Un pilote russe d'un Su-25M à la base militaire de Hmeimim, en Syrie.
AP Photo/Alexander Kots, Komsomolskaya PravdaLes frappes aériennes de la Russie sur ce qu’elle prétend être des cibles de l’EI en Syrie montrent que Moscou souhaite engager l’Occident dans ce qu’elle nomme le combat commun contre le terrorisme islamiste. Cette démarche a également provoqué une certaine confusion en ce qui concerne la possibilité d’associer à nouveau l’Occident dans une coopération multilatérale, allant du dialogue politique au commerce, partenariat rompu par la guerre des sanctions suite au rôle du Kremlin dans le conflit ukrainien.
L’amélioration de la situation en Russie arrive toutefois au même moment les hostilités dans l’Est de l’Ukraine perdent en intensité, ce qui semble être le produit d’efforts diplomatiques concertés entre les leaders ukrainien, allemand, français et russe pour assurer la mise en œuvre des accords de paix de Minsk signés en février.
Le sommet entre les quatre nations, qui a eu lieu à Paris à la fin de la semaine dernière, a été remarquablement vidé de tout échange d’invectives, avec très peu ou pas d’accusations à l’encontre de Moscou pour son rôle de protecteur des républiques autoproclamées de Donetsk et Lougansk.
Le discours des quatre leaders peut se résumer à deux observations : « Aucun des articles de Minsk n’a été complètement respecté » (Angela Merkel), mais certains progrès ont été réalisés sur les aspects militaires du document (François Hollande).
Le message clé du sommet de Paris reste cependant qu’il n’y a aucun signe d’amélioration concernant l’élément crucial de l’accord, à savoir la réforme politique. En substance, ces réformes visent à modifier la constitution ukrainienne afin de l’adapter aux demandes de Donetsk et Lougansk, qui exigent un statut spécial garantissant le respect des droits de l’Homme, notamment les droits des minorités ethniques (en l’occurrence des russophones).
De plus, l’Allemagne et la France ont indiqué que le calendrier pour la mise en œuvre des accords de Minsk pouvait être prolongé, ce qui donne un peu plus de marge de manœuvre aux différents camps.
Le lien entre les progrès timides sur le front ukrainien et les frappes aériennes sur des cibles en Syrie est à rechercher dans l’énorme afflux de réfugiés vers l’Europe. L’arrivée soudaine de milliers de citoyens syriens et irakiens démunis est le résultat de l’extrême insécurité et de l’anéantissement de l’ordre public dans ces deux pays, qui voient un tiers de leurs territoires sous le contrôle du groupe radical État islamique (EI).
La relégation au second plan de la crise du Donbass ainsi qu’un modeste succès militaire en Syrie pourraient-ils constituer le point de départ pour une collaboration plus efficace avec certaines puissances occidentales ? Pour Vladimir Bruter, spécialiste de l’Institut international des sciences humanitaires et politiques basé à Moscou, cette éventualité reste une douce illusion :
« Il est prématuré d’évoquer une telle issue. L’approche plus souple adoptée par les puissances d’Europe continentale dans la crise syrienne ne reflète par leur rôle dans la prise de décisions. Les décisions de certains gouvernements européens seront conditionnées par les résultats préliminaires de l’opération militaire russe en Syrie.
S’ils sont positifs, les Européens en tiendront compte. Si l’opération ne porte pas ses fruits dans un avenir proche et si le conflit s’embourbe, il est peu probable que les nations européennes modifient leur politique étrangère. Elles pourraient même se montrer encore plus rigides.
De façon plus générale, le sommet de Paris a montré que l’Allemagne, la France et la Russie préfèrent geler le conflit dans l’Est de l’Ukraine afin d’éviter de nouvelles hostilités. Pour l’Allemagne en particulier, l’afflux de réfugiés est d’une très grande importance et relègue la question ukrainienne au second plan ».
La différence entre l’approche des pays anglo-saxons et celle de l’Europe continentale est visiblement due à la façon dont la crise syrienne affecte leurs intérêts. Cette situation pourrait-elle précipiter la levée des sanctions de l’UE et l’abandon des tentatives d’isoler la Russie sur le front occidental, du moins en Europe ? L’analyste politique et figure publique Sergueï Stankevitch, expert principal auprès de la Fondation Anatoli Sobtchak, a partagé son point de vue avec RBTH :
« Si la Russie se montre prête à un règlement politique complet en Syrie, l’Occident l’accepterait comme partenaire à cet égard. Mais si la Russie limite ses activités à des frappes militaires en négligeant le dialogue politique, j’ai bien peur que cela ne provoque encore plus de tensions dans les relations Est-Ouest ».
Selon l’analyste, en cas de signaux positifs menant à une normalisation en Ukraine et à l’affaiblissement de l’EI en Syrie suite aux actions militaires russes, on pourrait s’attendre au retour de la coopération avec l’Occident dans plusieurs domaines.
« La réunion de Paris a permis de régler deux problèmes liés à la crise ukrainienne : les accords de Minsk n’expireront pas et seront encore en vigueur l’année prochaine, et les élections prévues par les séparatistes de Donetsk et Lougansk n’auront pas lieu. Le scrutin se tiendra seulement sur la base d’une loi spéciale que le président Porochenko doit maintenant faire adopter par son parlement.
Nous pourrions assister à une "désescalade" des sanctions contre la Russie l’année prochaine ».
La double politique de Moscou semble privilégier une solution politique en Ukraine en poussant les autorités centrales de Kiev à discuter directement avec les insurgés du Donbass, tout en posant les bases pour une issue similaire dans la guerre civile en Syrie, mais en préservant le régime alaouite à Damas, avec ou sans Bachar el-Assad à sa tête.
Sur le front syrien, l’offre de Moscou de former une large coalition n’a cependant pas été très bien accueillie. Il semblerait que l’Occident se trouve au même niveau qu’en avril 2014, lorsque l’armée ukrainienne avait lancé son offensive contre les républiques autoproclamées dans le Donbass. À l’époque, les accords de Minsk et, plus généralement, la coopération entre Berlin, Paris et Moscou étaient encore une perspective lointaine.
Néanmoins, les deux conflits, dans l’est de l’Ukraine et en Syrie, malgré leurs apparentes différences, offrent à la diplomatie du Kremlin une opportunité d’impliquer l’Occident. La principale question sera de savoir si ce pari sera relevé ou non.
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