Le 11 janvier, la nuit polaire se dissipe sur la latitude de Mourmansk. Crédit : Alamy/Legion Media
« J’ai passé trois jours et trois nuits à Mourmansk », disent les militaires qui ont effectué leur service militaire de trois ans dans la région polaire. L’année est divisée en nuit et en jour polaire, quand le soleil ne se couche pas et tourne dans les airs toute la journée. La nuit polaire est un phénomène beaucoup plus déprimant, et dure, à Mourmansk, du 3 décembre au 11 janvier, quand le crépuscule est le moment le plus « lumineux » de la journée, tandis que le soleil ne se lève pas du tout.
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De manière générale, les saisons sont une notion toute relative à Mourmansk. La faute au Golf Stream et à l’Arctique voisine. En décembre, les températures peuvent être au-dessus de zéro, avec de la pluie. Personne ne sera étonné d’un peu de neige en juin, et même en juillet. Dans cette ville, il n’y a pas non plus de dresscode : il n’est pas rare de croiser, au mois de mai, une jeune femme en vison et bottes, au bras d’un jeune homme en t-shirt, short et sandales. Simplement, le matin, c’était l’hiver, et dans l’après-midi – l’été.
Pendant l’été meurtrier de 1942, Mourmansk a été pratiquement annihilée : l’infatigable soleil du jour polaire est devenu une malédiction. Les bombardements allemands ont brûlé les trois quarts de la ville de bois. Durant la guerre, Mourmansk a subi 792 raids aériens et reçu 185 000 bombes (c’est la deuxième ville après Stalingrad pour l’intensité des bombardements).
« Des bâtiments détruits par les bombes, mutilés par le feu… il faut être russe pour rester ici. Si cette paix advient un jour, qu’elle arrive vite aux habitants de Mourmansk. Il l’ont méritée », écrivait en 1942 le journaliste américain Dave Marlowe dans le Harpers Magazine.
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La capitale polaire a été récompensée à deux reprises : en 1982, elle a été décorée de l’ordre de la Grande guerre patriotique, et trois ans plus tard, a reçu l’appellation de « Ville héroïque ».
« Personne n’aime la nuit polaire. Quand il fait nuit, tu as tout le temps envie de dormir. Mais durant le jour polaire, impossible de s’endormir, jusqu’au petit matin. Mais on s’habitue… », raconte Tatiana, la directrice de l’école n°7 dans le village de Korzounovo de la région de Mourmansk.
Le 11 janvier, la nuit polaire se dissipe sur la latitude de Mourmansk, et la ville célèbre la fête du Soleil, le dernier dimanche du mois : des concerts en plein air, des fêtes foraines, et, bien sûr, des blinis.
Mourmansk, c’est « la porte maritime de la Russie en Arctique », cité de pêcheurs et de marins. Mais à l’aube de la fondation de ce grand port, les pêcheurs manquaient. Le « déficit » a été vite comblé : dans les années 1920, après un vendredi soir de bringue, on pouvait se retrouver, le lendemain matin, sur le pont d’un chalutier en pleine mer. Le maitre d’équipage et trois matelots faisaient la tournée des estaminets avec des brouettes et chargeaient les enseignants, menuisiers ou représentants de toute autre profession, qui s’étaient saoulés à en perdre conscience. Les pêcheurs fraîchement recrutés étaient vite dégrisés et mis au travail.
Le principal fournisseur de ces « cadres » était Shanghai, l’un des quartiers de la ville, peuplé de Chinois. Etrangement, les Chinois étaient les premiers habitants de Mourmansk. Ils vendaient de la gnole, la « khanja », et ont mis en place des jeux de hasard, dont la combinaison avec les mœurs brutales et la largesse de l’âme russe ont vite fait de transformer le jeune port en Cape Town polaire.
Mourmansk est née dans des conditions rudes, par la guerre, et pour la guerre. Pendant la Première guerre mondiale, la Russie avait un besoin aigu des livraisons alliées : la seule solution était de bâtir un port dans le golfe de Kola et de le relier à Saint-Pétersbourg par voie ferrée. Le chemin de fer a été construit en un an par des prisonniers allemands et autrichiens, des fugitifs des régions occidentales et des Chinois.
« C’est avant tout l’argent qui attirait ici », raconte Oleg, le capitaine d’un petit bateau de pêche, « le ‘bonus polaire’, une prime pour travailler dans des conditions difficiles, faisait aimer cette nuit interminable. Aujourd’hui, on ne sent plus ces indemnités, mais on s’est habitué à l’obscurité… »
Selon les médecins, la nuit polaire est une épreuve pour l’organisme qu’elle prive d’ultraviolets et de certaines vitamines. Beaucoup de riverains sont déprimés et somnolents pendant cette période. Dans les écoles, un régime spécial est introduit, pour ménager les écoliers : les cours commencent plus tard et durent moins longtemps. Dans les maternelles, on fait des exercices pour fortifier la santé et on distribue des vitamines.
« En revanche, le jour polaire est un véritable conte de fée. On ne paie pas pour l’électricité », remarque avec fierté Vitaly, un chauffeur de taxi, sur la place centrale. « Sauf que tout ce qu’on économise pendant le jour, on le dépense pendant la nuit… »
Après une journée passée ici, on comprend que vivre à Mourmansk, c’est aimer l’extrême. « Nous sommes assis sur des barils de poudre », se réjouit Andrei, un natif de Mourmansk, « à côté, il y a la base de la flotte du Nord, Severomorsk, des bases de sous-marins nucléaires, dans l’enceinte de la ville se trouve la base des brise-glaces de la flotte nucléaire, une centrale nucléaire à Polarnye Zori, et puis il y a aussi la réserve d’eau de Touloma qui peut inonder la ville ! »
Grace à Mourmansk, la Russie dispose de la première plateforme pétrolière résistante à la glace au monde, du premier navire nucléaire au monde, de la seule flotte de brise-glaces atomique au monde et d’une route fonctionnant sans interruption qui traverse l’Arctique, unique au monde elle aussi. Mourmansk est donc avant tout un port d’importance stratégique et un maillon clé dans de nombreux systèmes de transport, une ville essentielle pour la Russie, dans tous ses aspects.
Mais pour ses 307 000 habitants, c’est avant tout la maison, avec ses nuits polaires et son vent violent, ses collines gelées et ses salaires septentrionaux. Ils l’appellent tendrement « Monamourmansk ». Son apparence qui ne paie pas de mine est largement compensée par la nature environnante : toundra, montagnes, taïga, fiords et mer. Et en levant la tête, on découvre la seule merveille de la nuit polaire, les aurores boréales.
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