«La Russie est prête à coopérer avec l’opposition syrienne»

Smoke rises after strikes on rebel-held Deraa city, Syria March 10, 2017

Smoke rises after strikes on rebel-held Deraa city, Syria March 10, 2017

Reuters
Malgré les nombreuses tentatives entreprises par les intermédiaires internationaux, dont la Russie, pour trouver un règlement politique au conflit syrien, les combats se poursuivent entre le gouvernement, l’opposition, les groupes terroristes et les troupes étrangères. Dans un entretien avec RBTH, l’orientaliste Leonid Issaïev présente son avis sur les négociations à Genève, les relations entre la Russie, l’Iran et la Turquie ainsi que le sort de l’État islamique.

Le cinquième tour des négociations entre le gouvernement et l’opposition de Syrie s’est tenu du 23 au 31 mars à Genève, la Russie y jouant le rôle de médiateur. Parallèlement, en 2017, la Russie a organisé avec la Turquie et l’Iran trois tours de négociations à Astana sur la question du cessez-le-feu. Cependant, à Genève, les parties ne parviennent pas pour le moment à trouver un dénominateur commun : les représentants du gouvernement insistent sur le fait que tant que les terroristes n’auront pas été vaincus en Syrie, il est inutile d’aborder les questions politiques, alors que l’opposition ne parvient même pas à former une délégation unique.

Leonid Issaïev. Crédit : Archives personnellesLeonid Issaïev. Crédit : Archives personnelles

RBTH : À votre avis, a-t-on enregistré des progrès dans le règlement du conflit syrien aujourd’hui ? Astana a-t-elle apporté des éléments constructifs supplémentaires par rapport à Genève ?

Leonid Issaïev : Les négociations d’Astana visent essentiellement les questions techniques, elles permettent de contrôler le régime de cessez-le-feu. Le nombre d’affrontements entre le gouvernement et l’opposition a effectivement baissé en 2017 (suite à l’instauration du cessez-le-feu le 30 décembre 2016), et ce en grande partie grâce à Astana, mais il est reparti à la hausse ces dernières semaines. Le régime de cessez-le-feu est de moins en moins respecté. C’est logique : la trêve est recherchée pour obtenir des progrès dans les négociations, et ces progrès tardent à venir.

La conception d’une constitution pour le pays figure parmi les initiatives proposées par la Russie dans le cadre du règlement syrien, mais les Syriens ont accueilli ce projet avec scepticisme. À quoi une telle démarche servait-elle ?

C’était une très bonne idée, mais elle a été très mal exécutée. Nous avons proposé de lancer le processus de dialogue constitutionnel et d’élaborer ses principes fondamentaux. Pour commencer, nous avons présenté notre projet. Il a clairement été écrit à la hâte. La plupart des articles de ce projet sont de nature universelle et peuvent être proposés à n’importe quel pays du monde, tant à la Corée du Sud qu’aux États-Unis. Il faut comprendre que le projet n’était pas si important en soi et Moscou n’insistait pas sur son adoption dans sa forme actuelle. L’initiative constitutionnelle russe doit être comprise surtout comme une invitation à un dialogue sur le fond – nous souhaitions que le gouvernement et l’opposition proposent également leurs propres projets.

Cependant, nous avons présenté cette initiative d’une très mauvaise manière : nous n’avons rien expliqué à personne, nous avons simplement préparé un projet de constitution à la hâte et l’avons brusquement remis à l’opposition syrienne à Astana en nous contentant de commentaires formels. Il aurait fallu au moins y préparer les Syriens. Au final, notre décision a donné lieu à des tas de rumeurs et spéculations. L’opposition estime désormais que la Russie veut faire la même chose en Syrie que ce que les États-Unis ont fait en Irak – imposer sa constitution et obliger la population à vivre selon des règles du jeu conçues à l’extérieur.

Lorsque nous avons parlé du conflit syrien à l’automne 2016, vous avez mentionné que la Russie n’était pas perçue comme un intermédiaire, mais comme l’une des parties au conflit qui soutient, évidemment, Assad et détruit ses ennemis. À votre avis, la situation a-t-elle évolué depuis ?

