Des ouvriers révolutionnaires soulevés contre les soldats du Gouvernement provisoire, Petrograd 1917.
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Dix jours après la Révolution, des fonctionnaires et des employés du ministère des Finances de l'Empire russe ont manifesté à Petrograd contre la prise du pouvoir par les bolcheviks.
« Nous avons décidé d’entamer une grève générale et de publier une résolution », a écrit Sergueï Belgard, secrétaire du ministère. La résolution était la suivante : « Nous, employés du ministère des Finances, déclarons que : 1) Nous ne considérons pas possible d'obéir aux ordres venant de ceux qui ont pris le pouvoir. 2) Nous refusons d'entrer en relations officielles avec eux. 3) Désormais, jusqu'à la mise en place d’autorités jouissant d'une reconnaissance nationale, nous interrompons nos activités officielles, en imputant la responsabilité des conséquences à ceux qui ont pris le pouvoir. »
Sergueï Belgard, secrétaire du ministère des Finances
Archives de Memorial (CC BY-SA 3.0)Lorsque Viatcheslav Menjinski, un dirigeant bolchevique à qui Lénine avait ordonné de gérer la Banque d'État, se présenta au ministère des Finances, le directeur du bureau de crédit et de la Monnaie, Conrad Sahmen, refusa de lui serrer la main. En retour, Menjinski déclara : « Je ne vous considère plus comme le directeur du bureau de crédit. » La guerre était déclarée.
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Le ministère des Finances n'était bien sûr pas la seule institution à protester contre le pouvoir bolchevique. Deux jours après leur résolution, le 29 octobre, les cadets de plusieurs écoles militaires de Petrograd se sont mutinés contre les bolcheviks. Ils furent rapidement réprimés dans le sang, des centaines d’entre eux ayant été tués et exécutés.
La mutinerie des cadets et la grève des hommes d'État avaient été inspirées par le Comité pour le salut de la Patrie et de la révolution, une organisation contre-révolutionnaire créée par des membres de la Douma de la ville de Petrograd dans la nuit du 26 octobre, alors que les bolcheviks s'emparaient du palais d'Hiver. Le Comité a déclaré les bolcheviks et leur pouvoir illégitimes et a distribué des tracts exhortant les citoyens à ne pas reconnaître le nouveau gouvernement.
Des élèves-officiers dans les locaux ravagés du Comité central du Parti ouvrier social-démocrate de Russie dans l’ancien hôtel Ksechinskaïa, juin 1917
SputnikAprès la répression de la mutinerie des cadets, le Comité se consacre pleinement à soutenir la grève des fonctionnaires. Plus de 40 000 employés et fonctionnaires ont participé à la grève qui a commencé en octobre 1917 ; on trouvait parmi eux 10 000 employés de banque, 6 000 postiers, 4 700 télégraphistes et 3 000 employés d’entreprises commerciales. Les ouvriers de l'imprimerie ont menacé d'arrêter d'imprimer les documents des bolcheviques, ceux de l'industrie alimentaire à Moscou ont décidé d'arrêter d'expédier de la nourriture à Petrograd.
Anatoli Lounatcharski, commissaire du Peuple à l'Instruction publique
Viktor Bulla/Sputnik« Le personnel technique se soulève contre nous. Nous ne règlerons rien par nous-mêmes. La faim va commencer », a déclaré Anatoli Lounatcharski, un célèbre bolchevik et chef adjoint du Soviet de Petrograd. Lounatcharski avait des liens étroits avec l'intelligentsia d'antan et comprenait que la grève des fonctionnaires tsaristes pouvait être fatale. « Il est possible, bien sûr, d'agir par la terreur – mais à quoi bon ? À l'heure actuelle, il faut d'abord prendre possession de tout l'appareil [civil]. »
En outre, sans accès au Trésor et à la Banque d'État, les bolcheviks étaient tout simplement fauchés. Les employés de la Banque d'État ont publié un communiqué destiné aux citoyens :
« Chers citoyens ! La banque d'État est fermée. Pourquoi ? Parce que les violences infligées par les bolcheviks à la Banque d'État n'ont pas permis de continuer à travailler. Les premiers pas des commissaires du peuple se sont exprimés par la demande de 10 millions de roubles, et le 28 octobre, ils ont réclamé 25 millions sans préciser à quoi servirait cet argent… Nous, fonctionnaires de la Banque d'État, ne pouvons pas participer au pillage du patrimoine national. Nous avons arrêté de travailler.
La Banque d'État à Saint-Pétersbourg
Domaine publicCitoyens, l'argent de la Banque d'État est l'argent du peuple, tiré de votre travail, de votre sueur et de votre sang. Citoyens, sauvez le trésor national du pillage et protégez-nous de la violence, et nous nous mettrons au travail dès maintenant. Les employés de la Banque d'État. »
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Mais la Banque d'État n'était même pas le plus gros problème. Des fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères se sont soulevés contre Léon Trotski lui-même, probablement le deuxième bolchevik le plus notoire après Lénine à l'époque. Trotski, qui fut le premier commissaire du peuple aux Affaires étrangères du nouveau gouvernement, se souvient de son premier jour au ministère.
