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Nikita Khrouchtchev et John F. Kennedy se sont rencontrés pour la première fois le 4 juin 1961 lors du sommet de Vienne, qui a été l’une des réunions les plus infructueuses de l’histoire des relations soviéto-américaines. Avant le sommet, les conseillers de Khrouchtchev lui avaient décrit les frères Kennedy comme des « garçons en culotte courte » faibles de caractère, une cible facile pour les attaques verbales. Les conseillers de Kennedy, de leur côté, ont également été incapables d’offrir au président une stratégie positive pour les négociations, car ils étaient tous des ennemis farouches des communistes.
Les dirigeants des deux blocs concurrents se sont longuement embourbés dans des disputes abstraites et plutôt agressives sur des questions idéologiques et le destin du monde, sans jamais arriver à des faits concrets. À la suite du sommet de Vienne, aucun document officiel n’a été signé. La réunion, censée accélérer la fin de la guerre froide, a en réalité détérioré les relations entre l’URSS et les États-Unis et a débouché sur la seconde crise de Berlin.
John Kennedy et Nikita Khrouchtchev au sommet de Vienne
Ron Case/Getty ImagesMalgré l’échec du sommet de Vienne, aucune des deux parties ne souhaitait une nouvelle grande guerre. Dès septembre 1961, Khrouchtchev a envoyé à Kennedy une lettre de 26 pages, à travers laquelle il tentait de relancer les relations.
« Mes pensées sont revenues plus d’une fois sur nos réunions de Vienne. Je me souviens que vous avez souligné que vous ne vouliez pas de guerre et que vous préfériez vivre en paix avec notre pays tout en rivalisant dans les domaines civils. Et bien que les événements ultérieurs ne se soient pas déroulés de la manière que l’on aurait pu souhaiter, j’ai pensé qu’il pourrait être utile de m’adresser à vous de manière informelle et de partager certaines de mes idées avec vous. Si vous n’êtes pas d’accord, vous pouvez faire comme si cette lettre n’existait pas, et naturellement, pour ma part, je n’utiliserai pas cette correspondance dans mes déclarations publiques. Après tout, ce n’est que dans correspondance confidentielle que vous pouvez dire ce que vous pensez sans prêter attention à la presse, aux journalistes ».
Khrouchtchev a écrit sa première lettre à Kennedy dans une datcha sur le littoral de la mer Noire.
МАММ/МDF/russiainphoto.ruDans sa lettre, le dirigeant communiste comparait de manière inattendue la planète à l’arche de Noé, où les animaux aussi bien « purs » qu’« impurs » ont trouvé refuge : « Peu importe qui se classe parmi les "purs" et qui est considéré comme "impur", tous sont également intéressés par une chose, c’est que l’arche continue son voyage avec succès. Et nous n’avons pas d’autre alternative : soit nous vivons dans la paix et la coopération pour que l’arche reste à flots, soit elle coulera ».
John F. Kennedy a apprécié l’idée de Khrouchtchev concernant cette correspondance informelle. Il a accepté de la garder secrète.
« J’ai beaucoup apprécié votre analogie avec l’arche de Noé, déterminée à rester à flot tant avec les "purs" que les "impurs". Malgré nos différences, notre collaboration pour maintenir la paix est aussi urgente, sinon plus urgente, que notre collaboration pour gagner la dernière guerre mondiale ».
Khrouchtchev et Kennedy ont préféré communiquer en contournant les canaux de communication officiels afin que le moins de personnes possible, au Kremlin et à la Maison Blanche, soient au courant de leur correspondance. Le dirigeant soviétique avait son propre intermédiaire à Washington, qui a pu jouer le rôle d’agent de liaison entre les deux dirigeants.
Gueorgui Bolchakov, rédacteur en chef adjoint du magazine Union soviétique à Washington. Une couverture idéale pour un colonel de la direction générale des renseignements (GRU)
Archives« Il y avait […] un espion qui venait parfois chez nous, un type qui s’appelait Gueorgui Bolchakov, c’était un espion russe. Mes parents avaient fait sa connaissance à l’ambassade. Ils étaient allés à une fête ou à une réception à l’ambassade de Russie. Et il les avait approchés, ils savaient qu’il était un agent du GRU [direction générale des renseignements, ndlr] et du KGB. Il était les deux, oh, et il avait l’habitude de venir chez nous. Ils l’appréciaient beaucoup, il avait beaucoup de charme. Il riait et plaisantait sans cesse. Il faisait des concours de grimpe à la corde et de pompes avec mon père. Il savait faire la danse russe, la danse des cosaques. Et il faisait ça pour nous et nous l’enseignait. Et nous savions que c’était aussi un espion. Et c’était au moment où, vous savez, les films de James Bond sortaient pour la première fois. C’était donc vraiment excitant pour nous d’avoir un véritable espion russe dans notre maison. Le département d’État en était horrifié... Khrouchtchev... a envoyé cette longue lettre à mon oncle, et il ne voulait pas passer par son département d’État ou son ambassade. Il était ami avec Bolchakov, alors il a donné la lettre à Gueorgui, et Gueorgui l’a apportée et l’a remise à Pierre Salinger, pliée dans le New York Times. Et il l’a donné à mon oncle. » (extrait des mémoires de Robert Francis Kennedy Jr.)
