Le président russe Vladimir Poutine et la Chancelière fédérale de l'Etat allemand Crédit lors du Dialogue de Saint-Pétersbourg. Crédit : Itar-Tass
La dernière réunion du Dialogue de Saint-Pétersbourg et les consultations intergouvernementales entre l’Allemagne et la Russie a suscité une certaine préoccupation du public russe : tout le monde s’attendait à un scandale à l’issue de ces deux événements. La raison : à la veille des consultations, le Bundestag a adopté une résolution assez sévère sur la démocratie en Russie, ce document étant précédé par des discussions publiques à l’égard des déclarations d’Andreas Schockenhoff, coordinateur pour la coopération germano-russe.
Les journalistes faisaient état d’une grave crise qui avait frappé les relations russo allemandes, les deux pays étant habituellement considérés comme des partenaires très proches.
Toutefois, aucun conflit ouvert n’est survenu. Il y avait un échange de vues sur la politique intérieure de la Russie, mais, comme c’est généralement le cas dans le dialogue entre Moscou et Berlin, cette discussion était plutôt à l’ombre des questions économiques. Et bien que les propos de Vladimir Poutine sur l’affaire controversée du groupe de punk russe Pussy Riot aient provoqué une vague d’indignation en Allemagne, dont le public se montre préoccupé par le sort des militantes emprisonnées, tout le monde semblait plutôt satisfait.
Cependant, on ne peut pas affirmer que rien n’a changé dans les relations Russie-Allemagne. La situation actuelle est telle que les questions politiques et économiques sont juxtaposées.
La Russie ne veut pas réaliser le modèle considéré jusqu’à récemment comme européen dans le domaine de la politique. Durant les années 1990 et 2000, Moscou a eu assez de conflits avec ses partenaires européens concernant les questions politiques et axiologiques. Pendant cette période, la Russie respectait deux principes : celui de son identitié nationale et celui de l’impossibilité d’atteindre rapidement le même niveau de démocratie que les autres pays avaient pris des décennies ou même des siècles pour y parvenir.
En d’autres mots, ne rejetant pas l’ensemble des valeurs et la « destination finale », la Russie a demandé de reconnaître son droit d’y accéder en suivant ses propres chemins et en adoptant son propre rythme.
Mais actuellement, la situation a changé. Le modèle « moyen » européen n’est plus considéré comme un exemple, et ses valeurs sont également en question.
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Conflit des opinions
La situation autour de Pussy Riot montre clairement la diversité de nos points de vue. En Europe, on fait état de la persécution politique, de la violation du droit à la liberté d’expression. En Russie, il s’agissait principalement du sacrilège, du blasphème et de l'offense aux sentiments religieux.
Bien évidemment, il y a des éléments de propagande émanant des deux côtés, mais il existe également une collision idéologique entre la vision libérale, profondément ancrée en Europe contemporaine, et traditionnaliste, qui prend ses racines en Russie.
Le dernier aspect est bien explicable. Dans le contexte de l’épuisement des paradigmes soviétique et post-soviétique, la société commence à rechercher une autre base : le refuge dans la tradition réligieuse et culturelle, ce qui est très courant dans de telles situations.
Quand même, cela ne veut pas dire que la nouvelle identité russe se formera sur ce fond : le pendule pourrait en outre repartir dans l’autre direction. La recherche d’une identité, c’est un processus long et pénible.
En ce qui concerne l’Europe, il est peu probable que sa plateforme idéologique reste inchangée. Mais pour l’instant, il est clair que les vecteurs européen et russe divergent et il n’y a pas de raisons de croire que leurs trajectoires se redresseront.
Économiquement, tout l’inverse
La Russie a finalement rejoint l’OMC, une adhésion très attendue par les milieux d’affaires de plusieurs pays développés. Cela n’est pas un moyen magique d’attirer des investissements en soi, bien sûr, mais l’intégration du pays au système des règles-cadres du commerce mondial élimine une partie des préoccupations et offre des mécanismes pour protéger les intérêts des commerçants internationaux.
Même sans cet aspect, l'intérêt des entreprises européennes pour la Russie ne cesse d’augmenter, non seulement en tant qu’exportateur de ressources mais aussi en tant que marché inépuisable où le pouvoir d'achat augmente, le pays ayant besoin d'une coopération technologique avec les premières entreprises et puissances mondiales.
Comme l’a noté récemment un haut responsable européen, la Russie, quels que soient ses défauts, est pour l’Europe le dernier Eldorado, ce qui est particulièrement important étant donné la stagnation générale de l’UE et les tendances alarmantes dans le monde.
Par conséquent, les hommes d’affaires, y compris allemands, ne veulent que les divergences politiques les empêchent de travailler sur le marché russe, de la même manière qu'ils n'ont jamais bloqué des investissements en Chine.
On peut se poser une question intéressante : dans quelle mesure peut-on combiner les deux tendances divergentes, l’aliénation idéologique et l’attraction économique ? Les consultations russo-allemandes ont montré qu’il n’existait pour l’instant aucun différend critique.
Cette dissonance ne peut durer éternellement. Un jour, les partenaires occidentaux devront accepter le modèle russe des relations entre la société et les autorités : soit la Russie sera obligée de revenir vers les normes politiques européennes actuelles, soit la coopération économique sera entravée par les divergences politiques.
Pour l'instant, aucune des trois options n'est à prévoir mais, tôt ou tard, ce déséquilibre se présentera clairement.
Fedor Loukianov est rédacteur en chef du journal La Russie dans la politique internationale.
Version abrégée. Original sur le site de RIA Novosti.
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