Image par Niyaz Karim
Aujourd’hui, on peut considérer les élections législatives en Géorgie comme définitivement closes. Un organe représentatif du pouvoir suprême et un cabinet des ministres ont été formés. La république caucasienne commence l’année actuelle avec un nouveau Premier ministre, le leader de la coalition Rêve géorgien, Bidzina Ivanishvili, et c’est le juriste David Ousoupashvili, leader du parti républicain, qui a été élu président du parlement.
Le paysage politique a sensiblement changé. Le nouveau gouvernement montre un fort désir de revoir l’héritage de la décennie précédente. Ainsi, les représentants de Rêve géorgien ont déjà annoncé le besoin de revoir la politique envers l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud. C’est la première fois depuis août 2008 qu’on a appelé à des négociations directes avec les deux états de fait. L’équipe d’Ivanishvili a défini son approche envers Soukhoumi et Tskhinvali par cette métaphore : « Tout, sauf la reconnaissance ».
Au cours de la campagne des élections législatives, les représentants de Rêve géorgien ont accusé à plusieurs reprises leurs adversaires du Mouvement national uni de rigidité et d’incapacité à établir des relations adéquates avec la Russie. Pendant que Mikhaïl Saakachvili a quant à lui accusé à plusieurs reprises Ivanishvili de ses liens avec le Kremlin, et sa préoccupation excessive pour les intérêts russes.
Mais la bataille électorale est déjà derrière. Les esprits se sont calmés et, à la place des exercices rhétoriques, vient l’action. Récemment, le nouveau ministre de la réintégration Paata Zakareishvili a déclaré que le « nouveau gouvernement est une chance pour la Russie de normaliser ses relations bilatérales ». Le 1er novembre, la Géorgie a créé un poste de représentant spécial pour les relations avec la Russie. La fonction est occupée par l’expert Eourab Abashidze, qui de 2000 à 2004 fut l’ambassadeur de la république en Russie.
Mais jusqu’à quel point l’équipe d’Ivanishvili est-elle prête à la mise en œuvre de ses promesses de campagne et des changements majeurs dans la politique étrangère ?
Avant de répondre à cette question, il faut émettre immédiatement une réserve. Pour toute action sur la scène internationale dans le nouveau gouvernement et dans le parlement, il existe des contraintes. Tout d’abord, malgré tout ce qui a été écrit à propos de la défaite de Saakachvili, il continue jusqu’en 2013 à être le président du pays, à contrôler la Chancellerie d’État (similaire à l’administration présidentielle) et son parti, le Mouvement national uni, dispose de 65 sièges au parlement, ce qui n’est pas non plus énorme. Ajoutons à cela les ressources des médias et des connexions internationales. L’équipe d’Ivanishvili ne peut ignorer tout cela, d’autant plus qu’à l’intérieur, tout le monde ne souhaite pas le rapprochement avec Moscou.
Ensuite, en plus de graves conflits familiaux, le Rêve géorgien et le Mouvement national uni, les deux principales forces du pays, ont trouvé un consensus sur de nombreux sujets. Cela concerne en premier lieu les perspectives de l’Atlantique Nord et de l’intégration européenne. Avec une main légère pour quelques publicistes russes. Derrière Ivanishvili s’est forgée l’image de lobbyyiste des intérêts de la Fédération de Russie. C’est loin d’être totalement vrai. Dans le cadre de sa coalition, il y a différentes forces, dont le Parti républicain. Les républicains, depuis les années 1990, se sont toujours opposés à l’intégration dans la CEI, à la présence de bases militaires russes sur son territoire et à l’adhésion à l’OTAN et à l’UE.
Cette position a été exprimée par le parti à un moment où Mikhaïl Saakachvili était encore presque inconnu en Géorgie. Et les anciens fonctionnaires d’Edouard Chevarnadze, nommés dans l’équipe d’Ivanishvili, ont également contribué en leur temps à la complexification des relations avec le voisin du nord.
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L’une des premières rencontres d’Ivanishvili après sa victoire fut avec le représentant spécial du Secrétariat Général de l’OTAN au Caucase et en Asie centrale, James Appatouraem. Pendant la campagne et après, Ivanishvili et ses partisans ont déclaré conserver l’ancienne orientation pro-américaine et pro-OTAN.
Finalement, dans la société, en dépit de toutes les affirmations de Saakachvili, on n’est pas prêt de reconnaître le fait que l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud ne reviennent pas sous la juridiction de Tbilissi. Et ce « prix de la question », comme l’amitié avec la Russie à travers la reconnaissance des deux anciennes régions autonomes en-dehors de la Géorgie, les citoyens géorgiens ne sont aujourd’hui pas prêts à le payer.
N’importe quel politicien, s’il ne veut pas faire la paix avec Moscou, doit prendre en compte ce facteur. Les nouveaux pouvoirs à Tbilissi, derrière leur bonne volonté, s’empressent d’annuler la législation concernant « les territoires occupés ».
L’intérêt envers la normalisation existe des deux côtés. La Géorgie aimerait renouer des contacts économiques complets. Cependant, malgré toutes les déclarations valeureuses concernant les réformes de marché selon les standards occidentaux, le pays reste, dans une large mesure, agricole. Bien que 50% des citoyens géorgiens soient attirés par le travail agricole, cette branche n’apporte que 8% du PIB du pays. Aujourd’hui, pour la paysannerie géorgienne et l’industrie agro-alimentaire, les débouchés sur les marchés russes seraient extrêmement importants.
Non moins importantes sont les questions de sécurité. Les intérêts de Moscou sont évidents. Les incidents récents sur la partie frontalière du Daghestan ont montré qu’à la frontière caucasienne existait une troisième force (les islamistes radicaux), pour lesquels la Russie comme la Géorgie apparaissent comme des adversaires. La coordination des efforts dans cette direction ne serait pas superflue.
Cela ne sert à rien de rompre les contacts humanitaires (en raison de l’importante diaspora géorgienne en Russie), et les relations mutuelles entre les deux églises orthodoxes. Le patriarcat de Moscou reconnaît jusqu’à aujourd’hui l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud comme des territoires canoniques de l’Église orthodoxe géorgienne. Ainsi, mis à part les deux républiques partiellement reconnues, la Russie et la Géorgie disposent d’un agenda politique spécial qui permet de commencer un dialogue.
Bien sûr, s’attendre à un miracle et à une reprise rapide des relations serait pour le moins naïf. Mais il est possible de faire un pas vers plus de pragmatisme pour arriver à une situation où les contradictions ne sont pas niées, mais reconnues. Leur simple discussion ou la résolution n’est pas considérée comme une simple menace pour la souveraineté nationale ou l’appel aux intérêts du pays voisin.
Sergueï Markedonov – Chercheur invité au Center for Strategic and International Studies (Washington, Etats-Unis).
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