"Phrases et... bases", affiche de l'époque de la Guerre froide
Getty Images« Le discours des politiciens et des hauts responsables militaires devient de plus en plus martial, les doctrines sont formulée de façon de plus en plus agressive… On peut voir tous les signes d’une Guerre froide ».
Le dernier dirigeant de l’URSS Mikhaïl Gorbatchev, qui a déjà plus d’une fois mis en garde contre l’arrivée d’une nouvelle Guerre froide, tire à nouveau la sonnette d’alarme : « À force de crier au loup, cette notion a fini par perdre sa force », écrit le politologue Fiodor Loukianov à propos des références permanentes à la Guerre froide que l’on constate aujourd’hui. Cependant, le politologue ajoute : « Mais cette fois-ci, le président de l’URSS a raison ».
La rhétorique des représentants de la Russie et des États-Unis a bel et bien perdu toute mesure, et les chefs des deux pays parlent de « confiance mutuelle perdue ». Et bien que les experts voient effectivement des similitudes frappantes avec la Guerre froide, ils sont nombreux à affirmer que l’époque actuelle est encore moins stable que cette dernière.
Le principal point commun entre la Guerre froide et la situation actuelle se trouve dans les tensions qui parcourent la situation géopolitique globale, et dans la transformation de cette tension en conflits locaux dans différentes régions du monde, en particulier en Syrie et en Ukraine. Mais même dans une situation de défiance croissante entre la Russie et les États-Unis, l’absence de composante idéologique dans leur affrontement pousse les experts à ne pas évoquer trop vite le début d’une nouvelle Guerre froide.
« La grande différence, c’est qu’à l’époque, les deux mondes étaient largement isolés l’un de l’autre, alors que nous avons aujourd’hui assez largement la même vision du monde », explique à RBTH Mark Galeotti, chercheur en chef à l’Institut des relations internationales de Prague.
D’après cet expert, il n’est pas question aujourd’hui du déclenchement d’une nouvelle Guerre froide, malgré tous les signes que l’on pourrait interpréter de façon prématurée comme les présages d’un retour à une confrontation globale.
Ce n’est cependant pas la seule chose qui différencie l’époque actuelle de celle qui a vu Russes et Américains s’opposer dans la seconde moitié du XXe siècle. « La Russie et les États-Unis demeurent les deux plus grandes puissances nucléaires du monde, mais le rôle de la puissance militaire est passé au second plan ces trente dernières années. […] On trouve dans le système international moderne de très nombreux acteurs dont les États-Unis et la Russie ne parviennent pas à se faire obéir », déclare à RBTH Boris Stremline, professeur de relations internationales et spécialiste de l’histoire de la Guerre froide.
En d’autres termes, la Russie et les États-Unis ne peuvent pas résoudre les questions internationales de façon bilatérale, sans impliquer d’autres acteurs globaux ou régionaux. L’époque des décisions prises après des négociations en tête-à-tête a pris fin avec la chute de l’URSS, et la résolution efficace des situations de crise exige aujourd’hui l’implication d’un nombre toujours croissant de parties intéressées. Selon les experts, c’est précisément cette spécificité qui rend la situation contemporaine si dangereuse et imprévisible, et pousse à s’accrocher inconsciemment à l’époque de la Guerre froide comme à une sorte de point de repère.
« L’ironie de la situation est que même si les Occidentaux recommencent à utiliser les stéréotypes de la Guerre froide pour représenter la Russie comme une menace, le concept même de Guerre froide est un pis-aller pour détecter les lignes de force du monde, ce dernier s’avérant bien plus complexe et difficile à comprendre », affirme à RBTH Anton Fediachine, directeur de l’Institut de culture et d’histoire russe à l’Université américaine de Washington.
Aujourd’hui, alors que la menace terroriste pèse sur tous sans exception, « le monde bipolaire de la Guerre froide a l’air d’une période de relative stabilité, où l’ennemi était connu et où l’on pouvait négocier avec lui », affirme Fediashine. « Les conflits sont aujourd’hui bien moins circonscrits dans leur potentiel de développement ».
Malgré la rhétorique agressive de l’époque de la Guerre froide, les États-Unis et l’URSS s’entendaient sur une gestion collective du monde, considère Boris Stremline. « Aujourd’hui, la principale cause du retour d’un conflit [entre les États-Unis et la Russie, ndlr] est le fait que personne ne sait comment continuer à diriger le monde, ce qui entraîne des tensions ».
Dans ces circonstances, l’une des questions les plus pressantes est de savoir si les dirigeants russes et occidentaux auront besoin d’une crise de l’ampleur de celle de Cuba pour mettre en place un nouveau système de gestion des situations de crise, voire même un système de coopération, fait remarquer M. Loukianov. Et pendant que les chercheurs parlent de l’importance de coopérer, il semble pourtant que les politiciens n’aient aucune intention de renoncer à leur jeu de « Guerre froide 2.0 ».
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