Les «barges de la mort», infâmes prisons flottantes de la guerre civile russe

Histoire
BORIS EGOROV
«Des vers grouillaient dans les plaies purulentes de ceux qui étaient encore en vie, ainsi que dans le nez et les oreilles des morts. Une puanteur insupportable s’emparait de tous ceux qui s’approchaient de l’écoutille : les hommes y restaient enfermés pendant des semaines...»

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Les prisons flottantes ont constitué l’une des pages les plus sombres de l’histoire de la guerre civile russe. Il s’agissait de barges de marchandises dans lesquelles s’entassaient des centaines d’hommes dans une promiscuité terrible. Souffrant d’insalubrité et de maladies, ils étaient à la merci des représailles des gardes. Ces navires surpeuplés, qui naviguaient le long des fleuves du pays, sont connus sous le nom de « barges de la mort ».

Un enfer sur l’eau

Ces prisons flottantes destinées aux criminels de droit commun et aux prisonniers de guerre étaient utilisées aussi bien par les Rouges que par leurs adversaires, les Blancs. Il était beaucoup plus difficile de s’en évader que des prisons situées sur terre, et un personnel moins nombreux était nécessaire pour les garder.

Les parties accusaient régulièrement l’ennemi d’avoir emmené ces navires avec des prisonniers de guerre en pleine mer ou au milieu d’un fleuve et de les avoir coulés délibérément. Cependant, il n’existe aucune preuve documentaire de telles exécutions massives. Quoi qu’il en soit, les « barges de la mort » étaient un endroit vraiment cauchemardesque.

Le docteur Kononov, qui s’est retrouvé sur la barge Volkhov utilisée par les Blancs, a décrit ainsi ce qu’il y a vu : « Tous les prisonniers étaient entassés dans une promiscuité terrifiante ; les écoutilles - seule source d’air et de lumière - étaient clouées et n’étaient pas ouvertes pendant des jours. Les prisonniers ne recevaient jamais de nourriture autre qu’un morceau de pain... Toute la population de la barge souffrait de typhus et de dysenterie. Les malades déféquaient sur place et leurs selles s’écoulaient sur ceux qui étaient en dessous. Les morts gisaient au milieu des vivants pendant des jours... Des vers grouillaient dans les plaies purulentes de ceux qui étaient encore vivants, ainsi que dans le nez et les oreilles des morts. Une puanteur insupportable s’emparait de tous ceux qui s’approchaient de l’écoutille : les gens y restaient emmurés pendant des semaines... »

Les morceaux de pain donnés aux prisonniers étaient souvent recouverts de moisissure et, durant la saison chaude, ils se transformaient rapidement en une masse puante. Il y avait une pénurie d’eau potable et les hommes recueillaient « l’eau extérieure », ce qui, à son tour, contribuait à la propagation des maladies intestinales.

Il était possible d’obtenir de la nourriture auprès des gardes si le prisonnier avait quelque chose de précieux à donner en contrepartie. Parfois, les hommes donnaient leurs seules bottes ou leur pantalon en échange d’un morceau de pain rassis.

Les gardes ne faisaient pas de cérémonie avec les prisonniers, recourant à la force physique pour un oui ou pour un non. Dans certains cas, cela pouvait aller jusqu’au meurtre. Les cadavres des malheureux abattus ou poignardés à la baïonnette étaient tout simplement jetés par-dessus bord.

Échapper à l’enfer

Bien que s’enfuir d’une « barge de la mort » fût une tâche presque impossible à réaliser, de telles tentatives ont eu lieu. Ainsi, par une chaude journée de juillet 1919, les prisonniers de la barge Volkhov, qui naviguait le long de la rivière Toura près de la ville de Tioumen, décidèrent de tenter le tout pour le tout.

Sur le navire se trouvaient alors 160 criminels de droit commun et 900 prisonniers de guerre appartenant à l’Armée rouge, dont quatre cents Hongrois qui s’étaient battus pour les bolcheviks. La raison de la tentative était des rumeurs selon lesquelles les Blancs avaient l’intention de couler la barge avec tous ses passagers.

Lorsque deux écoutilles de la cale ont été ouvertes et que les prisonniers ont commencé à être conduits sur le pont pour faire leurs besoins, un « hourra » a retenti ; c’était un signal convenu à l’avance. À la poupe, une partie des gardes ont été désarmés et abattus, mais la tentative a échoué près de la seconde écoutille.

Réalisant qu’ils ne pourraient pas mener à bien leur plan, les prisonniers ont commencé à sauter à l’eau sous une pluie de balles, seule une petite partie d’entre eux parvenant à atteindre le rivage. Après avoir refoulé dans la cale ceux qui étaient montés sur le pont et repris le contrôle de la situation, les gardes ont abattu plusieurs dizaines d’hommes pour l’exemple, tandis que les autres ont été privés de nourriture pendant trois jours.

Le sort des prisonniers d’une barge que les Blancs gardaient sur l’embarcadère du village de Goliany, près de la ville de Sarapoul, fut beaucoup plus enviable. En apprenant qu’il y avait à bord quatre cents soldats de l’Armée rouge capturés, le commandant de la flottille de la Volga, Fiodor Raskolnikov, a décidé d’entreprendre un plan audacieux.

Le 16 octobre 1918, le destroyer Prytki, se faisant passer pour un navire de la Garde blanche, s’est dirigé vers l’emplacement de l’ennemi. Des marins soviétiques déguisés ont affirmé qu’ils étaient chargés d’évacuer la barge vers un autre endroit. La confiance avec laquelle ils ont agi leur a permis de mener leur plan à bien.

Lorsque la barge eut été remorquée à une distance suffisante de Goliany, les bolcheviks ont attaqué les gardes et les ont rapidement désarmés. « L’écoutille a commencé à s’ouvrir. Tout le monde s’est pressé autour », a rappelé le prisonnier de guerre Vikenti Karmanov : « Un marin a regardé dans l’écoutille et a lancé : "Êtes-vous vivants, mes frères ?" et a jeté une miche de pain. Ce qui s’est passé ensuite ne peut être décrit par des mots ! Ils ont crié Hourra!, ont applaudi, beaucoup ne croyaient toujours pas que c’était les leurs ».

« Il était terrible de regarder ces hommes émaciés et épuisés, a noté à son tour Evgueni Freiberg, membre de l’équipage du Prytki : On eût dit qu’ils étaient sortis de leur tombe ».

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