Le village s’endort, les hommes d’affaires se réveillent

Un jeu de société peut devenir un instrument pour un spécialiste en ressources humaines, un moyen de tester ses partenaires d’affaires ou même de trouver une épouse. Crédit photo : ITAR-TASS

Un jeu de société peut devenir un instrument pour un spécialiste en ressources humaines, un moyen de tester ses partenaires d’affaires ou même de trouver une épouse. Crédit photo : ITAR-TASS

Que faire un vendredi soir à Moscou si vous êtes lassés des discothèques et des restaurants? Devenir un membre de la Mafia. Le jeu de société Mafia, créé par un étudiant russe en psychologie il y a 26 ans, devient de plus en plus populaire dans la capitale russe, et pas seulement chez le public : plusieurs clubs spécialisés essaient de transformer le jeu en un moyen de gagner de l’argent.

Le jeu Mafia a été créé en 1986 par Dmitri Davidoff du département de psychologie de l’Université d’État de Moscou, sur la base des jeux « Loup-Garou » et « Assassin », connus en Europe depuis le milieu du XXe siècle.

Après avoir conquis les universités de l’Union soviétique, Mafia a franchi les frontières dans les années 1990 grâce aux étudiants étrangers faisant leurs études en URSS, et est devenu célèbre dans le monde entier. Depuis lors, plusieurs versions du jeu furent inventées par les joueurs enthousiastes.

Selon la variante la plus populaire, le narrateur assigne d’abord aux participants (habituellement, il s’agit de 8 à 16 personnes) les rôles : deux ou trois d’entre eux deviennent les membres de la Mafia, un joueur prend le rôle du policier, et les autres représentent les villageois.

Ensuite, le narrateur annonce la phase de « nuit » : les villageois s’endorment (ferment les yeux et baissent les têtes), tandis que les membres de la Mafia ouvrent les yeux pour prendre connaissance l’un de l’autre avant de désigner au narrateur la victime. Durant la même phase (après que la Mafia s’endort), le policier inspecte à l’aide du narrateur un joueur pour déterminer s’il est un membre de la Mafia.

Ensuite, au cours de la phase de « jour », tout le monde délibère pour s'accorder sur l'identité du joueur devant être désigné comme membre de la Mafia et emprisonné. Le jeu se termine quand tous les joueurs de la Mafia ont été emprisonnés (victoire des villageois) ou quand les membres de la Mafia sont en majorité durant une phase de jour (victoire de la Mafia). Chaque partie dure près d’une demi-heure.

La plupart des gens considèrent le jeu comme un moyen de passer une soirée en s’amusant. Mais certains hommes d’affaires le voient comme un moyen de gagner de l’argent. Il existe plusieurs façons de rentabiliser Mafia : on peut trouver en Russie des clubs pour jouer avec ses copains ou collègues ou pour organiser sur la base du jeu une formation ou un team-building.

Un jeu de société peut devenir un instrument pour un spécialiste en ressources humaines, un moyen de tester ses partenaires d’affaires ou même de trouver une épouse, estime la psychologue Lika Mikeladzé. Selon l’expert, des grandes compagnies organisent souvent des séances de Mafia dans un environnement informel, les participants percevant le jeu comme un loisir amusant.

«Mais, si l’on est attentif, on peut apprendre beaucoup sur ses partenaires : par exemple, on peut remarquer les signes non verbaux que les gens montrent également durant des négociations, c’est-à-dire, apprendre à voir s’ils mentent ou essaient de cacher quelque chose », dit Mme Mikeladzé. En moyenne, une session de Mafia d’une demi-heure environ coûte 24,6 euros par personne, le groupe de participants comprenant habituellement 10 personnes.

Les spécialistes en RH, eux aussi, peuvent tirer des conclusions importantes du comportement des joueurs, déterminant par exemple sa capacité d’être un leader ou de se sortir de situations difficiles.

Mafia est également utilisé par des hommes politiques, qui exercent durant le jeu leurs voix, leurs gestes et leurs intonations. 