La Russie voudrait certes être perçue comme une partie neutre, mais on ne peut pas faire table rase du passé. Pendant longtemps, nous étions clairement positionnés en faveur d’Assad, avions peu de contact avec l’opposition et n’avions pas de réelle possibilité d’exposer notre position. Nous cherchons actuellement à y remédier. La politique russe en Syrie évolue. Nous ne sommes plus aussi clairement du côté d’Assad, nous sommes prêts à coopérer avec l’opposition, même avec ceux que nous considérions auparavant comme des terroristes. La Russie doit convaincre l’opposition que nous voulons réellement jouer un tout autre rôle dans ce conflit, celui d’intermédiaire, plutôt que de partie au conflit.

Le président iranien Hassan Rohani s’est rendu à Moscou les 27 et 28 mars. Comment les relations russo-iraniennes sont-elles affectées par la situation actuelle, Téhéran étant vivement critiqué par Israël, l’Arabie saoudite et, depuis l’arrivée de l’administration de Donald Trump, les États-Unis?

Les tensions autour de l’Iran ne doivent à mon avis en rien affecter les relations russo-iraniennes. D’une certaine manière, c’est notre point fort : nous menons un dialogue avec l’Iran et avons donc la possibilité de comprendre leur point de vue et, éventuellement, de l’exposer aux pays qui ne mènent pas ce dialogue. C’est important puisque l’Iran est l’un des principaux acteurs au Proche-Orient. Il faut prendre en compte ses intérêts, mais pour les prendre en compte, il faut les comprendre. Il en va de même dans les relations avec Damas. Nous avons des informations que les autres n’ont pas et c’est là que réside l’utilité que nous pouvons apporter au règlement politique.

La question de la Turquie et des Kurdes constitue une autre situation où la Russie se trouve entre des parties qui peinent à trouver un terrain d’entente. Dans le nord de la Syrie, la Russie et les États-Unis servaient en quelque sorte de « tampon » entre la Turquie et les Kurdes. La Russie peut-elle conserver de bonnes relations avec la Turquie et soutenir les Kurdes à la fois ?

Elle doit le faire. Regardez les Américains : leur situation est encore plus délicate. D’un côté, la Turquie est l’un de leurs partenaires stratégiques dans la région, elle est membre de l’Otan. D’un autre côté, il y a les Kurdes qui, avec le soutien américain, obtiennent des résultats impressionnants dans la lutte contre l’EI et mènent une offensive contre Raqqa. Tant l’administration d’Obama que l’administration de Trump cherchent à préserver l’équilibre.

Pourquoi la Russie n’en ferait-elle pas autant ? Depuis l’époque des tsars, nous avons de bonnes relations avec les Kurdes, elles ont été préservées à l’époque soviétique et se maintiennent aujourd’hui. Officiellement, la Russie n’a jamais soutenu l’idée d’un État kurde, mais elle a toujours affirmé que le problème des Kurdes, le plus grand peuple ne disposant pas d’un État, doit être réglé. Il serait absurde de rompre les liens avec les Kurdes, même si le dialogue avec la Turquie s’est amélioré. D’autant que les relations entre Moscou et Ankara restent toujours fragiles.

Pourquoi ?

Très franchement, à mon avis, les relations russo-turques dépendent à tel point des relations personnelles entre Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan que leur frontière est désormais trop floue. Les deux dirigeants montrent la volonté politique de préserver de bonnes relations et c’est, à mon sens, ce qui a prédéterminé le niveau anormalement étroit de coopération entre les deux pays.

Les forces pro-kurdes, avec le soutien des États-Unis, mènent actuellement une offensive contre Raqqa, la capitale syrienne de l’EI. À votre avis, la défaite militaire des islamistes en Syrie est-elle proche, et quel sera leur sort par la suite ?

Je pense que la défaite militaire de l’EI est proche. Mais que se passera-t-il une fois qu’ils auront été battus ? Ils seront sans doute remplacés par d’autres terroristes, comme l’EI a, à l’époque, éclipsé Al-Qaïda. Pour vaincre le terrorisme en Syrie et en Irak, il faut s’attaquer aux problèmes profonds dans ces pays. Je ne pense donc pas que la guerre contre l’EI menée actuellement par les acteurs mondiaux puisse régler les problèmes à l’origine de l’émergence des djihadistes. C’est une lutte contre les conséquences, pas contre les causes.

Les causes doivent être combattues par les élites politiques des pays du Proche-Orient, qui doivent créer des conditions de vie confortables et favorables pour leurs propres citoyens, annihilant ainsi l’attrait des slogans extrémistes. La Russie et l’Occident ne peuvent que les aider à y parvenir, rien de plus. 

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