Alors que la Chine présente à la fois un défi et une opportunité pour le développement économique russe, la visite de quatre jours du premier ministre russe Dmitri Medvedev chez le géant voisin est un test critique pour ce partenariat annoncé en grande pompe.
Depuis 2014, quand le volume des échanges entre les deux pays s’élevait à $88.4 milliards, le commerce a plongé. Au premier trimestre 2015, il a enregistré une chute de 33.6 %, au deuxième trimestre - de 27.1 %, et le volume prévisionnel baisse à environ $67 milliards, bien en dessous de l’objectif ambitieux annoncé par Moscou dans le cadre de son « tournant asiatique » tant vanté.
Néanmoins, Moscou semble soucieux de conserver le statut privilégié de la coopération économique avec l’Empire du Milieu. Dmitri Medvedev a non seulement assisté à la réunion du Conseil des chefs des gouvernements de l'Organisation de coopération de Shanghai à Zhengzhou, mais a également mené des négociations bilatérales dans l’objectif annoncé d’attirer « des investissements à long terme, mettre en place des mécanismes permettant de simplifier et encourager le commerce et rapprocher les pratiques dans les domaines des normes, exigences techniques et règles de l’administration douanière ».
Pourtant, dans les circonstances économiques désastreuses actuelles, la Russie peut difficilement compter sur un retour de la coopération avec la Chine, à l’exception des projets d’envergure dans les infrastructures de transport, l’industrie aéronautique et l’énergie nucléaire, qui restent sur la bonne voie.
Dans son entretien, Alexandre Lomanov, chargé de recherche à l’Institut des études économiques de l’Extrême-Orient de l’Académie russe des sciences, rétablit les faits sur les forces et les faiblesses de l’interaction bilatérale.
« Cette année a été extrêmement difficile pour le partenariat économique entre la Russie et la Chine. Cela s’explique par l’absence de modèle de croissance durable en Russie. Il y a plusieurs années, il a été officiellement annoncé que le volume d’échanges commerciaux avec la Chine devrait atteindre $100 milliards avant 2015 pour être doublé à l’horizon 2020. Le premier objectif est clairement inatteignable à cause de l’effondrement de la devise nationale, la dévaluation forte et profonde du rouble. Cela met également en doute les chances d’atteindre le second objectif fixé pour 2020 ».
La Russie est une victime directe de la spirale actuelle des prix du pétrole, alors que la Chine profite de cette tendance et des prix réduits. Comment harmoniser les économies avec des modèles de base si divergents ?
« La Russie est confrontée au défi de réduction de sa dépendance vis-à-vis des recettes pétrolières. Mais la Russie peut désormais fournir un nouveau service efficace de transport de biens exportés et importés vers et en provenance de Chine, la reliant avec l’Europe de l’Est via le Corridor de transports eurasien, soit par voie terrestre ou par la Route de la mer du Nord ».
Vous suggérez que les simples services de transport peuvent générer de solides revenus ?
« La Chine étudie actuellement les moyens de mise en œuvre du projet One Belt, One Road. One Belt porte sur le transport et la coopération économique à travers l’Eurasie, y compris en Russie, en Asie centrale et, éventuellement au Pakistan, en Afghanistan, etc. One Road est la nouvelle Route de la soie, essentiellement une route maritime reliant la mer de Chine méridionale à l’océan Indien et ensuite à l’Europe. Mais Pékin comprend que cette route n’est pas complètement sécurisée. En cas de tensions ou désaccords, les navires marchands chinois seront en danger. Ainsi, la Chine étudie cette alternative : la route du Nord qui pourrait être utilisée pour le transport de ses marchandises d’Est en Ouest, c’est-à-dire en Europe ».
Qu’en est-il de l'Organisation de coopération de Shanghai ? On dit qu’il y a une divergence de vues à Moscou et à Pékin sur la manière dont elle s’inscrit dans les priorités stratégiques asymétriques des deux nations. Est-ce que c’est le cas ?
« Dans son discours présidentiel devant l’Assemblée fédérale, Vladimir Poutine a annoncé ouvertement et explicitement qu’il espérait que l'Organisation de coopération de Shanghai jouerait un rôle économique plus important dans la région. Cela a mis un terme au différend opposant les experts russes et chinois. Les experts russes avaient longtemps assuré que l’OCS était principalement un atout politique et stratégique, alors que leurs homologues chinois soulignaient que pour Pékin, elle représentait un outil économique fortement souhaitable de développement et de projection de ses intérêts dans la région.
Dans les circonstances actuelles, la Russie a modifié sa position pour placer l’accent sur l’aspect économique. Toutes ces raisons ont façonné l’ordre du jour de la visite de Dmitri Medvedev en Chine ».
Néanmoins, Moscou et Pékin sont d’accord sur un sujet crucial à connotations essentiellement politiques : la régulation d’Internet. En Chine, Dmitri Medvedev et le président chinois Xi Jinping se sont adressés aux participants de la conférence « Un monde commun et conjointement gouverné et développement d’une communauté Internet au destin commun ».
Les deux nations considèrent injuste que l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN), qui gère le Domain Name System (DNS), les adresses Internet Protocol (IP), l’allocation d’espace, l’attribution des identifiants de protocole, les codes pays (ccTLD), le système des noms de domaine de premier niveau, etc., prenne ses racines au sein du gouvernement américain et soit un organisme non-élu dépourvu de toute responsabilité légale devant la communauté Internet multipartite.
La proposition formulée fin 2013 par la Russie et la Chine de remplacer l'ICANN, toujours supervisé par une agence obscure au sein du ministère américain du Commerce, par une institution internationale, a été torpillée en mai 2015 par le Congrès américain qui affirmait que cela était contraire aux intérêts de Washington. Dmitri Medvedev a sans doute discuté avec le président Xi des moyens de briser ce monopole sur Internet pendant sa visite en Chine.
Outre ce consensus présumé, la question de l’encouragement des interactions économiques bilatérales reste toujours l’otage de ce que M. Lomanov qualifie d’« absence de modèle de croissance durable en Russie ».
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