Ouglitch est la seule ville au monde dont le blason représente un garçon couteau au poing. Source : service de presse
Il semble que le triste destin du tsarévitch Dimitri, dernier héritier d'Ivan le terrible, était scellé dès son arrivée. C'est précisément lui qui est représenté sur le blason d'Ouglitch, armé de sa sinistre lame.
Le jeune prince vécut huit ans. Une crise politique qui perdura vingt deux ans après sa mort, nommée par les historiens « Le temps des troubles » est à relier avec sa disparition énigmatique. Bien qu'il fut issu du sixième mariage de son père et considéré comme un bâtard par l'église orthodoxe, Dimitri était le seul héritier de la maison des Riourikovitchi après la mort d'Ivan le terrible.
D'après des témoins, il serait mort au cours d'une partie de jeu de couteaux. Les règles n'ont pas changé : on dessine une ligne puis on lance son couteau en essayant de le planter dans le sol le plus loin possible afin de l'emporter. À ce moment, le prince aurait commencé à souffrir d'épilepsie. Au moment du spasme, en pleine bousculade, le prince se serait accidentellement blessé à la gorge.
En 1606, 15 ans après sa mort, il fut canonisé. Un cimetière pour enfants entoura par la suite sa tombe et la chapelle qui la surplombe. Le 28 mai, à Ouglitch, on observe un jour à la mémoire du tsarévitch Dimitri : il est considéré comme le saint protecteur des enfants. Ce jour-là, dans l'église Saint-Dimitri-sur-le-sang-versé, un office solennel est célébré, suivi d'une procession où l'on exhibe une icône en forme de tissu brodé, qui fut utilisée pour retourner les saintes reliques du tsarévitch d'Ouglitch à Moscou.
La cloche qui sonna la mort du tsarévitch suscita l'agitation du peuple et fut punie : son battant lui fut ôté et elle fut envoyée en prison à Tobolsk, en Sibérie. Là-bas, elle fut gravée de l'inscription suivante : « première immobilisation, en provenance d'Ouglitch ». 300 ans plus tard, la cloche fut rendue à la ville ; elle est désormais exposée dans le musée d'État d'histoire, d'archives et d'art.
Après la mort du tsarévitch, la ville d'Ouglitch traversa péniblement le temps des troubles, au gré des destructions et des pillages. Du milieu du XVIIe siècle au début du XIXe siècle, le profil de la ville n’évolua que très peu, ce qui lui confère désormais un aspect pittoresque. Les principaux changements de l'époque soviétique s’incarnèrent dans l'installation d'un réservoir et d’aménagements hydrauliques construits par les détenus des années 1935 aux années 1955. Ils s'inscrivent dans le décor de la ville et complètent son paysage au premier plan idyllique, mais regorgeant de drames secrets.
Dans l'ensemble, l'histoire des princes d'Ouglitch était déjà tragique avant l'arrivée du tsarévitch. Les fils de Vladimir, premier prince de la ville, moururent sans descendance. Alexandre, fils de Fedor Tcherny, prince de Iaroslavl, régna sur la principauté abandonnée avant de disparaître. Le fils du prince de Rostov lui succéda et disparut également des chroniques. Peu de temps après, Iouri, son fils unique, mourut sans laisser d'enfant. Ivan Kalita, prince de Moscou s’accapara ensuite Ouglitch.
Konstantin, le fils de Dimitri Donskoï, décéda sans héritier cinq ans après être parvenu au pouvoir. Le prince suivant, Andreï le Grand, naquit à Ouglitch à l'époque où son père Vassili II, rendu aveugle par des partisans de Dimitri Chemiaka vivait en prison. Andreï entra en conflit avec son frère, le grand prince Ivan III, et se retrouva en prison où il mourut dans des conditions obscures. Ses fils finirent leurs jours dans un monastère après avoir été emprisonnés longuement. Devenu prince, Iouri, le frère d'Ivan le terrible, devint fou, son fils ne survécut pas un an, et sa femme entra dans les ordres au monastère de la Résurrection de Goritsy. Sur ordre du tsar, elle fût noyée secrètement dans la Cheksna.
Le grand Réservoir d'eau, qui reflète le Kremlin, les monastères, les maisons à étages, les églises, les hôtels particuliers des marchands et des nobles et la tour de guet dans la rue principale constitue une image de la Russie toute droit sortie des toiles des classiques paysagistes.
La principale source de bien-être dans la ville est bien-sûr la présence de touristes. Voilà pourquoi hôtels, cafés, musées privées ou d'État sont nombreux à Ouglitch. Les musées exploitent volontiers la sombre histoire de la ville. Le musée des mythes et de la superstition du peuple russe séduira les romantiques. Son œuvre la plus éclatante est très certainement la maquette du squelette d'un vampire. Pour les visiteurs plus ombrageux, le musée de l'art pénitencier sera plus adapté. Malheureusement, l'exposition n'a pas lieu dans l'ancienne prison de la ville, désormais transformée en internat.
Après avoir visité le kremlin d'Ouglitch, au cœur de tous les itinéraires touristiques, l'église de la Dormition et le monastère de la Sainte Résurrection valent absolument le détour. L'ensemble des bâtiments fut construit entre 1674 et 1677 grâce à la persévérance de Jonas, fameux métropolite de Rostov et grand amateur d'architecture, qui prit la tonsure dans ce monastère. Tout près, sur la Volga, se trouve l'église de la Nativité. Cette magnifique cathédrale fut construite en 1690 par un riche mécène, Nicéphore Tchenolossov, en mémoire de son fils Ivan, enlevé puis sauvagement assassiné par un maniaque. Encore une figure criminelle de la ville !
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