SLAVA POLOUNINE
LE MIRACLE DANS
LE QUOTIDIEN
Maria Tchobanov
août 2017
Russia Beyond a poussé la porte
du monde merveilleux créé à Crécy-la-Chapelle
(Seine-et-Marne) par le clown russe Slava Polounine.
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Si un jour on vous invite à faire un tour au Moulin Jaune à Crécy-la-Chapelle, surtout n'hésitez pas, vous risqueriez de rater une rare occasion de découvrir un lieu exceptionnel et de croiser un personnage fascinant : le clown le plus célèbre au monde, créateur du Slava's Snowshow, président de l'Académie des fous, l'inimitable Slava Polounine, qui est ici maître des lieux.
Moulin Jaune à Crécy-la-Chapelle
Slava est un véritable homme-fête, tout un univers merveilleux et fantastique débordant des idées les plus folles concentré dans un corps humain. La fête – c'est son style de vie, sa religion et son métier. Allergique à la vie « normale », il crée le miracle dans le quotidien pour le partager avec ceux qui sont capables de le percevoir. Et c'est très contagieux. Tel un aimant, Slava attire dans son orbite des gens qui n'ont pas peur de réaliser les projets les plus fous, de rêver et de faire vivre les rêves.

Le domaine du Moulin Jaune en est la preuve. Acheté par l'artiste il y a une quinzaine d'années pour realiser son projet de rêve, le vieux moulin, abandonné depuis 20 ans, à moitié détruit et situé sur un terrain de trois hectares au bord de la rivière, a été transformé en œuvre d'art et en laboratoire d'idées et de réalisations en tout genre par les artistes du monde entier.
« Il faut créer une petite oasis d'harmonie et l'élargir au fur et à mesure en repoussant ses frontières ».
« J'ai trouvé une formule où la nature, la vie quotidienne et la création sont entremêlées, il n'y a plus de frontières entre ces trois éléments. Il faut créer sa vie comme une œuvre d'art, mon laboratoire a été créé dans ce but. Ma recette personnelle pour la vie heureuse et constructive : il faut créer une petite oasis d'harmonie et l'élargir au fur et à mesure en repoussant ses frontières. C'est la seule manière d'exister dans ce monde, les autres n'aboutissent à aucuns résultats », explique Slava résumant sa philosophie existentielle.

Les résultats, ils sont palpables dans tous les recoins de ce jardin magique, qui fonctionne tout au long de l'année comme un terrain d'expérimentations artistiques où chaque projet réalisé laisse ses empreintes. « Tout ce que vous pouvez voir autour – c'est un prolongement de moi-même. Je suis un enfant et je joue avec mes jouets. Je ne fais jamais semblant d'être quelqu'un d'autre », précise cet homme aux cheveux blancs et au regard plein de tendresse.
Le jardin du Moulin Jaune a reçu en 2014 le label « jardin remarquable », attribué par le ministère de la Culture. Depuis quelques années, le domaine s'ouvre ponctuellement au grand public pour des événements à thèmes, où les visiteurs sont invités à être à la fois acteurs et spectateurs. Et le public s'y prête volontiers.

« Tous ceux qui viennent sont là pour le plaisir, il n'y a rien d'autre ici. Le but de tout événement est d'étonner et d'être étonné. Nous sommes un incubateur à idées, qui peuvent être développées par la suite à plus grande échelle dans d'autres villes ou pays »
, affirme Slava.
Les miracles ne s'éteignent jamais au Moulin Jaune. Le parc est divisé en dix zones, chacune avec sa couleur et ses surprises, et ses œuvres étonnantes nées d'une imagination hors du commun. Voilà un lit qui flotte sur les eaux troubles du Grand Morin qui longe le jardin, il est dépassé par une maison-radeau à la cheminée fumante. Plus loin, une bulle de savon géante au-dessus de l'eau accueille un promeneur las. Sans raison apparente, le brouillard se lève de l'herbe noire, cachant la carcasse d'un piano sinistre qui montre ses entrailles mortes aux passants. Les chaises suspendues, une installation qui fait penser à un nid d'oiseau-colosse, une maisonnette couverte de millier de nichoirs, une table en miroir qui donne l'illusion de flotter sur les nuages…
Nous nous sommes rendus au Moulin Jaune à l'occasion de la fête l'Art du Pique-Nique, organisée au début de l'été par l'équipe de Slava pour tester un nouveau concept - un pique-nique transformé en œuvre d'art.

