De la séduction à la désillusion

Crédit : Institut Français, Juliette Robert

Crédit : Institut Français, Juliette Robert

L’exposition « Intelligentsia, entre France et Russie, archives inédites du XXème siècle » rassemble à Paris 300 documents exceptionnels retraçant l’histoire d’une fascination.

La période parcourue par les documents de l’exposition (manuscrits, correspondances, photographies, dessins, affiches, etc.) s’étend de 1917 à 1991, fin de l’ère soviétique.

En 1918, Pierre Pascal fait partie de ces Français enthousiastes qui s’engagent sur le sol russe pour le régime naissant puis sont peu à peu écartés. Outre l’article qu’Albert Londres consacre en 1920 à ce « bolchévik » de la première heure (lequel, revenu en France, soutiendra bien plus tard Soljenitsyne), il est notable de constater comment, avant même la fondation de l’Union soviétique, en 1922, le pouvoir fiche soigneusement ses collaborateurs les plus zélés : un questionnaire détaillant le travail assidu de Pascal au Commissariat du peuple et une fiche de renseignements fournie en témoignent.

Crédit : Institut Français, Juliette Robert

Faisant le chemin en sens inverse, une véritable communauté d’écrivains russes de grand talent émigre à Paris dans l’entre-deux-guerres. S’il est poignant de découvrir l’écriture fine de Marina Tsvetaeva remerciant « de tout cœur pour la centaine [de francs] supplémentaires » le Comité de secours aux écrivains russes, l’on est frappé par le fait qu’un futur grand écrivain français ait dépendu de difficiles démarches administratives concernant sa naturalisation : Natalia Tcherniak deviendra Nathalie Sarraute.

Dans les années 1930, le régime soviétique fixe la ligne : le réalisme socialiste. Beaucoup d’affiches exposées en témoignent, mais « la réalité » ce sont alors d’innombrables femmes et hommes déportés, emprisonnés, torturés, exécutés parmi les intellectuels et écrivains, les cadres du Parti et de l’Armée (et bien au-delà). Pour Staline, dans un entretien accordé en 1935 à Romain Rolland, retranscrit en français, il n’est nul besoin ni de procès ni de défenseurs pour ceux qu’il désigne comme des « criminels-terroristes » dès lors que, coupables ou non, ils constituent une menace. Le film et les photographies relatant l’enterrement de Gorki, un an plus tard, au cours duquel André Gide prononça un discours, sont étonnants, tant ils contrastent avec son Retouches à mon retour de l’URSS où il écrit : « Je doute qu’en aucun autre pays [...] l’esprit soit moins libre, plus courbé, plus craintif... ».

Les crimes d’État, entachés vers la fin du règne de Staline de xénophobie et d’antisémitisme, comme le rappelle le remarquable « livre-catalogue », continuèrent après sa mort, malgré les témoignages d’intellectuels russes et français, sous la forme d’internements dans les goulags et les hôpitaux psychiatriques. Si le catalogue évoque les soutiens que reçurent les dissidents en France, on trouve moins d’éléments dans l’exposition, malgré une note diplomatique française mentionnant, fait inédit, l’indignation en 1966 d’Aragon devant la condamnation des écrivains Andreï Siniavski et Iouli Daniel (notons aussi la reproduction de l’arrêté d’expulsion de l’URSS de Soljenitsyne, en 1974).

Bien au-delà de l’horreur, des liens solides entre les écrivains et artistes des deux pays se maintinrent, envers et contre tout, comme le prouve la correspondance nourrie entre le poète Vadim Kozovoï et Blanchot, Char ou Michaux.

École nationale des Beaux-Arts à Paris, jusqu’au 11 janvier 2013.

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