Trotski s'adresse aux soldats, 1918
TASS« On m'a dit qu'il n'y avait personne. Un certain prince Tatichtchev a déclaré qu'il n'y avait pas d'employés, qu'ils ne s’étaient pas présentés au travail. J'ai demandé de réunir ceux qui étaient venus, et il s'est avéré qu'un nombre colossal est effectivement apparu… J'ai expliqué que la question [du nouveau pouvoir] était irrévocable, et que quiconque voulait servir de bonne foi resterait en service. Mais tout cela n'a servi à rien. »
Environ 600 fonctionnaires ont immédiatement démissionné, beaucoup sont rentrés chez eux, et certains d'entre eux se sont enfermés dans leurs bureaux. Le vice-ministre des Affaires étrangères Anatoli Neratov a tenté de s'enfuir avec les originaux des traités secrets du gouvernement impérial. Au ministère du Travail, le nouveau Commissaire du Peuple Alexandre Chliapnikov ne pouvait même pas obliger les employés à allumer les fourneaux. Pendant ce temps, au ministère des Finances, des documents financiers internationaux ont été brûlés – cela a rendu impossible l’étude des relations financières de la Russie avec d'autres États.
Bureau du ministre des Finances de l'Empire russe
Fotoload.ruLes bolcheviks ont adopté des mesures urgentes contre la grève. Le 1er novembre 1917, le Comité révolutionnaire de Petrograd a cessé de payer les fonctionnaires tsaristes qui avaient rejoint la grève et, le 26 novembre, a déclaré les contre-révolutionnaires et les saboteurs « ennemis de l'État ».
Viatcheslav Menjinski a émis un ordre qu'il a personnellement soumis aux fonctionnaires du ministère des Finances : « Tous les employés qui ne reconnaissent pas les autorités du Soviet des commissaires du peuple sont considérés comme licenciés sans conserver leur droit à une pension. Les employés et fonctionnaires qui veulent continuer leur travail et se soumettre pleinement au pouvoir révolutionnaire du SCP devraient commencer lundi. Les fonctionnaires licenciés utilisant des appartements appartenant à l'État doivent les libérer sous trois jours. »
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Le 17 novembre, Menjinski est entré de force dans les bureaux de la Banque d'État ; des coffres-forts et des bureaux ont été cambriolés et de l'argent a été saisi. C'était le début de la Terreur rouge – le 7 décembre, la Commission extraordinaire panrusse (Tchéka) dirigée par Félix Dzerjinski a été mise en place pour lutter contre le sabotage, et Lénine a conféré à l'organe des « pouvoirs d'urgence » – en fait, le droit de procéder à des exécutions.
Viatcheslav Menjinski
TASSPresqu’immédiatement, la Tchéka a découvert que le Syndicat des employés des institutions de l'État, une organisation d'anciens responsables tsaristes, collectait de l'argent pour soutenir financièrement les employés en grève. Pour ce faire, les anciens ministres du gouvernement provisoire avaient saisi 40 millions de roubles à la Banque d'État – pas une somme exorbitante, quand on sait que le budget du pays était estimé à plus de 2 milliards et qu’un salaire décent était d'environ 400-500 roubles à l'époque. L'argent était également collecté par souscription parmi les classes moyennes. Avec cet argent, les fonctionnaires en grève ont reçu 1 à 2 mois de salaire à l'avance. Le 18 décembre, un télégramme d'anciens ministres du gouvernement provisoire appelant tous les fonctionnaires à commettre des actes de sabotage à travers la Russie a été intercepté.
Tout cela ne pouvait pas bien se terminer. Le 17 décembre, Léon Trotski déclarait : « D'ici un mois, la terreur prendra des formes très fortes, à l'instar des grands révolutionnaires français. Nos ennemis feront face à la guillotine, pas seulement à la prison. » En 1918, la Terreur rouge entre pleinement en vigueur. Les fonctionnaires qui refusaient de signer des obligations écrites de non-coopération avec les organes contre-révolutionnaires ont fait l'objet de répressions. Le 3 septembre 1918, 512 anciens fonctionnaires, ministres, professeurs, etc. ont été fusillés par un peloton d'exécution. À ce moment-là, la grève des fonctionnaires était déjà terminée depuis longtemps.
Félix Dzerjinski et le personnel du Tchéka
SputnikLogiquement, un grand nombre de postes vacants sont apparus dans l'appareil d'État. Ils ont été occupés en grande partie par des fonctionnaires juifs instruits, qui n'avaient pas auparavant l'occasion de servir dans les institutions d'État parce que les lois tsaristes limitaient leurs droits. La plupart de la population juive de Russie à cette époque était anti-tsariste à cause de cela. Les bolcheviks, au contraire, soutenaient les juifs russes – le 25 juillet 1918, le décret Sur la lutte contre l'antisémitisme et les pogroms juifs fut publié par le Soviet des commissaires du peuple, et les juifs furent invités à servir le nouvel État et l'Armée rouge.
Semen Dimanstein, responsable de la communauté juive au Commissariat du peuple aux nationalités
Domaine publicSemen Dimanstein, un fonctionnaire soviétique responsable de la communauté juive au Commissariat du peuple aux nationalités, a écrit : « Le fait qu'un nombre important d'intellectuels juifs se sont retrouvés dans les villes russes à cause de la guerre a grandement servi la révolution. Ils ont déjoué le sabotage général que nous avons rencontré au lendemain de la Révolution. » Comme l'a également écrit Dimanstein, Lénine lui-même a souligné le fait que les bolcheviks « n'ont réussi à conquérir l'appareil d'État et à le modifier de manière significative que grâce à cette réserve de nouveaux fonctionnaires compétents et plus ou moins éduqués et sobres ».
Ici nous expliquons pourquoi une île du pays des Soviets portait-elle le nom de leur ennemi juré.
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