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Certaines variantes du jeu peuvent aider les enfants qui éprouvent des problèmes de communication, estime Mme Mikeladzé. Ainsi, les psychologues utilisent le jeu pour traiter des mineurs atteints de troubles de déficit de l’attention : « Au cours du jeu, l’enfant apprend à se concentrer sur le but : pour ne pas perdre, il faut soit ne pas montrer ses cartes, soit comprendre qui est le membre de la mafia. En jouant, ils sortent de leur état destructeur et chaotique et apprennent à communiquer », explique la psychologue. 

Quant à sa capacité éducative, Mafia peut être un bon exercice pour pratiquer son anglais, particulièrement s’il y a des anglophones parmi les joueurs. Les étrangers travaillant en Russie éprouvent souvent des difficultés en cherchant des activités en dehors du travail, et Mafia est pour eux un bon moyen de s’amuser et de faire connaissance de 50 ou 60 personnes pour une soirée.

Il est assez simple de trouver des organisateurs de séances de Mafia. Une des compagnies les plus célèbres sur ce marché est Mafliga. Le président de la société, Kamil Magomedov, qualifie le jeu d’une plate-forme excellente pour communiquer en face à face avec des personnes du même statut social. Il existe plusieurs catégories de clubs (« classic », « gold » et « platinum »), en fonction du prix moyen d’une séance. Il y a des clubs fermés et des séances gratuites ou peu chères.

Selon M.Magometov, Mafia n’est pas un sport d’élite en termes du budget, mais en termes d’auditoire. Habituellement, les joueurs sont âgés de 25 ans ou plus : il sont fatigués des soirées bruyantes et veulent de la nourriture pour la pensée.

Durant le jeu, une personne peut faire connaissance des dizaines de joueurs, qui pourraient tous devenir plus tard ses partenaires ou amis.

Des histoires drôles se produisent tout le temps : « Une fois, parmi les participants d’un jeu figurait un député de la Douma (chambre basse du parlement russe) et un jeune étudiant de talent. Après le vote, l’étudiant a crié : "Mais qu’est-ce que tu fais?! C’est pas la Douma, il faut réfléchir ici avant de voter!" D’abord, tout le monde était surpris, mais ensuite les joueurs se sont mis à rire, et le député a promis de se corriger. »

D’après M.Magomedov, son entreprise est encore en développement et n’apporte pas de bénéfices substantiels. Les contributions des joueurs sont utilisées habituellement pour payer les narrateurs, les administrateurs et les psychologues.

Mais certains organisateurs utilisent un format un peu différent et plus attirant : le tournoi. Un jeu de ce genre, baptisé TwiGame, a réuni un millier de participants sans aucune publicité sauf des annonces dans les réseaux sociaux. Ces jeux plaisent beaucoup aux sponsors et aux annonceurs.

Un autre format prometteur concerne les séances en ligne via un chat vidéo. Il existe déjà des sites qui se spécialisent dans ce type de jeu, et ils se développent très rapidement. 

En plus, en Russie et dans les pays voisins, Mafia atteint déjà un autre niveau. La Fédération russe de Mafia (FIIM) vise à en faire un sport. Le président de la FIIM, Ilya Rogatchiov, croit que son organisation deviendra d’ici près de deux ans une fédération officielle pan-russe, ce qui permettra de faire reconnaître Mafia comme un sport.

La FIIM organise des tournois et élabore des standards pour le jeu. Et cela éclaire les masses, estime son président : « Nous n’avons qu’une mission, et c’est l’éducation. Mafia est un instrument de croissance personnelle et une plate-forme excellente pour la communication. À travers nos contacts, nous fournissons un savoir-faire unique aux masses », dit M.Rogatchiov, en ajoutant : « Peut-être, nous ne comprenons pas encore le vrai potentiel de cette activité et l’importance de sa fonction sociale. Nous estimons que les perspectives sont énormes ».

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