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A
brikossov et fils

Histoire d'une ancienne maison de confiserie

La Société A. Abrikossov et fils est une ancienne maison de confiserie, l'une des plus grandes de Moscou à côté d'Einem (l'actuelle fabrique Octobre rouge), de la Maison Lenov (l'actuelle Rot Front) et de Siou et Cie (l'actuelle Bolchevik). Cependant, peu nombreux sont ceux qui savent que l'histoire de la Société a commencé par de simples friandises préparées pour la maîtresse de maison par le serf Stepan Nikolaïev, qui habitait un petit village de la région de Penza (aujourd'hui dans le district fédéral de la Volga).

Stepan préparait pour sa maîtresse, Anna Lévachova, des sucreries à base de baies et de fruits qu'il récoltait dans sa petite exploitation paysanne. Son grand succès, c'était la confiture et la pastila, une confiserie typiquement russe confectionnée avec du miel ou du sucre et des fruits ou des baies, en l'occurrence des abricots. Comme tous les serfs, Stepan n'avait pas de nom de famille, mais son savoir-faire dans le domaine des desserts à base d'abricots lui a valu le surnom d'Abrikossov. Ses descendants ont officiellement hérité du nom d'Abrikossov.

La ville de Penza. Début du XXe siècle.

Quelque temps plus tard, la maîtresse de maison donne à Stepan une certaine liberté contre paiement : elle le laisse partir pour Moscou, où il fonde son entreprise et paie chaque année une somme d'argent. Les affaires du paysan-confiseur marchent bien et, quelques années plus tard, Stepan collecte l'argent nécessaire pour racheter sa liberté et celle de sa famille.

En 1804, Stepan Abrikossov déménage définitivement à Moscou avec sa famille et continue à développer sa société, en se perfectionnant et en inventant sans cesse de nouvelles recettes.

Une entreprise familiale

Les Abrikossov travaillent en famille : Stepan, sa femme Fiokla, ses fils Ivan et Vassili et sa fille Daria. Ils livrent leur production à des soirées mondaines et des mariages de négociants. La famille devient de plus en plus célèbre et, bientôt, Stepan ouvre un magasin de fruits et confiseries.

Après la mort de Stepan, l'entreprise est dirigée par son fils aîné, Ivan, puis par son petit-fils, Alexeï. La famille vit dans l'aisance, la production s'élargit et se mécanise notamment avec l'apparition de machines à broyer les amandes et à presser la pastila. Les Abrikossov emploient déjà 24 ouvriers. Alexeï se rend lui-même au marché Bolotny et achète des baies et des fruits pour ses confiseries.

La production va croissant d'année en année : en 1871, la fabrication annuelle de l'entreprise atteint 445 tonnes, l'année suivante, elle arrive à 512 tonnes. La maison de confiserie d'Abrikossov figure sur la liste des grands producteurs de confiseries et pâtisseries, à côté des fabriques d'Einem, de Siou et Cie et de Georges Borman.

La compétition sur le marché des sucreries oblige les Abrikossov à perfectionner en permanence leur entreprise. En 1873, ils installent une machine à vapeur dans leur atelier et ce dernier devient une fabrique.

De gauche à droite : Alexeï Abrikossov, A. Abrikossov et N. Abrikossov, Ivan Abrikossov

Agrippina Abrikossov
La famille Abrikossov est grande et très unie : Alexeï et sa femme Agrippina ont 22 enfants (10 fils et 12 filles). En 1874, Alexeï remet la fabrique à ses fils Nikolaï et Ivan.

Dans les années 1880, la fabrique devient la plus grande maison de confiserie de Moscou et figure sur la liste des cinq plus gros producteurs, qui fournissent 50% de sucreries en Russie.

Outre Moscou et Saint-Pétersbourg, elle ouvre des magasins à Kiev, Odessa, Rostov-sur-le-Don et Nijni Novgorod. A Simféropol, en Crimée, la famille installe une succursale de la fabrique qui produit des confitures, des compotes, des marrons glacés, de la pâte d'amande et des noisettes confites.

Les secrets du succès

Pour augmenter les ventes, les Abrikossov ont recours à la publicité : ils insèrent des annonces dans les journaux, placent des pancartes sur les façades des maisons et font imprimer des calendriers de poche avec leur logo. Une grande attention est accordée aux relations entre le vendeur et les clients.

Toutefois, la grande fierté de la société, c'est l'emballage. Très variés d'après leur forme, portant des dessins originaux, les cartons et les boîtes en métal ou en bois ont une plus grande « longévité » que leur contenu : ne souhaitant pas s'en débarrasser, le client les garde chez lui même vides et les utilise comme boîtes de rangement ou comme pièces de décoration.

En 1899, la Société A. Abrikossov et fils, qui remporte pour la troisième fois le premier prix à l'Exposition industrielle-artistique de Russie, se voit attribuer le titre de Fournisseur de Sa Majesté l'Empereur avec droit de représentation des armoiries de la Maison Romanov sur ses emballages. Pour acquérir ce droit, la société devait fournir gratuitement pendant dix ans sa production pour les besoins de l'Etat et toujours faire bonne figure. Pour les clients, ce titre est devenu un symbole de qualité.

