Les roues de la locomotive Er 774-38 martèlent la voie le long des entrepôts et des bâtiments industriels. Crédit : Oleg Serdetchnikov
La gare de Paveletski. À côté des voies, un petit bâtiment qui a été construit pour une seule locomotive, le légendaire train funéraire de Lénine U127, construit en 1910. La première locomotive fonctionnait en Asie centrale, après la révolution elle a été transportée à Moscou. Les cheminots, qui ont travaillé dessus sont tombés malades puis sont morts de la grippe espagnole. Pendant un certain temps, la locomotive est restée au dépôt, squattée par les SDF, qui sont mort eux aussi à cause de maladies. La locomotive a été surnommée la « veuve noire ». Les machinistes superstitieux avaient peur d’y travailler. Pour combattre les préjugés, les jeunes travailleurs du dépôt ont réparé et repeint la vieille locomotive de la couleur rouge communiste et l’ont orné d’un signe, « des sans-parti aux communistes ». Lénine en a été élu « premier machiniste ». Un an plus tard, le leader de la révolution d’octobre est mort. Le cercueil a été apporté à Moscou dans ce même U127. On disait même que la locomotive était « maudite » et apportait le malheur. Cependant, ces légendes appartiennent déjà au passé. Depuis 1937, la locomotive est une relique de musée. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle a été évacuée de Moscou en tant que pièce d’une importance particulière. À la fin du siècle dernier, on a construit un pavillon spécial pour la locomotive. Aujourd’hui on la trouve au Musée des chemins de fer de Moscou. Au centre de l'exposition se trouve « la locomotive rouge » avec ses roues géantes.
Le légendaire train funéraire de Lénine U127, construit en 1910. Crédit : Oleg Serdetchnikov
Les premiers chemins de fer sont apparus en Russie au XIXè siècle. Le voyage de Saint-Pétersbourg à Moscou - environ 700 kilomètres par train - prenait environ 21 heures. L’autoroute qui reliait les deux villes avait été construite par l’Empereur Nicolas I. Cette route a sa propre légende. Avant sa construction il a fallu étudier le relief. Selon la légende, le Tsar, pour accélérer le processus, n’a fait que tracer une ligne sur une carte de Saint-Pétersbourg à Moscou : « L’itinéraire sera celui-là ! ». Suivant l’index de sa main, la droite était tracée avec une légère courbe. Mais ce n’est qu’une légende, la route était toute droite pour des questions économiques et la courbe était causée par un ravin que les locomotives ne pouvaient surmonter.
« Aujourd’hui, on compte au musée environ deux mille cinq cents objets exposés sur l’histoire et les perspectives de la route moscovite, indique Nadejda Alexandrova, la directrice du Musée des chemins de fer de Moscou. Nous avons acquis les matériaux d’exposition à la bibliothèque des chemins de fer. Les vétérans ont également apporté des objets personnels intéressants à exposer. En plus des matériaux d’archives, on trouve des installations, des cartes interactives, des kiosques où l’on peut regarder des films sur l’histoire de la voie de chemin de fer, ainsi que des matériaux d’archives cinématographiques ».
Au XIXè siècle, les cheminots portaient des uniformes avec des ancres sur les boutons. À l'époque les chemins de fer étaient sous la juridiction du ministère des Transports terrestres et fluviaux, d’où l’emblème de la Marine sur les uniformes. C’est seulement dans les années 1930 qu’il a été remplacé par un autre symbole.
« Pour faire avancer la locomotive, vous devez alimenter le four d’environ deux pelletées de charbon par minute, comme si elle était presque tout le temps vide », indique Leonid Kourchavov qui travaille sur les chemins de fer depuis plus d’un quart de siècle. Au départ il conduisait les locomotives, aujourd’hui il voyage dans le temps. Il est machiniste de la locomotive Er 774-38, ou « Erka ». C’est par ce train qu’ont été transportées les marchandises dans toute l’Union soviétique après la Seconde Guerre mondiale. Autrefois ses wagons faisaient la navette entre Moscou et Saint-Pétersbourg et aujourd’hui, ils transportent les touristes du « rétro-train ». L’Erka part de la gare de Paveletski sur l’itinéraire du chemin de fer entourant Moscou. La voie construite en 1908 se situe au centre même de Moscou, mais même les moscovites ne savent presque rien de ce chemin de fer. 54 kilomètres de tracé, 14 stations et 6 ponts : l’anneau relie 8 gares et 5 zones industrielles.
