Moscou livre des avions de combat à l'Irak

Les Su-25 russes sont des appareils bien protégés et vulnérables uniquement contre des missiles. Crédit : Itar-Tass

Les Su-25 russes sont des appareils bien protégés et vulnérables uniquement contre des missiles. Crédit : Itar-Tass

La livraison des appareils russes pourrait changer le cours de la guerre contre les islamistes.

Moscou et Bagdad viennent de conclure en urgence un contrat portant sur la livraison en Irak d'avions de combat russes Su-25 (entre cinq et dix appareils selon les sources). Pour l'Irak, ces livraisons répondent pleinement à une question de sécurité nationale. Le gouvernement de Nouri al-Maliki a besoin immédiatement d'une aviation de combat capable de repousser les islamistes de l’État islamique en Irak et au Levant (EEIL).

En premier lieu, les Irakiens avaient demandé aux États-Unis, au choix, de bombarder les positions des islamistes ou de leur transmettre en urgence des technologies d'aviation militaire ce qui, d'un point de vue technique, ne présente pas de difficultés pour Washington. « Les Américains ont leurs propres réserves d'avions qui, en outre, sont dans un bien meilleur état que les nôtres. S'ils avaient voulu, ils auraient pu approvisionner en urgence les stocks militaires irakiens », explique l'expert militaire russe Konstantin Makienko. Cependant, les États-Unis ont répondu par la négative à toutes ces demandes, et n'ont même pas accéléré l'exécution des contrats déjà signés : « L'Irak a signé un contrat pour l'achat de chasseurs américains F-16 et d'hélicoptères Apache. Toutefois, leur livraison n'est pas prévue avant l'autonome. Toute réduction des délais de livraison est exclue par le chef du comité du Sénat pour les affaires internationales, Robert Menendez, qui condamne la politique autoritaire d'al-Maliki et les persécutions à l'encontre de la minorité sunnite. Les États-Unis craignent que la « chiitisation » du régime au pouvoir en Irak ne vienne renforcer ses liens avec l'Iran », explique Andreï Souchentsov, professeur au MGIMO et directeur associé de l'agence Politique extérieure.

Après s'être heurté aux réticences de Washington, l'Irak a demandé l'aide de Moscou, les deux pays ayant déjà collaboré dans le domaine militaire. Comme l'affirme M. Makienko, « La Russie a déjà signé avec l'Irak un contrat de 4,3 milliards de dollars (3,16 milliards d'euros) prévoyant la livraison de systèmes anti-aériens Pantsir et d'hélicoptères d'attaque (huit Mi-35M et près de trente Mi-28). Les Mi-35M ont déjà été livrés, et l'Irak vient de recevoir ses premiers Mi-28. L'intégralité du contrat sera rempli d'ici deux ou trois ans. »

Selon l'expert, la poursuite des livraisons russes peut pleinement enrayer la progression des islamistes. « Bien sûr, cela dépendra en grande partie de la manière dont les Irakiens se serviront des avions de combat qui leur ont été livrés. Souvenons-nous du conflit en Libye. Alors que les troupes de Kadhafi étaient sur le point de reprendre Misrata et que les rebelles étaient au bord de la défaite, les frappes de l'aviation française sur les colonnes armées ont fait échouer l'offensive, renversant ainsi le cours de la guerre », explique Rouslan Poukhov, directeur du Centre d'analyse des stratégies et des technologies. Selon M. Poukhov, les Su-25 russes sont des appareils bien protégés et vulnérables uniquement contre des missiles. De l'avis de tous les experts interrogés, les combattants de l'EEIL possèdent peu d'armes antiaériennes portatives, ce qui les rend pratiquement sans défenses face aux attaques venant des airs. « Si depuis le début nous avions eu ces avions, l'offensive des terroristes n'aurait jamais eu lieu ! », s'est insurgé Nouri al-Maliki.