L'organisation de l'entreprise

La fabrique occupe plusieurs bâtiments de briques à l'angle des ruelles Bolchoï Ouspenski et Maly Ouspenski à Moscou. Dans l'un d'eux, qui compte deux étages, le rez-de-chaussée est occupé par l'atelier de chocolat et celui des pommes.
Au premier, il y a les locaux de production de la pastila, alors que le second étage assure la production de bonbons et de caramels. Le bâtiment jouxte l'atelier d'emballage et un foyer d'ouvriers. Au début des années 1900, l'entreprise emploie environ 2 000 personnes qui produisent des bonbons, des confitures, des pains d'épice et d'autres confiseries.

La fabrique disposait d'un véritable laboratoire qui élaborait les recettes de nouvelles sucreries et les procédés de fabrication. Alexeï Abrikossov a inventé les célèbres
« pattes d'oie » – un caramel multicouches fourré au chocolat et aux noisettes –, ainsi que les œufs de Pâques en chocolat avec une surprise pour les enfants à l'intérieur… dont s'inspire l'actuel Kinder Surprise.

La nationalisation

La Révolution d'Octobre 1917 et la guerre civile qui s'ensuit torpillent les activités de la Société A. Abrikossov et fils. La production baisse et en 1918, l'entreprise est nationalisée et rebaptisée : elle devient Fabrique de confiseries d'Etat N°2.

En 1922, elle se voit attribuer le nom de Piotr Babaïev, président du Comité exécutif du quartier Sokolniki de Moscou, et devient Fabrique Babaïev. Toutefois, la production porte toujours, quoiqu'entre parenthèses, l'inscription « ex-Abrikossov » : la marque déposée qui garantit la qualité permet de ne pas perdre les clients.

En 1928, les confiseries de Moscou subissent une division de la production fabriquée. Désormais, le chocolat est produit uniquement par la société Krasny Oktiabr, les biscuits par Bolchevik et les caramels par la Fabrique Babaïev. Pour réaliser le caramel, des appareils spéciaux sont achetés en Allemagne.


Les sucreries des Abrikossov étaient si célèbres en Russie avant la Révolution que le nom de la famille est cité par de nombreux écrivains de l'époque :

« …Remettant à sa tante un petit paquet ficelé et accroché au bouton supérieur de son manteau, il dit : - Permettez-moi de vous l'offrir pour le thé. A l'occasion de ma paie. « Queues d'écrevisses » d'Abrikossov. Je sais que vous les aimez. »

V. Kataev,
La Petite maison dans la steppe

Seconde Guerre mondiale

La guerre oblige de nombreux ouvriers et maîtres d'ateliers à partir au front. La production même se modifie en fonction des besoins de l'époque : l'entreprise lance la fabrication de semoules en briquets : de millet, de sarrasin et de riz. Ce n'est qu'après la fin de la guerre que la fabrique revient à la production de sucreries.

Dans le cadre des réparations de guerre exigées à l'Allemagne, l'Union soviétique se voit livrer des équipements d'entreprises allemandes, notamment de confiseries.

Certains de ces matériels sont installés à la Fabrique Babaïev qui lance la fabrication de chocolats. L'atelier de chocolat grandit progressivement et devient, au début des années 1970, l'un des meilleurs dans le pays. La gamme des produits et leurs quantités sont définies par le Comité du plan d'Etat.

L'entreprise actuelle

Le début des années 1990 est une période difficile pour l'entreprise. Suite à la désagrégation de l'Union soviétique, les relations économiques entre les entreprises et les républiques qui leur fournissaient des matières premières sont rompues.

La fabrication se réduit, mais la société continue de fonctionner. A la fin de la décennie, la Société de confiserie Babaïev renoue avec le succès et lance des produits célèbres à l'époque soviétique, comme Alionka, Vdokhnovenie ou Radi.

En 1993, les descendants d'Alexeï Abrikossov décident de ressusciter la fabrication familiale et de ressortir les vieilles recettes de leurs ancêtres, perdues pendant la nationalisation de la fabrique et les péripéties de l'après-guerre. Le monde moscovite de la confiserie voit réapparaître la Société A. Abrikossov et fils.






L'architecte Boris Chnaoubert a réalisé spécialement pour la famille Abrikossov une maison moderniste dans la rue Malaya Krasnosselskaya. Il a pris pour modèle l'hôtel particulier de Madame Gilbert à Paris. La maison des Abrikossov existe toujours et ses formes sont reprises par le logo de l'entreprise.


Aujourd'hui, l'entreprise est dirigée par Dmitri Abrikossov, arrière-arrière-petit-fils d'Alexeï et petit-fils de Boris Abrikossov. En 2009, il lance la fabrication de produits sous le label « Société A. Abrikossov et fils », notamment de bonbons au chocolat « Pouchkine » que la famille fabriquait depuis 1872.

Outre la direction de la société, Dmitri Abrikossov s'occupe d'organiser des visites et des conférences intitulées « L'histoire de la Russie en chocolat » pour évoquer les traditions commerciales d'antan, présenter des recettes et faire goûter les sucreries de la Maison.


Texte préparé par Tatiana Chramtchenko.
Crédit photos : Archives personnelles de Dmitri Abrikossov.
Design et maquette par Ekaterina Tchipourenko.
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