}
Les roues de la locomotive martèlent la voie le long des entrepôts et des bâtiments industriels. Depuis la fenêtre, on peut voir les usines de ZIL à moitié abandonnées et qui, pendant la période soviétique, construisait les limousines des chefs du Parti. Puis enfin, le parking, un bâtiment de deux étages à la station « Kanatchikovo », à seulement cinq kilomètres du Kremlin. Sur le panneau d’entrée on peut lire : « 141 mètres au-dessus du niveau de la mer ». Autrefois, ces panneaux étaient accrochés à chaque station, il n’y en a désormais plus qu’un. Dans la cour de la gare, on trouve une dalle de granit noir, un monument à la mémoire des travailleurs du chemin de fer qui sont morts pendant la Seconde Guerre mondiale. Les munitions et les tanks, envoyés depuis les usines d’armement à l’est du pays, transitaient par l’anneau où se trouvaient les usines d’armement. Quand il y avait des pénuries de carburant, les travailleurs des chemins de fer apportaient du charbon depuis chez eux pour alimenter les locomotives.
L’« Erka » entre dans un tunnel d’un kilomètre sur les côtés de la plateforme. La station sous-terraine, « Place Gagarine », est située sous l’avenue Lénine. Elle a été construite en 2001 pour relier le métro avec la rocade et pouvoir déposer les voyageurs du train. On prévoit de réparer et rénover le périphérique en 2022. Pour l’instant la voie est coincée entre le passé et le présent.
Puis de nouveau, les garages, les échangeurs, les gratte-ciel du XXIè siècle, à travers la locomotive apparaissent d’autres petites stations avec des barres, des colonnes sculptées ventrues et des pilastres à l’ancienne…
La locomotive arrive vers la gare de Riga accompagnée du coup de sifflet final. Dernier arrêt, le Musée d’histoire des chemins de fer. Des wagons de l’époque de Nicolas II jusqu’aux trains à grande vitesse, on compte environ 70 pièces exposées. La plus ancienne est appelée « Ovetchka» (« petit Brebis »), c’est la locomotive de la série Ov de 1903 avec une lampe à pétrole et le blason impérial. C’est à bord de ce type de locomotive que Léon Trotski a parcouru la Russie pendant la guerre civile, exhortant les soldats à se battre aux côtés de l’Armée rouge.
Les locomotives « So » transportaient des marchandises dans les zones arides de l’Asie. Elles ne rejetaient pas de vapeur, ce qui permettait d’économiser l’eau. Dans le musée on trouve également la locomotive nommée d’après le commissaire de l’intérieur Félix Dzerjinski, le premier chef de la Tchéka, l’ancêtre du KGB. La puissante locomotive FD était conçue comme l’un des premiers « charachka » ou « les bureaux spéciaux de construction », ces laboratoires secrets dans lesquels travaillaient des scientifiques prisonniers. Félix Dzerjinski était représenté sur les timbres comme un symbole de l’industrialisation.
Un autre bâtiment emblématique est exposé dans le musée, une locomotive des années 50, la P36. La locomotive verte à rayures a été surnommée « le général ». Elle peut atteindre des vitesses allant jusqu’à 125 kilomètres heure. Cette locomotive a conduit les trains rapides comme « Krasnaïa Strela ». Aujourd’hui le vieux « général » observe comment les trains électriques du XXIè siècle s’aventurent sur des itinéraires qu’il a autrefois découverts.
Dans le cadre d'une utilisation des contenus de Russia Beyond, la mention des sources est obligatoire.
Abonnez-vous
gratuitement à notre newsletter!
Recevez le meilleur de nos publications directement dans votre messagerie.