Pierre Kropotkine : « le père de l’anarchisme russe »

Dessin de Natalia Mikhaylenko

Dessin de Natalia Mikhaylenko

Le prince Pierre Kropotkine, l’une des principales figures du mouvement anarchiste, rêvait d’un monde sans violence, ni autorité du gouvernement. Il voyait la société comme la coopération volontaire de gens libres. Aujourd’hui, ses idées sont aussi valables qu’au XIXe siècle.

Dessin de Natalia Mikhaylenko

Le mot « anarchie » fait penser au drapeau noir, au crâne et aux tibias, à des marins ivres : bref, au chaos. Cependant, Pierre Kropotkine ne prônait rien de ce genre. Homme austère et scientifique, il détestait la violence.

Comme la majorité des révolutionnaires russes du XIXe sicèle, il est né dans une famille noble et riche et faisait donc partie de l’élite de l’État russe. Son père avait plus d’un millier de serfs et trois domaines. Kropotkine a fait ses études au Corps des Pages, l’académie militaire la plus prestigieuse de la Russie impériale et était en effet un page de l’empereur russe Alexandre II. Le jeune noble avait un avenir très prometteur : il aurait pu devenir général ou ministre.

Mais Kropotkine a abandonné sa carrière et a préféré devenir un révolutionnaire. Après avoir étudié de nombreuses œuvres interdites par la censure, il refuse un poste prestigieux dans la Garde impériale et se rend en Sibérie.

Durant son voyage, Kropotkine s’est finalement convaincu que c’est l’État qui était la racine de tous les maux. Dans des endroits très éloignés de l’Empire, libres du contrôle des autorités, il voyait que les gens étaient pauvres, mais heureux. Ils organisaient eux-mêmes des communautés et vivaient bien sans fonctionnaires, ni impôts.

Au cours d’un périple en Suisse, Kropotkine a examiné l’anatomie d’une guilde horlogère. Les artisans n’avaient pas de patrons, mais leur guilde fonctionnait parfaitement. C’était une véritable commune anarchiste comme l’imaginait Kropotkine : une communauté de gens libres qui travaillent parce qu’ils le veulent et non parce qu’ils sont obligés de le faire. En Suisse, Kropotkine rejoint la Première internationale, à laquelle participait également Karl Marx.

Faisant son retour en Russie, Kropotkine, déjà révolutionnaire, commence à faire de la propagande. Prudent et astucieux, il réussit durant longtemps à se cacher des autorités : il choisissait tout le temps de nouveaux appartements pour rassembler ses partisans et était un vrai maître du déguisement. Il pouvait entrer dans un bâtiment comme un jeune homme élégant portant des lunettes et en sortir déguisé en un paysan : le changement était tout simplement incroyable. Mais, finalement, la police est parvenue à l’arrêter. Il est emprisonné dans la forteresse Pierre et Paul, une des prisons les plus dures du pays. Après y avoir passé deux années, Kropotkine prend la fuite : un exploit unique, car seul un homme complétement désespéré pouvait se décider à s’évader cette forteresse.

Kropotkine part ensuite de nouveau à l’étranger et continue à mener ses activités antigouvernementales et à lutter contre la machine d’État. Il rassemble beaucoup de partisans qui publiaient un journal baptisé Rebel, faisaient de la propagande et organisaient même des attentats. Bien qu’il n’ait pas participé aux attaques, Kropotkine était une figure trop visible et fut donc expulsé de tous les pays européens où il s’installait. En France, il a même été condamné à cinq ans de prison. Cependant, plusieurs philosophes, scientifiques et écrivains, notamment Victor Hugo, signent une pétition pour sa remise en liberté et Kropotkine est finalement amnistié après avoir purgé trois ans de sa peine.

Aucun État – soit-il capitaliste ou socialiste – n’aime les anarchistes. Quand Kropotkine revient en Russie en pleine révolution, il s’affronte tout de suite aux bolcheviks. Le vieux anarchiste était horrifié par la cruauté des communistes. Étant un homme doux et gentil, il ne pouvait pas reconnaître la « terreur rouge ». Pour lui, l’anarchisme était tout d’abord de l’aide mutuelle et de la solidarité, mais en Russie, il a vu une guerre de tous contre tous.

« Et c’est pour cela que j’ai consacré ma vie à la théorie de l’anarchie », disait-il à Gueorgui Plekhanov, un des théoriciens marxistes de renom. Plekhanov répondait : « Mais moi, je me trouve dans la même situation. Je ne pouvais pas imaginer que mes idées du socialisme scientifique pouvaient conduire à ce cauchemar… ».

Kropotkine rencontrait Vladimir Lénine et essayait de le convaincre d’arrêter les exécutions. Mais Lénine ne faisait que se moquer de lui. À l’époque, personne ne le prenait plus au sérieux; même le célèbre anarchiste Nestor Makhno, qui respectait beaucoup Kropotkine, considérait ses idées comme obsolètes et irréalistes.

Quand Kropotkine est mort, les autorités soviétiques lui ont rendu hommage en tant que révolutionnaire qui luttait contre le tsarisme. Des rues et même des villes entières ont été rebaptisées en son honneur. Il existe notamment toujours la station du métro moscovite Kropotkinskaïa, située en plein centre de la capitale. En outre, le gouvernement a ouvert un musée de Kropotkine, mais au cours des années 1930 il a été fermé. Les livres du révolutionnaire n’étaient pas non plus publiés : l’État soviétique émergeait et devenait de plus en plus puissant, et les idées de l’anarchisme étaient désormais trop étrangères pour lui.

Mais l’anarchisme a survécu. Tant que l’État existe, il y aura toujours ceux qui lutteront contre l’oppression qu’il implique. Et le slogan très utilisé par les anarchistes russes, « L’anarchie est la mère de l’ordre », ne semble pas si absurde que ça si l’on comprend l’anarchie à la Kropotkine, comme une utopie, une forme idéale de l’organisation de la société dans laquelle les citoyens responsables travaillent pour le bénéfice de l’autre, sans maîtres ni superviseurs, juste parce qu’ils sont des gens responsables et bienveillants. Le prince Kropotkine, ce grand rêveur, croyait qu’un jour, la société humaine atteindrait cet idéal.

 

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