Laurent Fabius (à g.) et Sergueï Lavrov. Les deux ministres veulent la fin du conflit et une conférence de paix. Crédit : Benjamin Hutter
Ils ont passé la matinée à discuter dans la résidence particulière du ministère russe des Affaires étrangères, au 17 de la rue Spiridonovka à Moscou. Pourtant Laurent Fabius et Sergueï Lavrov ne semblent pas avoir particulièrement rapproché leurs positions sur le dossier syrien.
Même : à l’heure où la solution politique est privilégiée en Syrie, la France semble plutôt à la traîne, elle qui prônait encore il y a quelques semaines l’intervention militaire.
Les relations économiques et culturelles au beau fixe
Mardi Sergueï Lavrov semblait donc avoir le dessus. Et en a profité pour adoucir l’ambiance en commençant par souligner les bonnes relations entre la France et la Russie : « Nous avons un agenda assez intense, qui comprend notamment les réunions régulières de la commission russo-française pour la coopération intergouvernementale. Lors de ces rencontres nous étudions toutes les questions de coopération avec un accent sur les hautes technologies, l’industrie et la perspective de sortir ensemble sur les marchés des pays tiers-monde ».
Et de poursuivre : « L’aspect culturel est aussi très important. De 2013 à 2015 nous organisons dans nos deux pays des saisons croisées de théâtre, de cinéma et d’arts plastiques. En Russie, nous sommes inquiets face à la réduction du nombre de personnes qui étudient la langue russe en France et nous étudions la possibilité d’ouvrir à Paris une école maternelle russo-française. Bien sûr, nous suivons aussi avec attention le projet de construction d’un centre spirituel à Paris et nous remercions nos partenaires français pour leur aide à ce sujet ».
Laurent Fabius y a été de son commentaire lui aussi en soulignant la « convergence » des deux pays « sur la lutte internationale contre le trafic de drogue, le Mali et le changement climatique ».
Devant un parterre d’hommes d’affaires français de la Chambre de commerce et d’industrie franco-russe, plus tard dans l’après-midi, il a également précisé que la question syrienne n’influait en rien sur les relations économiques entre les deux pays. « Nous travaillons toujours activement pour améliorer nos échanges et essayons d’avancer pour que, à l’image des investissements français en Russie, les entreprises russes s’intéressent davantage à la France ».
En façade, la France et la Russie sont d’accord
Sur la Syrie, les deux ministres ont d’abord répété qu’ils étaient d’accord. « Nous avons la même vision en ce qui concerne l’issue finale pour le peuple syrien : il faut faire cesser l’effusion de sang et rétablir la paix sur la base du respect de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et du caractère laïc de ce pays », a commencé Sergueï Lavrov.
Et de continuer : « Nous avons également une position commune qui consiste à liquider les armes chimiques en Syrie et nous remercions nos amis français pour leur soutien à l’initiative américano-russe en ce sens. Enfin nous n’avons aucun doute non plus sur la nécessité de convoquer rapidement la conférence de paix Genève 2 pour créer un organe de gouvernement transitoire, sur la base d’un consensus de toutes les parties syriennes ».
Cette position commune, pourtant, semblait loin d’être acquise il y a encore deux semaines, quand la France prônait l’intervention militaire en Syrie sans l’accord du Conseil de sécurité de l’Onu. Mardi Laurent Fabius a donc tenté de se rattraper : « La France est une puissance de paix et parfois, si l’on veut obtenir la paix, il faut faire preuve de fermeté. Sur le dossier syrien nous avons dit, avec d’autres, qu’il fallait absolument recourir à la dissuasion si l’on ne voulait pas que le régime utilise de nouveau l’arme chimique contre son peuple. Finalement la fermeté française et l’initiative russe ont été utiles ».
Dans le détail, les deux pays pensent tout le contraire
Les deux ministres veulent la fin du conflit et une conférence de paix. Soit. Mais quand les questions se précisent, leurs positions s’éloignent… Exemple : la veille de leur rencontre, l’Onu a publié son rapport sur l’utilisation de l’arme chimique dans la banlieue de Damas le 21 août 2013.
Commentaire de Laurent Fabius : « Le rapport est accablant. Et quand on examine à la fois le volume de gaz sarin, le vecteur utilisé et les techniques que cela demande il ne semble y avoir aucun doute sur le fait que c’est le régime de Bachar al-Assad qui en a fait usage ».
Réaction de Sergueï Lavrov : « Nous avons donc les preuves que l’arme chimique a été utilisée. Quant à savoir comment a été produite la munition – de manière artisanale ou dans une usine de l’Etat – nous n’avons pas encore la réponse. Il faut qu’une conclusion soit établie sur la base de tous les témoignages, notamment celui des moniales d’un monastère situé à proximité du lieu de l’attaque ou de certaines sources qui disent que les événements du 21 août sont un coup monté. Nous avons de sérieux éléments qui nous permettent de considérer que c’était une provocation. Il faut que nous soyons circonspects sur ce sujet et ne pas réagir dans la précipitation, de manière émotionnelle ».
Le recours à la force contre la Syrie ? Laurent Fabius veut en faire une condition à part entière de la résolution qui sera soumise prochainement au Conseil de sécurité de l’Onu, au cas où le pays ne respecterait pas ses engagements en matière de désarmement chimique. Sergueï Lavrov, lui, est plus prudent : « S’il y a un problème, il faudra d’abord établir la vérité, vérifier qu’il ne s’agit pas d’une provocation. Et surtout ne pas attaquer aveuglément ».
Au final, France et Russie sont prêtes à une solution politique, ce qui était loin d’être le cas il y a encore deux semaines. Côté diplomatie, Laurent Fabius semble désormais suivre son homologue plus qu’il n’impose sa voix. Sur les questions économiques et culturelles, les relations franco-russes sont au beau fixe.
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