Plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées sur la place de la République à Paris après l'attaque meurtrière de Charlie Hebdo, mercredi 7 janvier 2015. Source : flickr/Keno Photography - Kenan Šabanović
« La religion est toujours un défi pour l'État. D'une manière ou d'une autre, elle suppose toujours une loyauté et une autorité non-étatiques », nous explique Nikolaï Silaïev, directeur de recherche au Centre des problèmes du Caucase et de la sécurité régionale l’Institut d'État des relations internationales de Moscou.
Certains experts proposent de résoudre le problème en élargissant les droits à l'auto-détermination des communautés. « Il faut lancer une large discussion sur les « millets » - le droit pour les communautés religieuses de déterminer un ensemble de droits et prérogatives collectifs, nous explique Ilchat Saïetov, directeur du centre scientifique russo-turque de la Bibliothèque de la littérature étrangère. En Grande-Bretagne, par exemple, il existe déjà des tribunaux de la charia alternatifs qui se chargent des questions du mariage et de l'héritage. Si tu veux que ton héritage soit partagé selon l'islam, tu t'adresses à un tel tribunal ».
Ilchat Saetov reconnaît qu'une telle approche revêt un certain nombre de points contestables, notamment celle de la corrélation entre ce système et le droit universel. Toutefois, ce n'est pas uniquement un point contestable, mais un point clé. En pratique, l'introduction de tribunaux de la charia, tribunaux chrétiens ou judaïques reviendra à renoncer à la conception du droit universel commun à tous.
L'Europe a déjà utilisé cette approche. « La France et l'Union européenne ont, globalement, cherché à intégrer l'islam – grâce au politiquement correct, au transfert effectif d'un droit large à l'auto-détermination aux communautés musulmanes, l'octroi de la nationalité, la suppression du sermon chrétien, la presse libérale de gauche », explique Nikolaï Silaïev. Pourtant, au final, les autorités ne sont pas parvenues à assurer le niveau suffisant d'intégration des musulmans dans les sociétés européennes et ont donné naissance à une réponse radicale du public.
Le non-conformisme des jeunes musulmans, le refus de la police d'intervenir dans les affaires des communautés musulmanes et le refus des journalistes de parler de ce problème par crainte d'être accusés d'intolérance ont conduit, selon les politologues russes, à l'essor des forces radicales qui opposent les valeurs européennes aux valeurs musulmanes. « Il ne s'agit pas d'un conflit entre l'islam et le christianisme, mais d'un conflit des fondamentalismes religieux et séculaire », explique Igor Alexeïev, spécialiste de l'islam et directeur des programmes scientifiques du Fonds Mardjani.
Une attaque contre le multiculturalisme et la tolérance
« L'attentat parisien entrainera une poussée et une radicalisation des forces conservatrices de droite, des nationalistes laïques et des fondamentalistes libéraux, à une attaque contre l'idéologie de la tolérance et le multiculturalisme », estime Igor Alexeïev.
Une telle radicalisation « présentera une menace aux systèmes politiques et aux traditions établies en Europe », explique le Dmitri Souslov, directeur adjoint du Centre des recherches européennes et internationales. « Cette radicalisation pourrait conduire à l'effondrement des démocraties européennes et de leurs systèmes sociaux ».
Expérience russe
En Russie, l'islam et le christianisme coexistent depuis plusieurs siècles, la question de la radicalisation y est également importante. L'expérience russe d'interaction entre l'islam et l'État est imparfaite. « Nous menons largement la même politique de multiculturalisme : les républiques du Caucase du Nord vivent, en réalité, leur propre vie et sont coupées de l'espace russe d'indentification culturelle. Pour le moment, cela est compensé par la loyauté des élites locales à l'égard du Kremlin, mais cette situation ne durera pas éternellement », explique Dmitri Souslov.
Toutefois, cette approche permet d'assurer une stabilité relative : les rédactions d'Écho de Moscou et de Novaya Gazeta qui critiquent les autorités locales dans le Caucase du Nord ne sont pas menacées, alors que les affaires potentiellement houleuses (par exemple, l'interdiction du port du hijab dans les écoles de l'une des régions du Sud, kraï de Stavropol) ne suscitent pas de protestations massives des musulmans à l'instar de la « Guerre des banlieues » française en 2005.
« En Russie, il existe un « contrat social tacite » qui suppose que nous ne touchons pas à la foi des autres », estime Nikolaï Silaev.
L'expérience russe se base sur deux stratégies parallèles : l'adaptation de l'islam et le contrôle des migrants par les services spéciaux.
« L'État cherche toujours à intégrer l'islam, à le rendre transparent et compréhensible. Nous devons organiser la formation musulmane sous contrôle national, bureaucratiser l'islam même, en créant une sorte d'organisation cléricale », explique Nikolaï Silaïev. En Russie, ces organisations sont représentées par les Administrations spirituelles musulmanes.
Toutefois, la politique d'assimilation sera inefficace si les musulmans ne sont pas protégés de l'influence des fondamentalistes passionnaires. C'est pourquoi, parallèlement à la politique d'assimilation, l'Union européenne devra intensifier le travail des services spéciaux, estiment les experts russes. Ces services sont actuellement inefficaces, comme l'ont montré les voyages des musulmans européens rejoignant le jihad en Syrie, ainsi que l'attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo. Il ne s'agit pas d'adopter un équivalent complet du Patriot Act américain, mais les Européens devront renoncer à une certaine part de liberté au nom de la sécurité.
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