Des cuisiniers professionnels et amateurs sont venus de différents coins du monde afin de préparer des festins thématiques pour les convives. Chaque zone du jardin a sa propre ambiance, servant de décor et définissant le thème. L'accompagnement sonore, les menus et les costumes des convives sont conçus pour créer un ensemble harmonieux. Des artistes venaient faire les performances, se mêlant aux hôtes. En fin de compte, on ne savait plus si on mangeait sur la scène d'un théâtre en créant la pièce en temps réel, ou si c'est le carnaval qui avait débarqué à notre table. La théâtralisation de la vie, comme Slava aime à définir ce genre de passe-temps.
On ne savait plus si on mangeait sur la scène d'un théâtre, ou si c'est le carnaval qui avait débarqué à notre table.
À chaque espace son ambiance, de quoi ravir les goûts de chacun.
Les visiteurs se prennent rapidement au jeu et se plongent volontiers dans cet univers unique.
Une table pittoresque pour un dîner des plus champêtres.
Alexandra Potapova, enseignante de littérature à la retraite, passionnée de gastronomie, est venue de Moscou pour préparer un repas sur le thème gitan.
Nous avons rencontré Alexandra Potapova à côté d'une grande marmite de soupe fumante. Enseignante de littérature à la retraite, passionnée de gastronomie et amoureuse de la Province française, elle est venue de Moscou pour préparer un repas sur le thème gitan.

« J'ai toujours aimé cuisiner et actuellement je travaille avec ma fille sur le projet L'école des hédonistes. Mon principe – vivre chaque minute de cette vie avec plaisir, j'essaie d'apprendre cela aux autres. Il y a quelques années, ma fille a fait connaissance avec Slava et nous avons compris que nous fonctionnions sur la même longueur d'onde. Depuis, nous avons participé à plusieurs projets montés au Moulin et nous adorons revenir ici et faire venir de Russie des groupes de gens qui aiment découvrir des endroits insolites et acceptent de redevenir des enfants, au moins le temps de la fête », a confié à RBTH Alexandra, en remuant la soupe parfumée sur fond de chansons bouillonnantes de passions interprétées par de véritables gitans.
Les tapis par terre, la roulotte peinte de couleurs vives, le flottement des jupes des danseuses, l'odeur du feu de camp – l'ambiance était envoûtante et les convives se disaient enchantés.
Yvan Gilardi, chef à domicile, est venu de Saint-Rémy-de-Provence pour réaliser le menu sur le thème de la transparence.
Dans une autre partie du jardin, Yvan Gilardi, chef à domicile très prisé venu de Saint-Rémy-de-Provence, œuvrait sur le thème de la transparence pour un groupe réuni autour d'une table en miroir sous un saule pleureur. Un carpaccio de Saint Jaques en marinade de citron et caviar avec crème au raifort en entrée, un dos de cabillaud cuit dans une feuille de riz avec sa crème aux coquillages au citron vert et des champignons râpés comme plat principal. Plutôt chic comme pique-nique.

« Je suis très occupé, mais, quand on m'a proposé de venir, j'ai regardé le site du Moulin sur internet et j'ai trouvé ça extraordinaire. Je découvre les lieux pour la première fois – c'est un vrai laboratoire, c'est génial de marier plein de choses, j'aimerais beaucoup y revenir », a commenté le chef sans détacher les yeux de ses assiettes transparentes, qu'il montait avec le soin d'un chirurgien et la grâce d'un artiste.
Repas sur le thème de la transparence.
Slava Polounine dans la zone mexicaine.
Une compagnie de gens de tous âges, sombreros sur la tête, venue fêter un anniversaire, a choisi l'ambiance mexicaine. Et ce sont deux chefs en herbe, les deux amis d'enfance Nikolaï et Dmitri, venus de… Londres, que nous avons trouvés aux fourneaux, plus exactement, devant le barbecue. L'un possède un business dans la restauration asiatique, l'autre est dans le commerce du bois, mais tous deux ont un point commun : ils adorent cuisiner.