Aucun pilote russe ne prendra part aux combats

Plusieurs médias américains ont affirmé que la Russie avait non seulement envoyé en Irak des avions de combat, mais également des pilotes de chasse. L'ambassade de Russie à Bagdad a confirmé l'arrivée dans le pays de spécialistes russes, mais aucun militaire russe ne participera directement aux frappes contre les islamistes. « La mission première de nos militaires sur place est d'assembler le matériel livré puis d'assurer son bon fonctionnement en vol. Il n'est absolument pas question que nos pilotes prennent part aux opérations militaires ; c'est inenvisageable », a déclaré aux journalistes de RIA Novosti l'ambassadeur russe en Irak, Ilia Morgounov.

Les experts s'accordent à dire que l'envoi en Irak de pilotes russes n'a aucun sens : « Premièrement, cela représenterait de sérieux risques pour Moscou. Car si l'un de nos militaires venait à être capturé, le monde entier assisterait à son exécution. Deuxièmement, l'Irak dispose de ses propres militaires auxquels des pilotes iraniens sont venus en aide dernièrement (l'Iran, qui possède 13 de ces appareils, a d'ores et déjà envoyé en Irak plusieurs Su-25, ndlr). Dans le pire des cas, les Irakiens pourront demander l'aide de pilotes syriens ou bien engager des mercenaires », affirme Rouslan Poukhov.

Officiellement, Washington a approuvé l'accord russo-irakien. « Nous ne sommes pas surpris que l'Irak collabore avec d'autres pays afin de se doter des équipements indispensables. Nous ne nous opposons pas à la volonté légitime des Irakiens de recevoir les technologies militaires qui leur sont nécessaires », a affirmé la porte-parole du Département d’État américain, Jen Psaki. « Les États-Unis ont réagi calmement  aux livraisons russes dans la mesure où ils ne les considèrent pas comme une réorientation stratégique de l'Irak vers la Russie. Et l'EEIL est un ennemi à la fois pour Moscou et Washington, explique Andreï Souchentsov. Toutefois, les États-Unis vont veiller soigneusement à ce que les relations entre Moscou et Bagdad ne portent pas préjudice à l'influence américaine en Irak. »

Un client important, mais pas un partenaire stratégique

En théorie, la Russie a intérêt à intensifier sa collaboration avec les autorités irakiennes, en particulier dans le domaine de l'armement. « Bagdad a besoin de nombreux hélicoptères, de chasseurs, de bombardiers, car aujourd'hui les forces aériennes irakiennes n'ont pratiquement plus rien. C'est pourquoi il est grandement probable que les achats de matériel se poursuivent », estime Konstantin Makienko. Des collaborations non négligeables existent par ailleurs dans le domaine civil, et se révèlent parfois véritablement salutaires pour les entreprises russes. « La livraison de nos équipements agricoles, comme le note Ilia Morgounov, a permis d'éviter la faillite de deux usines russes spécialisées dans ce domaine. Et encore, cela ne concerne que ce seul secteur ». D'après M. Morgounov, les entreprises russes ont d'immenses possibilités de travail en Irak, du moins concernant les installations construites par le passé par des ingénieurs russes, comme par exemple les centrales thermiques. La question de la sécurité constitue le principal obstacle au développement de ces échanges. Selon l'ambassade russe en Irak, entre un quart et un tiers du montant des contrats devrait être consacré à la résolution de ce problème. En cas de défaite de l'EEIL, les dépenses en sécurité devraient selon toute vraisemblance diminuer.

Cela étant, l'intérêt de la Russie pour l'Irak n'a pas connu de regain majeur, et le Kremlin n'a pas l'intention de faire ce pays son rempart au Proche-Orient (la Syrie étant plus à même d'assurer ce rôle). « En Irak - comme le résume Andreï Souchentsov - la Russie n'a pas d'intérêts vitaux qui puissent la pousser à rivaliser avec les États-Unis. Moscou va continuer de se servir de la situation actuelle pour renforcer sa réputation dans le domaine de l'armement et se présenter comme un acteur important pour assurer la sécurité de la région. »

 

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