Candidate à la direction de l’Onu : «Je veux actualiser ma vision de la Russie» 

EPA
Helen Clark, directrice du Programme des Nations unies pour le développement et candidate au poste de secrétaire général de l’Onu, nous parle du développement durable, de la Syrie, de la prévention des conflits et des tendances dans la région Asie-Pacifique et en Russie.

Fiodor Loukianov : Les crises les plus graves du monde actuel sont dues à l’incapacité des Etats et des régions de garantir un développement durable. Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) élabore régulièrement des rapports sur le développement. En tant que directrice du PNUD, comment évaluez-vous la situation concernant le développement dans le monde ? 

Helen Clark : La plupart des problèmes traités par le Conseil de sécurité viennent d’une forme de déficit sous-jacent de développement. Dans le cas des Etats particulièrement fragiles, nous sommes face à un mélange de facteurs. L’extrême pauvreté n’y est pas confinée dans un vide – on y constate les problèmes d’un Etat faible conjugués à un manque d’Etat de droit et de respect de l’ordre public. Certains de ces Etats sont très exposés aux catastrophes naturelles. Ensemble, ces choses provoquent des troubles.

Ce sont des zones où le PNUD travaille à la demande des gouvernements. Nous pouvons les aider à renforcer l’administration publique, la prestation de services, la justice. Nous pouvons les aider à développer les forces de police pour qu’elles puissent travailler aux côtés des communautés et dans leurs intérêts. Il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire, outre le travail socio-économique, pour la croissance inclusive et la protection sociale.

F.L.: Etes-vous satisfaite du niveau d’implication des membres de l’Onu, particulièrement des grandes puissances ? 

H.C.:Malheureusement, les crises et les catastrophes attirent des ressources qu’on préférerait largement investir dans les sociétés stables qui cherchent à développer leurs économies, y inclure tout le monde et améliorer leurs systèmes de santé et d’éducation. Pourtant, dans les conditions actuelles, tant d’argent destiné au développement est détourné vers d’autres missions, comme l’aide humanitaire…

C’est une chance qu’en Syrie, plusieurs partenaires aient été prêts à aider, à rétablir l’eau, l’approvisionnement en électricité, nettoyer les zones, travailler afin de créer des opportunités pour les jeunes, émanciper les femmes et travailler avec les groupes les plus vulnérables.

Nous avions de l’argent pour tout cela. En Irak également, dans les zones libérées de Daech[organisation interdite en Russie, ndlr], le PNUD a la capacité, qui devient assez importante, d’aider les communautés à se réinstaller et à reprendre leur vie.

Mais le coût de tout cela est élevé pour les pays eux-mêmes et l’argent du développement est détourné de tant d’autres parties du monde qui en méritent tout autant.

L’Onu et les grandes puissances 

F.L.: Etes-vous satisfaite de la manière dont les grandes puissances contribuent à l’efficacité de l’Onu ? 

H.C.: L’Onu fonctionne le mieux lorsque les tensions entre les grandes puissances sont à leur minimum. Quand il y a des tensions, le consensus est plus difficile à atteindre au sein du Conseil de sécurité. Et je pense qu’un objectif important du secrétaire général est de toujours chercher à rapprocher les membres et à jeter des ponts qui contribuent à un climat de confiance.

F.L.: La confiance est un atout rare de nos jours. Pensez-vous que le secrétaire général puisse être perçu comme une entité neutre, à équidistance de toutes les principales puissances ? 

H.C.: Le secrétaire général doit clairement être perçu comme quelqu’un capable de s’élever au-dessus des différences au sein du Conseil de sécurité et parmi les membres des Nations unies. Le rôle du secrétaire général est de chercher à aider les Etats membres à trouver des accords.

Il est extrêmement important d’être politiquement neutre et, pour le PNUD, cela a été un principe fondamental depuis que je suis ici – le PNUD est hors de la politique. Nous sommes fiers d’être en mesure d’accomplir notre mission de développement humain et durable dans tous les contextes politiques. Ce n’est pas toujours facile, mais nous y parvenons.

F.L.: Pensez-vous que vous comprenez l’état d’esprit et la logique de la Russie, de ses dirigeants et de son opinion publique ? 

H.C.: Avant de rejoindre le PNUD, j’ai été liée à la Russie principalement à travers le prisme de l’APEC (Coopération économique pour l'Asie-Pacifique) et de la Communauté économique d’Asie-Pacifique. C’était une expérience constructive, car c’est l’intérêt commun pour la paix et la prospérité qui unit les gens en Asie-Pacifique. C’était très concentré sur la coopération économique.

Lorsque j’ai rejoint le PNUD, l’une des premières choses que je devais faire, en accord avec la Russie, était de fermer le bureau du PNUD [là-bas], car il ne servait pas un but utile. Et pour moi, le PNUD devait traiter la Russie comme un partenaire stratégique pour le développement et travailler avec elle dans les pays tiers. Nous avons pu conclure un accord-cadre de partenariat et créer un fonds fiduciaire Russie-PNUD. Ce sont les [quelques] façons dont j’ai [interagi] avec la Russie.

Si l’on retourne dans mes années étudiantes, j’ai étudié les grandes puissances à l’université. Nous avons étudié la Russie et l’Union soviétique et j’ai beaucoup travaillé sur ces sujets. Ensuite, la Russie a connu des changements, donc on s’efforce d’avoir une vision actuelle de ce qu’est la Russie moderne et de ce que pensent sa population et ses dirigeants.

L’une des raisons pour lesquelles je suis venue en visite en tant que candidate pour le poste de secrétaire général est d’actualiser ma connaissance de ce que pensent les gens qui étudient et pratiquent la politique étrangère russe.

Pivot vers l’Asie

F.L.: A votre avis, que se passera-t-il dans la région d’Asie-Pacifique d’ici 2030 ? 

H.C.:Premièrement, la Nouvelle-Zélande souhaitera toujours un accord commercial inclusif. Elle négocie le Partenariat transpacifique (TPP). En fait, les négociations sur le TPP ont été lancées à la fin de mon mandat de premier ministre de Nouvelle-Zélande et mon gouvernement a élaboré l’original de l’Accord de partenariat économique stratégique transpacifique entre la Nouvelle-Zélande, le Chili, Singapour et le Brunei (signé en 2005).

Nous avons entrepris ces accords avec de grandes frustrations en raison des blocages des cycles de négociation de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). La préférence pour l’OMC est certainement de conclure un cycle en succession au cycle d’Uruguay. Mais le plus juste serait d’avoir un cycle de commerce mondial qui puisse inclure tout le monde.

Dans le Pacifique, la Nouvelle-Zélande était la première économie occidentale développée à négocier, puis à signer un accord de libre-échange avec la Chine. Si un cycle de l’OMC continue à rester hors de portée, alors un cycle en Asie-Pacifique, qui compte quelque 60% de la population mondiale, aurait un immense impact.

F.L.: Ne craignez-vous pas que le TTP pourrait générer une nouvelle ligne de division entre la Chine et le reste de la région ? 

H.C.:Je ne crois certainement pas que cela pourrait avoir cet impact-là sur mon pays, car il a déjà un accord de libre-échange avec la Chine et je pense que le TTP doit être ouvert pour que les autres puissent s’y joindre et en faire également partie.

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