Par la suite, Bolchakov a rencontré à plusieurs reprises Robert Kennedy et Salinger pour transmettre des messages oraux et écrits de Khrouchtchev. De plus, les dirigeants des deux superpuissances ont convenu de mettre en place une ligne directe. Un téléphone rouge, avec lequel il était possible de contacter directement le dirigeant soviétique, est apparu dans la résidence du président des États-Unis.
Toutefois, le respect mutuel que se témoignaient Kennedy et Khrouchtchev n’a pas permis d’éviter la crise des missiles de Cuba. En 1961, des missiles nucléaires américains PGM-19 Jupiter ont été déployés en Turquie. Par leur biais, il était possible de détruire les principaux centres industriels de la partie européenne de l’URSS en seulement 15 minutes. Les dirigeants soviétiques et Khrouchtchev en personne ont pris le déploiement de ces missiles comme un affront.
La réponse de l’URSS ne s’est pas fait attendre. Dès août 1962, les premiers navires soviétiques transportant des missiles balistiques ont jeté l’ancre à Cuba. À la mi-octobre, il y avait déjà 40 ogives nucléaires et 40 000 soldats et officiers de l’armée soviétique sur « l’île de la liberté ». Kennedy était furieux contre la démarche de Khrouchtchev, tandis que Khrouchtchev lui-même ne pouvait pardonner à Kennedy le déploiement de missiles en Turquie et ses plans de nouvelle invasion de Cuba. La situation était tendue à l’extrême, le monde n’ayant jamais été aussi proche d’une catastrophe nucléaire.
Le président Kennedy signe le décret sur le blocus naval de Cuba le 23 octobre 1962.
Legion Media« Je pense que vous reconnaîtrez que le premier pas dans le déclenchement de la chaîne actuelle d’événements a été la démarche de votre gouvernement consistant à fournir secrètement des armes offensives à Cuba » (extrait d’un message de Kennedy à Khrouchtchev du 23/10/1962).
« Vous êtes préoccupé par Cuba. Vous dites que cela vous dérange parce que c’est à 90 milles marins de la côte des États-Unis d’Amérique. Mais la Turquie est notre voisin ; nos sentinelles se croisent et s’observent durant leurs patrouilles. Pourquoi considérez-vous que vous avez le droit d’exiger la sécurité de votre propre pays et le retrait des armes que vous appelez offensives, mais ne nous accordez-vous pas le même droit ? » (message de Khrouchtchev à Kennedy du 27/10/1962)
Khrouchtchev et Kennedy ont essayé jusqu’au bout d’éviter la catastrophe, car ils connaissaient de première main l’horreur d’une guerre mondiale. Kennedy est le seul président des États-Unis à avoir reçu la médaille Purple Heart. Il a personnellement combattu la coalition nazie dans l’océan Pacifique. Le navire de Kennedy a été percuté par un destroyer japonais, trois de ses camarades sont morts, et John a dû traîner un camarade d’armes grièvement sur plus de 9 kilomètres dans l’eau jusqu’au rivage le plus proche. Khrouchtchev, quant à lui, a pris part à la bataille de Stalingrad – l’une des batailles les plus terribles du XXe siècle, qui a coûté la vie à plus de 2,6 millions de personnes.
Nikita Khrouchtchev lors de l'achèvement de l'offensive Lvov-Sandomir, 1944 / Lieutenant John F. Kennedy, 1942
Domaine publicEt malgré le désir des généraux de Washington et de Moscou de tester leurs armées au combat, les chefs d’État ont tenu bon et restaient déterminés à trouver une solution pacifique.
« Nous accordons peut-être encore plus de valeur à la paix que les autres peuples parce que nous avons traversé une terrible guerre contre Hitler. Mais notre peuple ne fléchira pas, quelle que soit l’épreuve… Si des provocateurs déclenchent une guerre, ils n’échapperont pas à leur responsabilité et aux graves conséquences qu’une guerre impliquerait pour eux. Mais nous sommes convaincus que la raison triomphera, qu’on ne déclenchera pas de guerre et que la paix et la sécurité des peuples seront garanties » (extrait d’un message de Khrouchtchev à Kennedy du 28/10/1962).
Un avion américain U-2 escorte un cargo soviétique pendant la crise des missiles de Cuba.
Domaine publicDans la nuit du 28 octobre, le procureur général américain Robert F. Kennedy a rencontré en secret l’ambassadeur soviétique Anatoli Dobrynine pour proposer un accord de paix selon les conditions suivantes : Khrouchtchev ordonnerait le retrait des armes nucléaires de Cuba, tandis que le président Kennedy s’engagerait à lever le blocus de Cuba et à démanteler des missiles en Turquie sous six mois.
C’était un accord verbal, sans signatures ni de garanties. Mais les deux parties ont en respecté les termes. Dès le 20 novembre, il ne restait plus une seule ogive nucléaire soviétique à Cuba et Kennedy a ordonné la levée du blocus de l’île. Quelques mois plus tard, les missiles américains Jupiter avaient été retirés de Turquie.
John Kennedy et Nikita Khrouchtchev au sommet de Vienne
Don Carl STEFFEN/Gamma-Rapho via Getty ImagesKhrouchtchev et Kennedy étaient conscients qu’ils devaient rester en contact, car c’était la seule façon d’éviter la haine mutuelle et la prise de décisions lourdes de conséquences irréparables. Il est important de rester conscient que même un ennemi reste un être humain : c’est probablement l’humanité qui caractérisait les relations entre les dirigeants des deux superpuissances qui a sauvé le monde en octobre 1962.
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