Du vin suisse au pays de la vodka

archive personnelle
La Russie n’est pas connue pour la qualité de son vin, malgré le climat très propice à sa production dans le sud du pays. Le Suisse Renaud Burnier et son épouse Marina s’y sont pourtant attelés et, quinze ans plus tard, force est de constater que leur flair a fini par payer.

Natoukhaïevskaïa se trouve à la même latitude que Bordeaux ou le Piémont, au bord de la mer Noire, à 300 km à l’ouest de Sotchi. C’est là que Renaud et Marina Burnier ont eu le coup de foudre, il y a quatorze ans, pour ce domaine viticole de 50 hectares qui est depuis devenu le leur.

Née en Russie, Marina a obtenu une bourse pour étudier en Suisse après son cursus à l’Institut des relations internationales de Moscou. C’est en 1995, lors d’un vernissage dans une cave à vin à Berne, qu’elle a fait la connaissance de Renaud. « L’idée était tellement romantique, que je me suis dit : il faut y aller », se souvient-elle. Il lui propose alors de s’occuper de 800 ceps de vignes sur son domaine en la rémunérant avec une bouteille par cep. « J’y ai passé tous mes weekends et c’est comme ça que je suis tombée amoureuse de la vigne et de Renaud », se souvient-elle en riant, avant d’entamer le récit de leur aventure viticole, ici, dans le sud de la Russie.

Une région à l’abandon

A la fin des années 1990, la situation économique est désastreuse. Les sovkhozes, ces fermes collectives de l’URSS, avaient pratiquement tous fait faillite. Les machines se vendaient au prix du métal, même si elles fonctionnaient encore.

Mais cela ne décourage pas Renaud Burnier, qui a toujours été attiré par la Russie, bercé depuis l’enfance par les récits de son arrière-grand-tante, qui fut gouvernante à Moscou dans une famille d’aristocrates proches du Tsar, avant de rentrer dans le Vully bien après la Révolution de 1917. C’est sans doute pour cela qu’il se souvient très bien de ce professeur qui lui avait dit que le Sud de la Russie était idéal pour l’exploitation de la vigne, alors qu’il était étudiant en œnologie à la haute école de viticulture de Changins, près de Genève, dans le canton de Vaud.

En découvrant la Russie avec Marina, il fut stupéfait de constater l’absence de bon vin russe dans les œnothèques. « Il y avait principalement du vin étranger de mauvaise qualité et très cher. Par rapport au nombre d’hectares cultivés en Russie, je me suis dit que ce n’était pas possible », précise Renaud. Il décide alors d’aller voir sur place ce qu’il en est.

Le Krasnostop : une révélation

A force de travail, Renaud et Marina ont démontré qu’il était possible de produire en Russie un vin haut de gamme. Source : archive personnelle

En septembre 1999, il met le cap sur la région de Krasnodar. C’est là qu’il goûte quelques raisins d’un cépage local russe, le Krasnostop. Marina n’oubliera jamais sa réaction. « Il m’a dit qu’il n’avait jamais dégusté un raisin aussi complexe et mystérieux », raconte-t-elle, avant d’ajouter que « ce raisin n’était jusqu’alors utilisé par les vignerons locaux que pour donner de la couleur à leurs vins ». Personne ici n’avait pensé à développer ce cépage pour lui-même. Un défi que Renaud va relever dès 2001, lorsqu’il commence à exploiter son domaine de Natoukhaïevskaïa.

Les travaux sont herculéens. Sur place, le matériel fait défaut et il faut tout faire venir d’Europe, des attaches pour la vigne jusqu’aux sécateurs. Des amis vignerons suisses, attirés par ce défi, viendront leur prêter main forte pour labourer la terre, puis tirer les lignes ou encore tailler les plants pour qu’ils se développent de manière correcte.

Du vin haut de gamme

En 2005, le premier Krasnostop tiré des fûts valide l’intuition initiale du vigneron suisse. « Personne – œnologues, sommeliers, amis suisses – ne pouvait croire que ce vin venait de Russie tellement son goût différait de la production locale », avoue Marina dans un sourire.

Mais avant d’en arriver là, elle ne compte plus les heures passées dans les locaux de l’administration russe pour obtenir les documents nécessaires à l’acquisition du domaine, à l’exploitation de la vigne ou à la construction de la cave. Il a fallu du temps, encore, pour former la main d’œuvre locale au traitement moderne de la vigne et lui expliquer pourquoi il fallait sacrifier certaines grappes pour améliorer la qualité du raisin. Une aberration pour des employés issus de l’école productiviste soviétique qui privilégie la quantité. Malgré tout, les travaux sensibles restent effectués par des Suisses, sur la vigne comme dans la cave.

Source : archive personnelle

A partir de 2009, les Burnier exportent en Suisse le produit de leur vignoble russe. Des raisons administratives font qu’ils ne le commercialisent en Russie que depuis l’automne dernier. Mais à force de travail, Renaud et Marina ont démontré qu’il était possible de produire en Russie un vin haut de gamme qui tient la comparaison au niveau international.

Ils produisent aujourd’hui 200 000 bouteilles par an, dont un Assemblage Blanc, un Merlot, un Cabernet et un Krasnostop sont commercialisés aujourd’hui. Et depuis 2013, le domaine a même créé sa pépinière pour sélectionner et greffer ses propres plants.

A l’heure actuelle, on trouve leur vin dans des restaurants choisis de plusieurs villes russes et il devrait être disponible bientôt dans les magasins spécialisés des grandes villes du pays. Mais ce dont les Burnier sont particulièrement fiers, c’est d’avoir fourni le vin officiel de la Maison suisse des Jeux olympiques de Sotchi. Il se murmure que Vladimir Poutine en personne aurait délaissé son Château Haut Brion, le temps de sa visite, pour découvrir ce crû local, certes fait par des Suisses, mais produit de la terre russe.

 

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