L’indépendance 
se joue-t-elle sur le Maïdan ?

À Kiev, des dizaines de milliers de personnes ont envahi la place de l’Indépendance, le « Maïdan ». Le centre de la capitale a vu se dresser des barricades de fer et de glace. Crédit : AP

À Kiev, des dizaines de milliers de personnes ont envahi la place de l’Indépendance, le « Maïdan ». Le centre de la capitale a vu se dresser des barricades de fer et de glace. Crédit : AP

Kiev est en proie à des manifestations massives contre la volte-face du pouvoir, qui a tourné le dos à l’Europe et est aujourd’hui victime de sa précédente propagande pro-européenne.

Le mouvement, plutôt estudiantin au départ, amorcé au moment où le Président Ianoukovitch a refusé de signer le traité d’association avec l’Union européenne fin novembre, a pris de l’envergure après une intervention violente des forces anti-émeutes, pour devenir une contestation ouverte du régime de Viktor Ianoukovtich, un cri de colère contre l’arbitraire du pouvoir. Selon un sondage de l’Institut Gorshenin, 37,9% des manifestants exigent la démission du chef de l’État et de son gouvernement, 29,1% veulent l’intégration à l’UE, tandis que 28,2% jugent que le soutien à la contestation est un devoir citoyen.

Le député du parti d’opposition Oudar, Sergueï Kapline, explique la position des manifestants : « La signature de l’accord d’association, ce n’est pas un choix entre l’Europe et la Russie. C’est une question de survie pour l’État. Nous sommes noyés dans la corruption, nous avons des problèmes à l’échelle étatique. La seule solution que je voie, c’est la mise en place de nouvelles normes légales, celles des pays européens. Le peuple ne fait plus confiance au président ». Mais la situation ne paraît pas aussi simple, et le choix du rapprochement avec l’Europe comporte aussi des risques pour la stabilité de l’Ukraine.

Tout d’abord, il n’existe pas, aujourd’hui, de consensus national sur les manifestations dans la capitale. Comme le montrent plusieurs sondages, l’intégration dans l’UE n’est pas revendiquée par une majorité absolue de la population, mais seulement 46% des Ukrainiens. La contestation à Kiev est soutenue par 49% des répondants, tandis que 45% se sont exprimés contre. Les divergences dans l’opinion reflètent celles de la géographie : l’ouest et le centre du pays, où le nationalisme ukrainien est fort, sont majoritairement solidaires de la contestation, contrairement à l’est et au sud russophones, traditionnellement tournés vers la Russie. Or, les habitants du sud-est sont loin de se mobiliser pour défendre Ianoukovitch.

« L’opposition est peu active dans ces territoires, fief électoral du Parti des régions ; elle travaille peu avec l’électorat local », commente le politologue Evgueny Magda. Ensuite, « Ianoukovtich a vraiment déçu son électorat, explique un autre politologue, Roman Travin. Les relations avec la Russie ne sont pas idéales, le niveau de vie ne cesse de chuter, le président n’a pas tenu sa promesse électorale d’accorder le statut de langue nationale au russe ».

Or l’Ukraine de l’est a son mot à dire, ne serait-ce que parce que cette moitié du pays nourrit l’autre (la région industrielle de Donetsk représente à elle seule un quart du budget national). En cas d’accord avec l’UE, la rupture des relations économiques avec la Russie sonnerait le glas d’un grand nombre de partenariats industriels vitaux pour les domaines d’excellence ukrainiens (aéronautique, chimie, métallurgie, nucléaire, défense).

Mais selon toute vraisemblance, l’Ukraine n’a pas encore choisi, d’autant plus que la situation est un peu plus complexe qu’un choix entre les normes légales et la nourriture. L’ouest et l’est ont des visions totalement différentes de l’avenir du pays et de son orientation politique. Cette scission est profondément ancrée dans l’histoire. L’Ukraine n’existe dans ses frontières actuelles que depuis 20 ans. C’est un État « bricolé» par les bolcheviks à partir d’un territoire oriental russophone assujetti à la Russie, et d’une partie occidentale rattachée pendant des siècles à l’Autriche ou à la Pologne. Ces moitiés ont donc une perception différente des archétypes et de l’histoire de la nation.

L’indépendance acquise, les dirigeants ukrainiens étaient parfaitement conscients du risque de schisme, sans parvenir à rassembler les deux parties du pays sur des thèmes et des centres d’intérêts communs. Ianoukovitch avait choisi, pensait-il, la voie simple, en substituant à l’idée nationale une dimension supranationale.

L’intégration dans l’UE est ainsi devenue la raison d’être de l’État ukrainien, le pouvoir l’ayant imposée comme une panacée à tous les maux. Les Ukrainiens ont fini par croire qu’il suffisait de tenir jusque là et que tout irait bien ensuite, grâce à l’instauration de « nouvelles normes légales, celles des pays européens », et à l’aide financière européenne.

De son côté, l’Europe refuse de verser des milliards d’euros pour sauver l’économie ukrainienne. « Les contribuables européens ne sont pas enchantés par la perspective de payer pour les méfaits et la corruption de l’élite de Kiev », écrit l’ancien conseiller à la sécurité nationale du président américain Jimmy Carter, Zbigniew Brzezinski.

La volte-face de Ianoukovitch l’a aussitôt exposé aux résultats de sa propre propagande : flouée, la population est descendue dans la rue. Le président ukrainien tente aujourd’hui de calmer les pro-européens en se disant prêt à reprendre les pourparlers avec l’UE. Toutefois, les pressions exercées désormais sur lui par les dirigeants occidentaux, leurs menaces de sanctions et leur soutien ouvert aux manifestants mettent en péril l’établissement d’un consensus national dont l’absence brouille les cartes.

 

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