Le radar Daryal, construit dans la région de Gabala en Azerbaïdjan. Crédit : Kommersant Photo
Le radar Daryal, construit dans la région de Gabala en Azerbaïdjan, était entré en service en 1985. Il permettait de prévenir les menaces de missiles sur Terre et dans l’espace sur un rayon de près de six mille kilomètres, et ses ondes radioélectriques couvraient presque tout le Moyen-Orient, dont la Syrie, Israël, la Turquie, l’Iran, l’Irak, la région du Golfe Persique, l’Afghanistan et même une partie du territoire indien et les mers avoisinantes.
En 1991, suite à la chute de l’URSS, le radar est passé sous le contrôle du pays qui l’abritait. Mais l’Azerbaïdjan ne disposant pas, pour plusieurs raisons, des moyens nécessaires pour le faire fonctionner, son gouvernement a accepté de le louer aux forces armées russes. Ces derniers s’engageaient en échange à verser sept millions de dollars par an, ainsi qu’à payer les frais de fonctionnement.
L’URSS possédait plus de dix stations radar de défense antimissile comme Gabala. Après 1991, il n’en restait plus que quatre, les autres se trouvant hors des frontières de la Russie. Et seul Alexandre Loukachenko a laissé la station biélorusse à la Fédération de Russie, les autres passant sous le commandement des nouveaux États souverains.
Résultat, deux stations radar situées en Lettonie ont été démontées par les autorités locales, alors que les rênes de deux autres stations ukrainiennes ont été confiées à l’Agence spatiale du pays, qui a petit-à-petit refusé à Moscou le droit de l’utiliser. Quant au Kazakhstan, il n’a pas souhaité louer la station radar de Balkhach à la Russie.
La Russie s’est vite rendu compte qu’elle devait construire ses propres stations afin d’éviter les risques inutiles. Les premiers radars de défense antimissile de nouvelle génération « Voronek-M » et « Voronej-DM » (à ondes métriques ou décimétriques) ont ainsi été érigés durant la première décennie du XXIème siècle à Lekhtoussi, non loin de Saint-Pétersbourg, mais aussi près d’Armavir, à Pionerski, ville située dans la région de Kaliningrad, ainsi qu’à Oussolie-Sibirskoïe, qui se trouve à proximité d’Irkoutsk. La Russie compte aussi construire d’autres stations de ce type pour progressivement remplacer les installations vieillissantes.
Mais pourquoi alors Moscou et Bakou n’ont pas pu se mettre d’accord sur une prolongation de la location de la station radar de Gabala, et ce malgré de bonnes relations apparentes ? Certaines sources du ministère russe de la Défense confirment que l’affaire a capoté « à cause de l’approche non constructive du camp azéri concernant les conditions de prolongation de la location ».
Selon les généraux russes, « l’augmentation en rien justifiée du coût de la location annuelle, plusieurs dizaines de fois plus élevés (de 7 millions à 300 millions de dollars, ndlr), et la courte durée du bail (trois ans, ndlr) donnent à réfléchir. Le prix proposé permettrait en outre de construire deux nouvelles stations analogues en Russie ».
D’après Elman Abdoullaev, responsable du service de presse du ministère azéri des Affaires étrangères, son pays n’a jamais énoncé de sommes concrètes concernant la location de la station, mais a toujours souligné que cet argent devait compenser les dommages écologiques pour la région de Gabala dus aux rayons radioélectriques de la station, ainsi que l’impossibilité d’utiliser ce territoire à des fins touristiques.
Il est intéressant de constater que les mêmes arguments avaient été utilisés par les autorités lettones lorsqu’elles ont fermé la station de Skrunda. Elle a finalement été démontée, avant d’être remplacée par une station radar américaine dirigée vers le territoire russe. Et plus personne ne parle de dégâts écologiques aujourd’hui.
Au ministère russe de la Défense, on ajoute toutefois qu’il n’y a pas que le prix de la location qui pose problème. Même si le montant avait satisfait Moscou, la durée du nouvel accord aurait dû porter sur 15 à 20 ans, et ce pour rentabiliser l’argent investi dans la station et la moderniser afin de répondre aux exigences grandissantes en matière de défense antimissile du côté du Proche-Orient et de l’Océan Indien. Or, Bakou ne propose qu’un accord portant sur trois ans, ce qui impliquerait de nouvelles négociations de prolongation. De plus, Bakou considère que les technologies et le matériel russes mis en place en Azerbaïdjan pour améliorer Daryal lui appartiendront (étant donné qu’elle reprendra le contrôle de la station).
Les forces armées russes souhaitent bien entendu éviter les problèmes. La station radar de Gabala est un élément important du système national de défense antimissile, mais elle n’est pas critique. Avec Voronej-DM à Armavir, dans la région de Krasnodar, Moscou dispose d’une nouvelle station radar de détection de missiles et de nouvelle génération ressemblant à celle de Gabala.
En effet, ses installations supervisent également le risque d’attaques dans la zone du Proche et du Moyen-Orient sur un périmètre de six mille kilomètres, dont une grande partie de l’Océan Indien. Mais pourquoi alors le ministère russe de la Défense était tellement intéressé par Daryal en Azerbaïdjan ?
L’armée voulait réunir Daryal et Voronej afin de former un système commun et de doubler ses capacités. De plus, durant les travaux de maintenance par exemple, Gabala aurait pu prendre le relais d’Armavir, et vice-versa. Mais ce projet ne se concrétisera apparemment jamais.
Cette décision n’aura pas de conséquences graves. Voronej-DM est facilement adaptable. Les spécialistes avec lesquels j’ai récemment discuté affirment en effet que la Russie n’aura aucun mal à compenser la perte de Daryal. Cela exigera en tous cas beaucoup moins d’argent que le prix exigé annuellement par Bakou. Et pas deux fois moins. On parle ici d’une économie de 300% ou 400%. Ces spécialistes ont cependant rejeté l’hypothèse selon laquelle Bakou agirait ainsi pour proposer la station radar de Gabala à Washington, afin que les États-Unis puissent observer les essais de lancements de missiles iraniens.
« Sans le savoir-faire russe et les supports techniques que nous sommes les seuls à avoir et qui seront immédiatement détruits, Daryal ne sera plus qu’un amas de métal lorsque le dernier officier partira de Gabala. Il vaudra cher, mais sera inutile pour des manœuvres militaires », expliquent-ils. Une histoire similaire s’était déroulée en Ukraine, où Kiev avait longtemps marchandé la prolongation de la location des stations de défense antimissile de Moukatcheve et Sébastopol, avant de proposer leurs services à l’OTAN. Cela n’a mené à rien, tant pour Kiev que pour Bruxelles.
Les politiciens azéris devaient visiblement avoir leurs raisons en refusant l’offre de Moscou. Et nous n’allons pas deviner lesquelles. Il est néanmoins concevable qu’ils n’aient pas reçu les dividendes de la levée de la barrière de Gabala.
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