coopérer, dictée surtout par les intérêts économiques, laissait petit à petit place à une concurrence à mesure que l’UE pénétrait dans l’espace post-soviétique sous l’impulsion de la logique du « nouvel empire européen » naissant. Il faut reconnaître que ce dernier est assez attractif, et c’est l’un des facteurs principaux de la « force douce », mais comme tout autre empire, tôt ou tard, il devait titiller son unique rival, la Russie. L’exemple de l’Ukraine est à cet égard très parlant car, pour la première fois de son histoire, l’UE s’est ouvertement lancée dans une lutte pour le projet d’« euro-intégration » d’un pays qui ne répondait absolument pas à ses critères d’adhésion.
L’idéologisation accrue, après la chute du communisme, de la politique extérieure occidentale faisant de la démocratie et des droits de l’homme, dans les pays occidentaux, une sorte de « religion laïque », a également renforcé la rivalité entre l’UE et la Russie au sein de l’espace post-soviétique. L’exportation de ce modèle est devenue un objectif majeur de sa politique extérieure. Dans ce contexte, les problèmes du jeune État ukrainien, notamment la cohabitation ardue des parties occidentale et orientale du pays, son régime économique oligarchique et la paupérisation de la population ont été ignorés au profit de l’établissement d’un régime « véritablement démocratique », vu comme la panacée contre tous ces maux.
L’élargissement de l’UE a, depuis le début, été soutenu par les États-Unis qui cherchaient par tous les moyens à limiter la renaissance à terme de la Russie comme grande puissance. L’intégration de l’Ukraine dans l’UE et, à l’avenir, dans l’organisation atlantique qu’est l’OTAN revêtait une importance particulière pour Washington, car la perte d’influence de la Russie sur l’Ukraine, affaiblissait considérablement ses positions dans cette région d’Europe.
C’est pourquoi l’affrontement de la Russie et de l’Occident sur l’Ukraine n’est pas près de s’effacer. En rattachant la Crimée et en apportant son soutien aux républiques populaires autoproclamées de Donetsk et de Lougansk, la Russie a tenté à freiner l’expansion de l’UE et de l’OTAN au sein de l’espace post-soviétique. Mais il se trouve que par là même, elle a posé les bases d’une certaine révision de l’ordre international en Europe. Évidemment, l’Occident se sentant plus fort, notamment sur le plan économique, cherche à l’en empêcher et recourt ainsi à une pression psychologique, politico-diplomatique et surtout économique sur la Russie.
L’histoire prouve que les situations de ce type sont réglées soit par la guerre, soit par le compromis. Dans le cas de la Russie et de l’UE, les parties devraient, tôt ou tard, parvenir à un compromis qui, naturellement, demandera des concessions de chaque côté. La nature de ces concessions dépendra surtout de la mesure dans laquelle la Russie « se pliera » (ou ne « se pliera » pas) sous la pression des sanctions.
À long terme, l’élaboration d’un nouveau modus vivendi est inévitable, car la Russie et l’UE ont besoin l’une de l’autre tant sur le plan économique que pour assurer la sécurité du continent. L’idée d’un espace économique unique allant « de Lisbonne à Vladivostok », proposée récemment par Angela Merkel et avancée précédemment par la Russie, en est la preuve. Il est désormais clair que la crise en Ukraine ne pourra être surmontée que par un effort conjugué. Dans leur majorité, les Russes appartiennent à la culture européenne, un fait rarement contesté. De plus en plus d’Européens comprennent que l’éloignement mutuel profite à certains pays tiers, en premier lieu les États-Unis, mais non à nos propres peuples. Il n’existe tout simplement pas d’alternative à la création patiente des conditions de notre nouveau rapprochement.
L'auteur est consultant du Conseil de l’Europe, docteur ès sciences juridiques et Envoyé extraordinaire et plénipotentiaire
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