Des faveurs à la disgrâce

Image par Alexeï Iorch

Image par Alexeï Iorch

Un an après le début de la contestation qui a ébranlé sinon tout le pays, du moins les mégapoles, et surtout les élites dirigeantes, il est certain que les protestataires et les classes au pouvoir appréhendent cet anniversaire dans un état complètement nouveau. Et le malaise est partagé.

Durant les six dernières semaines, la composante répressive du gouvernement s’est nettement renforcée. Les leaders de l’opposition et les participants de divers défilés et manifestations se sont retrouvés sous la presse. En novembre, un premier jugement a été rendu à l’encontre d’un participant à la manifestation du 6 mai à Moscou (qui a dégénéré en heurts violents avec la police, ndltr). Et avant cela, il a eu les danseuses de la cathédrale (les Pussy Riot, ndltr), dont la sentence en a fait tressaillir plus d’un, y compris au sein de l’élite dirigeante. Les leaders de la contestation ont subitement réduit leur activité civique, et certains y ont même totalement renoncé.

La vague des « citadins en colère » s’est tarie, en laissant un après-gout désagréable de double nature. D’un côté, la peur. Beaucoup y réfléchiront à deux fois désormais : quel prix sont-ils prêts à payer pour la démonstration publique de leur mécontentement civique ? De l’autre côté, la déception. Les multiples débats entre les leaders de l’opposition, qui se transforment à la deuxième réplique en attaques personnelles, tandis que les gens autour ne sont jugés qu’en fonction de leur antipathie pour une seule personne, ont suscité un questionnement sur la dignité et le respect.

Qui plus est, n’importe quelle vague dégonfle. Quand on n’est pas un révolutionnaire professionnel, il est impossible de maintenir une ardeur permanente, encore moins en l’absence de toute véritable discussion.

Mais le plus accablant est la dissipation de personnalités modérément révolutionnaires. Ceux que l’on aurait appelé jadis l’intelligentsia, et qui représentent aujourd’hui la véritable élite intellectuelle du pays. Des gens qui méritent, par leurs faits et leurs mots, le respect de leurs concitoyens. Mais eux aussi sont passés au second plan ces derniers temps.

Peut-être que ce processus n’est pas lié uniquement à la peur ou aux actions réactionnaires du pouvoir, mais également au cours objectif des choses : la vague a enflé, la vague est retombée. Et chacun s’en est rentré chez soi pour réfléchir à ce qui  était arrivé.

Certains experts n’attendent aucun rejaillissement de l’activisme civique avant 2014, quand doivent se tenir les élections du maire de Moscou et quand commenceront les premiers mouvements pour façonner le scrutin parlementaire de 2016. C’est alors que l’on pourra lire sur le baromètre de la société quelles sont les humeurs de la classe créative, et dans quel état elle se trouve ; voir si les mécontents sont prêts à se manifester de nouveau, avec quels moyens, degré d’expression et leaders. Et les initiatives du pouvoir seront significatives elles aussi, qu’elles soient préventives ou réactives, constructives ou répressives.

Mais à peine la vague  de contestation a-t-elle commencé à se retirer que l’activité s’est accrue au sein de l’élite et à son encontre. Tout a commencé avec la loi interdisant les actifs étrangers et l’appel à « nationaliser » et « patriotiser » la classe dirigeante. Ont suivi les limogeages, dont l’intensité a provoqué la stupéfaction : on n’avait rien vu de tel depuis des décennies. En moins de deux mois, ont été évacués deux ministres, dont un clé, des députés, des fonctionnaires régionaux, des dirigeants de corporations. Et presque tous ont été éliminés au moyen de scandales financiers.

Personne ne prétend que ces évènements sont les maillons d’une même chaîne, au contraire, ils relèvent de logiques et de causes premières différentes. La lutte inter clanique et des punitions exemplaires, pour « faire passer l’envie aux autres ». Néanmoins, ces deux processus semblent liés dans une certaine mesure : d’une part une recrudescence de la lutte et les vexations accumulées, d’autre part l’évolution du concept de loyauté. Mais comment cela est-il devenu possible ?

C’est là que les avis divergent. Les uns assurent que la disgrâce qui frappe une partie des fonctionnaires est la conséquence directe de leurs excès, ils auraient perdu « le sens de la mesure ». Les autres sont convaincus que « la mesure » est une notion vague, et si la loyauté de la personne ne fait pas de doute, alors la mesure dont il dispose dans les affaires sera considérable. Par conséquent, la dernière goutte qui a fait déborder le vase de la patience de ceux qui décident n’est pas que les fonctionnaires disgraciés ont dépassé une ligne rouge, c’est autre chose. Par exemple, l’absence de signaux clairs de là-haut quant à qui pouvait être « déplacé » et qui demeurait « intouchable ».

La vérité, comme d’habitude, doit être quelque part entre les deux. En ayant senti que le principe d’inamovibilité s’est affaibli, les différents groupes se sont précipités sur les nouvelles part du gâteau.

Ces dernières semaines, les fonctionnaires répètent comme un mantra « qu’il n’existe pas d’intouchables », comme s’ils cherchaient à se convaincre de l’inverse. Les membres de l’élite ne peuvent pas ignorer qu’ils sont presque tous extrêmement vulnérables, et leur prospérité ne se réduit souvent qu’à un favoritisme circonstanciel ou à la puissance de leur clan.

Ainsi, ce qui est en train de se passer accroitra le caractère monolithique de l’élite, ou au contraire, la poussera à placer ses intérêts au-dessus de la solidarité « corporative ». Tout dépend des émanations que sentiront dans l’air politique les plus puissants, les plus avisés ou les plus expérimentés.

Paru sur le site de RIA Novosti le 13 novembre 2012. Traduit par Veronika Dorman. 

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