Crédit photo : AFP / East News
« Je l'ai vue arriver tout doucement, cette guerre. J'avais même commencé à m'habituer à la présence d'hommes armé, aux rues vides, au bruit des explosions, la nuit. Mais tout a changé quand les obus sont tombés dans mon quartier. Maintenant, j'ai peur à chaque instant », raconte Antonina Khartchenko, 62 ans, assise sur un banc à l'entrée de son immeuble.
Son quartier, à proximité de la gare de chemins de fer, a été bombardé plusieurs fois ces derniers jours.
« Il y a un mois, quand le premier obus s'est écrasé dans le quartier, les résistants [DNR] ont organisé une évacuation », poursuit-elle en respirant lourdement. « Mais je n'ai pas voulu partir. Je ne sais pas où aller. Tout ce que je possède, c'est mon appartement. D'ailleurs, beaucoup de ceux qui sont partis sont déjà revenus car ils n'ont plus d'argent ».
Antonina a déjà passé des dizaines d'heures dans un abri anti-aérien à proximité de son immeuble.
Les habitants de Donetsk connaissent désormais tous l'abri le plus proche de leur logement. Des listes ont été distribués ou collées à l'entrée des habitations. Depuis deux semaines, plus aucun quartier de Donetsk n'est épargné par les obus.
Ce ne sont pas des bombardements massifs comme ceux de la seconde guerre mondiale. Entre dix et vingt projectiles s'écrasent tous les jours sur cette ville qui comptait avant le conflit un million d'habitants. Mais c'est suffisant pour que tout le monde ait la peur au ventre.
« Le vrai problème, c'est la sécurité », estime Andreï, jeune serveur dans un des rares restaurants du centre-ville encore ouvert. « Jusqu'au début août, on était à peu près tranquille dans le centre ville », souligne Andreï. « Avant, les bombardements étaient limités à la zone autour de l'aéroport et dans le Sud. Mais maintenant, il n'y a plus de sanctuaire ».
Du coup, les rues sont presque vides de voitures et de passants. 95 % des magasins sont fermés. Ne restent ouverts qu'une poignée de restaurants et d'épiceries, suffisamment pour nourrir ceux qui restent. « Tous mes amis sont partis. Beaucoup en Crimée, certains en Russie, d'autre à Kiev. Je suis resté parce que je suis un des rares à n'avoir pas perdu mon travail », poursuit Andreï.
Selon les estimations recueillies à partir d'observations des habitants eux-mêmes, entre 30 et 60 % du million d'habitants de Donetsk ont fuit leur ville depuis mai. Difficile d'être plus précis, car les gens restent le plus souvent cloîtrés chez eux.
Paradoxalement, c'est le centre-ville qui s'est vidé en premier de ses habitants, alors que les bombardements se concentraient au départ sur les abords de cette ville très étendue. « C'est parce que ceux qui vivent dans le centre ont les moyens de partir, tandis que dans les faubourgs vivent les retraités et les ouvriers, qui n'ont pas d'économies pour s'en aller ailleurs », suppute Andreï.
Au coucher du soleil, les derniers signes de vie disparaissent. Les gens se carapatent chez eux avant même le couvre-feu instauré de 23 à 5h du matin par les dirigeants séparatistes. Toutefois, un îlot de résistance subsiste, vers lequel convergent les braves et les insomniaques.
Le café « Banana », seul à être ouvert 24h/24 accueille sur sa terrasse un curieux mélange de chefs séparatistes encadrés par des hommes lourdement armés, de jeunes femmes élégantes et de journalistes étrangers aux visages éclairés par leurs écrans d'ordinateurs. Dès qu'on en sort, c'est le silence total, déchiré régulièrement par les grondements de la guerre.
Maria Krasnova, 21 ans, est une habituée du café. Bien qu'elle vive à l'autre bout de la ville, elle se réfugie au Banana pour y rencontrer ses amis. Tous sont pro-fédéralistes et une bonne moitié luttent arment en main. « Je suis fière d'avoir de tels amis », explique Maria.
« C'est ma nouvelle famille, car la plupart de mes proches ne me parlent plus depuis le début du conflit. Ils vivent dans d'autres régions d'Ukraine et sont désinformés par les médias. Ils pensent que je suis une terroriste ! Alors que nous ne faisons que défendre notre territoire ! », raconte-t-elle, durcissant les traits de son joli visage.
Sa colère est sincère et elle jure qu'elle ne quittera jamais Donetsk, quoi qu'il advienne.
Cette colère est partagée par beaucoup d'autres habitants de Donetsk, mais elle est diversement orientée. « J'en ai assez de cette guerre », s'époumone Vassili Tchyorny, un électricien voisin d'Antonina.
« Au début, je soutenais les fédéralistes, mais maintenant j'ai juste envie que tout s'arrête et qu'on se remette à vivre comme avant. On nous a promis qu'après le référendum [pour l'indépendance du Donbass, organisé le 11 mai, ndlr], la situation s'améliorerait, mais c'est le contraire qui s'est passé. Les gens qui sont derrière ce conflit sont incapables de négocier pour trouver une solution. Ils ne veulent pas nous laisser vivre en paix ! », se désole-t-il.
C'est un point qui fait l'unanimité ici. Cette guerre est faite pour durer.
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