Sentiment d’injustice, facteur de haine

Illustration : Natalia Mikhaylenko

Illustration : Natalia Mikhaylenko

Il y a 80 ans, en 1933, Adolf Hitler est devenu chancelier de l’Allemagne. En ce triste anniversaire, Fiodor Loukianov nous rappelle que le vaccin contre le fascisme n’est pas illimité.

Comment l’une des nations européennes les plus avancées a pu se laisser berner par ce populisme haineux et par des solutions aussi simplistes ? Cette question continue de tracasser les chercheurs. L’Europe en a certes tiré sa leçon, mais le vaccin est-il toujours actif ?

L’idéologie fasciste était basée sur la xénophobie dans sa forme la plus primitive, un nationalisme racial. Depuis, malgré tous les changements, le nationalisme comme moyen d’identification et de structuration de l’espace politique est toujours d’actualité.

Avec l’effacement progressif des frontières, dû à la mondialisation, les gens ont de plus en plus besoin de se raccrocher à des repères et aux traditions. L’identité nationale, avec une histoire, une culture, une religion commune, constituent une base idéale.

Les discriminations sociales accentuent le phénomène. Le problème des sociétés occidentales est que la classe moyenne, élément clé garant de la démocratie sociale, est en train de disparaître et de se scinder en deux couches distinctes.

D’un  côté, une classe cosmopolite qui a su tirer profit des opportunités proposées par la mondialisation de l’économie.

De l’autre, la partie de la population la plus nombreuse, amoindrie car devant faire face à une concurrence mondiale toujours croissante et au monopole asiatique de la main d’oeuvre bon marché ou encore à l’externalisation informatique vers l’Inde ou la Biélorussie. Cette couche sociale qui perd pied et qui vit dans la crainte pour son statut et son avenir constitue le noyau du mécontentement.

C’est elle qui a tendance à se tourner vers les mesures protectionnistes pour défendre ses moyens de subsistance sur le sol national. Sa haine peut être tournée vers différentes cibles : bureaucratie européenne, grandes entreprises internationales, oligarques rachetant la Riviera, immigrésmusulmans dont le nombre ne cesse de croître.

Le triomphe du fascisme, à la fin des années 1920, est directement lié à la Grande Dépression qui a touché le monde entier, mais ce n’était en fait que le déclencheur. Hitler a surtout su très bien exploiter le sentiment d’humiliation nationale et de défaite du peuple allemand au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Aujourd’hui, nous n’en sommes pas là et une telle guerre sur le territoire des pays développés est inimaginable, mais le sentiment d’injustice généralisé est un facteur tout aussi puissant.

Les jeunes Européens réalisent qu’ils vivront beaucoup moins bien que leurs parents, et leurs enfants encore moins. Le modèle de la société basée sur le slogan « prospérité pour tous », moteur de la croissance européenne depuis les années 50, a fait son temps. Le danger vient de cette impression de régression, de retour en arrière. De cette constante comparaison : hier, aujourd’hui, demain.

D’où la révolution conservatrice de la nouvelle génération : ne rien changer, garder tout comme avant. A l’opposé des slogans soixante-huitards qui exigeaient le changement.

Ces tendances, qui ne risquent pas de se dissiper de si tôt, avantagent les courants politiques extrêmistes, que ce soit de gauche ou de droite. Les uns fustigent les « engraissés », les autres les immigrés.

La Grèce est un exemple flagrant de cette triste réalité. Un pays en plein naufrage économique maintenu à la surface artificiellement. Lors des élections de 2012, ce sont les partis gauchistes et nationalistes qui ont gagné le plus de voix.

La polarisation politique en l’absence de solution réelle, cela donne les dernières années de la république de Weimar. La Grèce est un exemple extrême, les autres pays sud-européens n’en sont pas arrivés là, mais la situation est très semblable. Les dirigeants technocrates qui prennent à contre cœur des mesures draconiennes et serrent les dents dans la crainte des élections où le peuple ne manquera pas de se venger. La question est de savoir à quel moment les partis du centre passeront le cap et iront s’allier avec des partis extrêmistes pour les utiliser dans leurs intérêts. On a vu le résultat, en Allemagne.

Hitler est arrivé au pouvoir de manière démocratique. C’est la démonstration par excellence que la démocratie est un procédé, un instrument, et non pas une fin en soi, une panacée contre les problèmes sociaux. Sans une tradition démocratique ancrée et sans stabilité, une société n’est pas toujours capable de mettre le bon contenu dans l'enveloppe démocratique.

Vers la fin du XXe siècle, cette leçon pourtant si marquante, fut oubliée, remplacée par ce modèle démocratique brandi comme un trophée par les vainqueurs de la Guerre froide et érigé au rang de religion avec ses dogmes incontestables. Aujourd’hui, le Proche-Orient est le théâtre d’une nouvelle pièce historique qui, cette fois encore, risque de discréditer fortement la notion de démocratie.

Fiodor Loukianov, président du Conseil sur la politique étrangère et de la défense

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