Alain Ducasse : « Sans bonne soupe, un chef ne vaut rien ! »

Alain Ducasse dans son restaurant miX in St. Petersburg. Crédit : Itar-Tass

Alain Ducasse dans son restaurant miX in St. Petersburg. Crédit : Itar-Tass

Cette année, Alain Ducasse, le chef le plus étoilé au monde, fête les 25 ans du Louis XV, son fameux restaurant au coeur de l’Hôtel de Paris à Monte-Carlo. Le chef citoyen de Monaco a cessé depuis longtemps de compter ses établissements gastronomiques et pense de plus en plus à une retraite bien méritée.

En Russie, vous avez ouvert votre seul restaurant à Saint-Pétersbourg, à l’hôtel W. Question incontournable : comptez-vous en ouvrir un à Moscou ?

C’est la question que l'on me pose le plus souvent en Russie. Et ma réponse est non, je n’ai pas l’intention d’ouvrir de restaurant à Moscou. Premièrement, Moscou est une ville moderne très développée sur le plan gastronomique. Et puis, j’ai un autre projet à Moscou, mais ce n’est pas un restaurant.

Je veux y ouvrir une école de cuisine. Aujourd’hui, les Russes connaissent bien les spécialités du monde entier, les restaurants, y compris les miens. Ils préfèrent de plus en plus cuisiner eux-même que de manger des plats tout faits, même par les plus grands chefs. La cuisine, c’est une sorte de grand divertissement, très entraînant, un peu comme le cirque avec ses numéros.

La terrasse du restaurant sur le toit de l'hôtel W. iSt. Petersburg. Crédit : Itar-Tass

Autre question incontournable : cuisinez-vous à la maison ?


Non. Juste une fois par an. Pour Noël. Tout d’abord, j’ai assez de boulot dans les cuisines de mes restaurants. Et puis, aussi banal que cela puisse paraître, je n’ai pas une minute à moi. Je mène une vie dure. Je suis toujours en déplacement. Aujourd’hui à Saint-Pétersbourg, après demain à Tokyo, dans quelques jours à Paris. Je vis comme ça depuis longtemps et, en toute honnêteté, je suis extrêmement fatigué de cet emploi du temps surchargé.

Quand je me retrouve enfin chez moi, à Monaco, je me couche et je lis. Et je dors, tout simplement. Parfois, je vais au marché, un marché ordinaire, fermier. Mais surtout pas dans le but de cuisiner, au contraire, j’essaie d’acheter des produits qui ne demandent pas de préparation. Des légumes, du pain, du fromage. Du vin, bien sûr. J’aime aussi les artichauts.

Quel vin appréciez-vous ?


Je suis de Bordeaux et j’apprécie les vins de ma région. En général, je bois des vins français, mais les vins du Nouveau Monde sont en plein essor : Chili, Argentine. Il ne sont pas mauvais d’ailleurs, mais contrairement aux grands vins français, ils se conservent mal.

Tout de même, si vous vous mettez aux fourneaux, c’est plutôt pour préparer du poisson ou de la viande ?

Du poisson, évidemment. C’est meilleur pour la santé. Et plus facile à faire. J’apprécie le gibier, je suis aussi en bons termes avec la volaille.

Vous possédez beaucoup de restaurants dans le monde entier et vous devez les contrôler. Peut-on dire que vous êtes depuis longtemps devenu un spécialiste du marché, un homme d’affaires, un patron plutôt qu’un chef cuisinier ?


Il y a une part de vrai là-dedans, car je ne peux pas être aux fourneaux ou mettre mon nez dans les frigos à la fois à Saint-Pétersbourg, Tokyo, Paris et à l’île Maurice. Alors oui, je suis un patron, un chef d’entreprise, je supervise le travail des autres. Vous avez raison, aujourd’hui, nous vivons dans un monde où priment la gestion, le management.

Mais d’un autre côté, être à la tête d’un empire, que ce soit dans la mode ou la gastronomie, c’est très schématique. Vous devez toujours avoir en tête votre plan d’action : le cerveau d’un chef d’entreprise est un ordinateur qui doit constamment fournir des schémas et des plans. Si vous n’avez rien à proposer, vous êtes nul en affaires, vous êtes zéro, vous n’avez qu’à cuisiner chez vous mais ne prenez pas sur vous la mission de satisfaire les gens. Le vide se ressent immédiatement, et par l’équipe, et par le public.

Impossible de rassasier les gens avec des mythes sur la nourriture, avec un nom à la place d’une bonne soupe. Mon nom, ma soupe et mon formidable canard : c’est tout ça à la fois qui fait les restaurants Alain Ducasse. Le nom ne peut pas remplacer le goût. Le goût est dans ce que vous avez devant vous sur la table, dans votre assiette. Quant à la magie du nom, lorsqu’on « va chez Ducasse », on vient pour la nourriture, pour l’ambiance, l’intrigue, pour un certain milieu social aussi. Quel intérêt sinon de venir me voir moi, je ne suis pas miss Univers !

Etes-vous satisafait de la cuisine, de l’ambiance, de l’intrigue dans votre restaurant de Saint-pétersbourg ?

Oui. Nous avons réussi l’essentiel : trouver des fournisseurs locaux, des produits locaux. C’est très important et même primordial en cuisine. La nourriture commence à la ferme, au marché, dans la terre. S’il n’y a pas ces éléments de base, tous le processus perd son sens.

Paru sur le site de Kommersant le 20 septembre 2012.

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