Un futur gazoduc cher, mais fiable

La viabilité du gazoduc South Stream est-elle de plus en plus douteuse ? L'objectif-clé du projet est de garantir les approvisionnements de gaz de la Russie vers l'Europe. L'existence de South Stream permettra de se passer de n'importe quel itinéraire actif actuellement - et avant tout celui de l'Ukraine.

Cela ne signifie pas que Gazprom fait une croix sur le transit via l'Ukraine, mais la dépendance vis-à-vis des autorités ukrainiennes diminuera considérablement.

Ajoutez à cela que, dans les conditions d'une concurrence assez forte sur le marché gazier européen et l'anticipation par Gazprom d'une diminution des prix, les consommateurs européens pourront ne plus avoir peur d'une hausse des dépenses.

En 2014, les pays européens se sont beaucoup inquiétés des risques d'une interruption du transit par l'Ukraine. South Stream peut supprimer cette question de l'agenda pour les deux prochaines années, parce que le projet est bénéfique pour le consommateur européen.

Bien que d'un point de vue économique, ses caractéristiques puissent susciter de sérieuses questions. Il est notamment difficile d'imaginer que la mise en place du projet South Stream s'accompagne d'une augmentation du volume des livraisons de gaz depuis la Russie : le débit du nouveau gazoduc peut atteindre 63 milliards de mètres cube, et une telle hausse de la demande de gaz russe dans une perspective visible paraît peu vraisemblable.

La réalisation de ce projet est freinée par la période de transition du marché européen, ce qui a plongé South Stream au cœur de l'actuel contexte d'affrontement en renforçant sa coloration politique. Il est victime d'un double cyclone politique.

D'un côté, ces dernières années, la question se pose de son rapport avec le « troisième paquet énergétique », auquel la Commission européenne exige depuis longtemps que les États membres se soumettent.

En gros, dans le cadre de cette législation, la Commission ne peut pas interdire aux compagnies russes et bulgares de poser des tuyaux conformément aux accords internationaux conclus, mais elle peut faire en sorte d'interdire à ces tuyaux de livrer du gaz.

Au final, les autorités des pays participant au projet ont le choix : continuer les travaux en prenant le risque de provoquer de facto l'irritation de la Commission européenne, ou interrompre le travail et attendre.

Le gouvernement bulgare a choisi la seconde solution. Non sans que cela provoque un certain fracas, avec la menace de s'adresser à la justice.

Dans les faits, les autorités du pays ont montré à la Commission européenne que la Bulgarie est un acteur solidaire, mais en réalité,rien n'a été abandonné et cela ne menace pas vraiment les perspectives du projet.

Dans tous les cas de figure, il nous faut un compromis entre Gazprom et les autorités européennes, cependant il y a entre eux un conflit politique de fond : aucune des parties n'est prête à changer son modèle économique.

D'un côté, les Européens sont en droit d'exiger des compagnies qui se trouvent sur le territoire de l'Union de respecter la législation européenne. De l'autre, il y a des exemples contraires, par exemple l'activité de l’OPEP.

Cette organisation constitue un cartel dans toute sa splendeur, et les cartels sont strictement interdits en Europe. Cependant, cela n'empêche pas les Européens d'acheter aux compagnies des pays de l'OPEP du pétrole et du gaz, sans exiger d'autorisations supplémentaires.

Le deuxième niveau d'opposition est lié au conflit ukrainien. Malgré une envie évidente de diversification des approvisionnements en gaz, l'obtention de n'importe quel consensus entre les partenaires russes et européens est devenue beaucoup plus compliquée en raison d'une accumulation des tensions des deux côtés.

Malheureusement, de ce fait, le processus de recherche de solution pour le South Stream a été franchement ralenti. Au demeurant, l'intérêt des parties pour le projet permettra probablement de trouver un compromis, mais cela exigera désormais plus de temps, au moins quelques mois de plus et de gros efforts.

Alexandre Kourdine est directeur des études stratégiques sur l'énergie au Centre d'analyses du gouvernement russe.

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