Cinematriochka : L’Épouvantail de Rolan Bykov, panique sur les écrans soviétiques

Le 12 novembre 2014, l’acteur et réalisateur Rolan Bykov aurait fêté son 85e anniversaire. La carrière de réalisateur de Bykov débuta en 1962, à l’époque il ne pouvait imaginer que son nom et sa créativité viendraient symboliser le cinéma pour enfants. Tous ces films (à l’exception de son adaptation de la nouvelle de Gogol, Le Nez) parlent des enfants et s’adressent aux enfants. Ce sont principalement des contes bon enfant, mais son œuvre la plus importante et la plus célèbre est une satire sociale mordante et percutante, réalisée en 1983, L’Épouvantail (Tchoutchelo).

La cruauté et le harcèlement juvéniles intéressent autant les réalisateurs du cinéma grand public que ceux du cinéma d’auteur.

Le film estonien Klass, réalisé par Ingmar Raag, qui a fait sensation aux festivals internationaux du cinéma en 2007, Elephant de Gus van Sant, Carrie au bal du diable de Brian De Palma, Karaté Kid (1984, ainsi que le remake de 2010), Morse (du réalisateur Tomas Alfredson, 2004) et même les comédies franches et dépourvues de grandes idées comme Lolita malgré moi sont emprunts du thème de harcèlement à l’école.

En Russie, cette année marque la sortie de Correction Class réalisé par Ivan Tverdovsky, un metteur en scène issu du monde du film documentaire, tout comme la célèbre Valeria Gaï Germanica, auteure de Ils mourront tous sauf moi (2009). Mais le premier à s’être aventuré sur ce terrain dangereux fut Rolan Bykov.

Dans le cinéma soviétique, le thème du harcèlement n’était pas bien vu. Le héros idéal était un citoyen soviétique, jeune, mais exemplaire. Bien sûr, dans les films sur les pionniers soviétiques, il y avait des tyrans mesquins et des balances, mais à la fin du contre de fée, ils étaient toujours punis. Le bien triomphait à chaque fois.

Un enfant ne pouvait être aigri et cruel qu’à cause des circonstances extérieures, jamais à cause de son égoïsme naturel ou par sentiment d’impunité. La cruauté des enfants était principalement due au traitement que leur réservaient les adultes.

Par exemple, dans les films L’Enfance d’Ivan (d’Andrei Tarkovski, 1962) ou Requiem pour un massacre (d’Elem Klimov, 1985), les enfants sont endurcis et insensibilisés par la guerre.

L’intrigue de L’Épouvantail est brièvement présentée dans la vidéo. La scène qui montre les camarades de classe de Lena la poursuivre à travers la ville en chantonnant une chanson d’Alla Pougatcheva, puis bruler une effigie de Lena portant l’inscription « L’Épouvantail est un traitre » dans un grand feu est mémorable, et le rôle de Lena est joué par Kristina Orbakaïte, la fille d’Alla Pougatcheva.

Les producteurs et Kristina affirment qu’il s’agit là d’une coïncidence pure et que le réalisateur ne savait même pas qui était la mère de Kristina quand il la choisit pour ce rôle, puisqu’elle était accompagnée à l’audition par sa grand-mère. La vérité ne sera jamais connue, mais l’anecdote est intéressante. 

Outre Pougatcheva, alors superstar ne suscitant aucun sourcillement, la bande son comprenait des morceaux clairement antisoviétiques, tels que A Cowboy's Work Is Never Done de Sonny and Cher ou Venus de Shocking Blue. 

Non seulement la bande son comportait des titres des groupes pop et rock étrangers, mais ces chansons accompagnaient les scènes présentant « Punaise de fer et sa bande », comme pour souligner leur anti-héroïsme pionnier.

Le film fit fureur auprès du public soviétique qui se scinda en deux camps : l’un exigeait que le film soit détruit, car il «  tâchait l’honneur des enfants soviétiques », l’autre encensait le « courage » de Bykov et affirmait que le film offrait un portrait fidèle de ce qu’était devenue l’institution pionnière en 60 ans d’existence.

Le film rapporta environ 40 millions de roubles et fut l’un des derniers succèsde la période de la « stagnation ». En 1986, L’Épouvantail remporta le prix d'État de l'URSS, marquant ainsi la fin d’une époque, et le principal prix du Festival international du cinéma jeune public de Laon.

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