« Nous avons trouvé l'idée très attractive, mais ce qui est vraiment génial ici – c'est l'équipe du Moulin et l'idéologie de ce lieu. Côtoyer des gens aussi créatifs est un vrai bonheur, et c'est assez instructif de voir de l'intérieur comment des fêtes d'une telle ampleur s'organisent », a souligné Dmitri.
Pour Roustam, venu d'Ekaterinbourg pour faire découvrir les plats ouzbeks et l'hospitalité orientale aux participants qui ont choisi la partie du jardin située à côté d'une vraie yourte, c'était la première rencontre avec la France.

« J'ai l'impression de m'être retrouvé dans un conte de fée, l'atmosphère est quasiment irréelle ! Je n'ai jamais vu un public aussi divers, spontané et accueillant. Je suis frappé de voir autant de gens fédérés autour de la même idée. C'est un vrai plaisir de partager ici le savoir-faire culinaire de mon pays. Grâce à cet événement j'ai pu rencontrer Slava et je peux jurer qu'il sait ce qu'il fait, c'est un vrai pro pour réunir les gens autour d'une idée, même la plus étonnante », affirme Roustam.
Thomas, le chef du restaurant parisien Ma salle à manger a choisi pour son intervention la zone noire du jardin, qui l'a séduit par son ambiance gothique.
Thomas, cuisinier professionnel employé au restaurant Ma salle à manger, Place Dauphine à Paris, a choisi pour son intervention la zone noire du jardin, qui l'a séduit par son ambiance gothique. Tout était noir sur les assiettes : salade tomate-mozzarelle noire, risotto noir à l'encre de seiche ; calamars à l'encre de seiche ; des barbes à papa noires et un gâteau noir. Les invités, au look de personnages tout juste sortis d'un film d'horreur noir et blanc, assis sur des chaises noires démesurées, avaient l'air très satisfaits de ce repas morbide. « Ils ont été étonnés, ce jardin fut une découverte pour mes hôtes. Moi-même j'étais très impressionné la première fois quand je suis venu : c'est magique, on ne verra pas cela ailleurs », affirme Thomas.

Dans la zone rouge, près de la pagode bouddhiste, le chef coréen enseignait les rudiments de la cuisine coréenne à un groupe aux vêtements écarlates. Près du sauna, les gens enveloppés dans des serviettes ou déguisés en matelots préparaient dans une marmite la soupe des pêcheurs et faisaient fumer des filets géants de poisson sauvage au feu du bois. Au pique-nique rabelaisien, les convives, déguisés en villageois moyenâgeux, préparaient de la viande à la broche…
La journée s'est terminée par une fête générale sur la piste de danse, installée sous le bateau suspendu à l'envers, une des installations originales de ce musée rempli d'objets extravagants, paradoxaux et délirants qui constituent la carte de visite du Moulin Jaune.

Comment cet espace va évoluer, même Slava n'en a aucune idée. « Ici tout change en permanence. Tout dépend des idées intéressantes qui peuvent survenir à n'importe quel moment. Nous ne sommes pas pressés et nous n'avons pas d'obligations, nous vivons, tout simplement. Quand je rends les gens heureux, je vole. J'aime les autres et les autres m'aiment – et nous volons ensemble », répond Slava, un sourire au milieu de sa barbe blanche.
Le président de l'Académie des fous, le maître des lieux Slava Polounine et des hôtes du Moulin Jaune.
Texte préparé par Maria Tchobanov.
Crédit photos : Maria Tchobanov, site Web du Moulin Jaune, Andrey Klimak, Aya Rufin,
Nastya Ivanova, Olga Baturina, Papisha.
Design et maquette par Flora Moussa.
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