Assad à Moscou, une partie d’échecs au plus haut niveau

Le 20 octobre 2015 : Le président russe Vladimir Poutine (à dr.) et le président syrien Bachar el-Assad au Kremlin avant leur rencontre.

Le 20 octobre 2015 : Le président russe Vladimir Poutine (à dr.) et le président syrien Bachar el-Assad au Kremlin avant leur rencontre.

AP
L’opération militaire russe en Syrie s’accompagne d’une offensive diplomatique sans précédent de Moscou. La visite inhabituelle du président syrien Bachar el-Assad dans la capitale russe et sa conversation avec le président russe Vladimir Poutine ont pris les Etats-Unis et leurs alliés au dépourvu.

Le service de presse du Kremlin et l’administration présidentielle de Damas ont révélé hier les détails de la visite éclair sensationnelle de Bachar el-Assad à Moscou. Il ressort des communiqués de la chancellerie du président syrien que trois rencontres ont eu lieu entre Bachar Al-Assad et Vladimir Poutine : une rencontre bilatérale fermée, une rencontre élargie, et un dîner de travail. « Le peuple syrien est pratiquement le seul à opposer une résistance, à se battre contre le terrorisme international depuis déjà plusieurs années, il subit de lourdes pertes mais ces derniers temps, il obtient aussi de réels résultats positifs dans cette lutte », a estimé Vladimir Poutine au sujet de la situation en Syrie lors de sa rencontre avec Assad. Il a confirmé que Moscou était prêt à « peser de tout son poids sur le processus politique » en Syrie et a précisé qu’il convient de viser un « apaisement à long terme ».

La rencontre au Kremlin a été reçue assez froidement en Europe. « La Russie doit explorer des perspectives qui permettront de sauvegarder l’Etat syrien », a déclaré le ministre des affaires étrangères allemand Frank-Walter Steinmeier. Washington a réagi de façon négative à la visite du leader syrien à Moscou. « La Russie n’aurait pas dû dérouler le tapis rouge pour Assad, qui a utilisé des armes chimiques contre son propre peuple », a indiqué la Maison Blanche.

Même réaction du côté d’Ankara : « Il aurait mieux valu qu’Assad reste plus longtemps à Moscou, pour que le peuple syrien puisse respirer sans lui », a déclaré le premier ministre turc Ahmet Davutoglu.

Signal politique

« La rencontre au Kremlin est avant tout un signal, indiquant que Bachar el-Assad demeure le partenaire privilégié de Moscou. Sa visite doit mettre fin aux discussions concernant son départ anticipé », affirme Andreï Fedorov, ancien adjoint au ministre des affaires étrangères russe et directeur du Centre d’Etudes Politiques. « Ensuite, c’est un geste important en direction de l’Iran, qui craignait encore récemment que la Russie puisse, à un moment donné, se servir d’Assad comme monnaie d’échange avec les Occidentaux. »

Selon l’expert, les circonstances mêmes de la visite revêtent une signification particulière. « C’était une visite publique. Même si elle n’avait pas été annoncée à l’avance, nous n’avons pas essayé de la dissimuler, même si nous aurions pu le faire. En ayant recours à cette visite inhabituelle de Bachar el-Assad au Kremlin, Moscou abat définitivement ses cartes », ajoute M. Fedorov.

Rendez-vous à Vienne

La rencontre des chefs des diplomaties russe, américain, saoudien et turc prévue à Vienne le 23 octobre montrera si le Kremlin parviendra à tirer un avantage d’un geste aussi inattendu. La proposition d’organiser cette rencontre est venue de la partie américaine. Les négociations de Vienne seront un élargissement du format de négociation testé pour la première fois au Qatar : lors de cette première rencontre, le ministre des affaires étrangères russe Sergueï Lavrov, le secrétaire d’Etat américain John Kerry et le ministre des Affaires étrangères saoudien Adel al-Joubeir avaient participé aux discussions. Lors des négociations de Doha, Sergueï Lavrov avait révélé pour la première fois les détails du plan de neutralisation des islamistes élaboré par Vladimir Poutine, qui consistait à former une large coalition impliquant les armées syrienne et irakienne, les kurdes et les pays de la région. Cependant, ce plan n’a pas été accepté par la coalition dirigée par les Etats-Unis, à la suite de quoi la Russie a débuté en solitaire ses opérations en Syrie. Selon le quotidien russe Kommersant, Moscou propose d’inviter d’autres pays à Vienne, en particulier l’Iran. Cependant, selon les informations disponibles, les Etats-Unis ne sont pas enthousiastes à l’idée d’inclure Téhéran aux négociations. Seule la Turquie a été invitée à Vienne.

Texte original publié sur le site de Kommersant 

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