Exposition de Le Corbusier à Moscou

Crédit : Itar-Tass

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Un mercredi soir, au musée Pouchkine : un agent de sécurité tripote les touches de son téléphone portable avec lassitude, un jeune dessinateur reproduit la statue de David, le conservateur, visiblement affairé, fait les cents pas dans le hall d’entrée, longeant les colonnes de marbre dans l’attente de nouveaux visiteurs. Au même endroit, il y a deux jours, le musée ouvrait ses portes à une exposition dédiée à l’artiste et architecte d’origine suisse Le Corbusier.

Seul chemin possible pour trouver l’entrée de l’exposition, demander au conservateur du musée, car aucun panneau n’a été disposé pour guider les intéressés. Pas de foule non plus. L’exposition est située au deuxième étage : deux salles dans lesquelles ont été disposées oeuvres photographiques, dessins et maquettes, livres, peintures et sculptures de l’artiste. Au total quelque 400 pièces, retraçant le talent aux multiples facettes de Le Corbusier.

 

L’exposition, conçue par des experts du bureau parisien Agence, débute par les oeuvres de jeunesse de Charles-Édouard Jeanneret-Gris, dit Le Corbusier. Des paysages, des natures mortes, des sculptures en bois, du mobilier. Des modèles spécialement créés à l’occasion du Salon d’Automne de 1929 à Paris. Mais la partie principale de l’exposition est consacrée aux oeuvres architecturales de Le Corbusier.

 

Sur ses photographies, le britannique Richard Pare a su capter quelque 75 projets des plus connus, parmi lesquels la Villa Savoye à Poissy, véritable oeuvre de modernité, l’Unité d’habitation de Marseille à 17 étages, qui rassemble des appartements en duplex, des boutiques, des équipements sportifs, médicaux et scolaire, ainsi qu’un hôtel. Figurent également les photographies de la chapelle de Notre-Dame du Haut de Ronchamp, dotée d’un toit étonnant en forme de coquillage et de murs parsemés de vitraux, ainsi que son appartement rue Nungesser et Coli à Paris, décoré dans un style minimaliste. Difficile de croire qu’il s’agit là des années 30 à 50 tant les idées de Le Corbusier sont contemporaines.

 

Un jeune couple s’approche de la photographie du Couvent Sainte-Marie de la Tourette. L’intérieur de la chapelle tend plus vers le loft tendance que l’institution religieuse. « Là, on pourrait mettre un divan », se projette la jeune femme en montrant du doigt l’emplacement. « Ah oui, et il faudrait aussi un fauteuil », répond son conjoint d’un air amusé.

 

Les visiteurs sont peu nombreux, mais semblent se fondre dans le style de l’artiste : des visages absorbés, lunettes à la Corbusier, une main posée sur le menton, l’air pensif. Ils commentent avec intérêt dessins et croquis de l’artiste : Le Centre d’Arts visuels Carpenter de l’Université de Harvard (USA), le Musée national d’art occidental à Ueno (Tokyo), le Centre Le Courbusier à Zurich. Ses plus grands projets.

 

Mais le centre d’attraction de l’exposition se concentre autour de deux projets russes, sur lesquels Le Corbusier a planché de 1928 à 1930. Le premier projet, la Maison des Syndicats (Dom Tsentrossoïouza) à Moscou, est bâti en 1936, dans la rue Myasnitskaïa. Apparaissant à l’époque comme un gigantesque édifice en béton aux murs en verre, il abrite aujourd’hui un centre d’affaire et des bureaux de première importance. Le croquis présenté à l’exposition permet d’étudier le bâtiment sous toutes les coutures, dans les moindres détails.

 

Le second projet russe de Le Corbusier est le Palais des Congrès (Dvorets des Soviets), qui devait être érigé à l’emplacement de la Cathédrale du Christ-Sauveur lorsque celle-ci fut détruite par les Bolcheviks en 1931. Situé en face du Kremlin, le bâtiment devait y être relié par une voie spéciale. Le projet de Le Corbusier, qui a participé au concours pour la construction, n’aura finalement pas été retenu, sans doute parce que contrairement aux projets de ses concurrents soviétiques, aucune statue de Lénine n’y figurait. Ceci dit, l’architecte français projetait en revanche la construction d’un pont en arc suspendu. Aujourd’hui, le pont Pittoresque, au nord-ouest de Moscou, présente une ressemblance étroite avec l’oeuvre de l’architecte français. 

 

Le corbusionisme a fortement influencé l’architecture soviétique. Au début des années 1930, nombre de maison-communes ont été construites sur l’exemple de ses travaux (la maison Narkomfina, la maison-commune des étudiants de l’Institut de textile, etc.). Aujourd’hui, elles sont l'appât des touristes, et des étudiants de l’Institut de l’Architecture de Moscou, servant d’exemples vivants du constructivisme soviétique. Le Corbusier se disait fasciné par les idées du bolchevisme, qu’il interprétait comme « le plus grand enseignement, la plus grande entreprise », et dont il s’est inspiré.

 

L’exposition « Le Corbusier : le laboratoire secret, Art&Architecture » se déroulera jusqu’au 18 novembre 2012 au Musée des beaux-arts Pouchkine.

 

Avis d'expert


« Pourquoi une exposition Le Corbusier, si nous vivons au jour le jour Le Corbusier ? Cet homme a commencé ses constructions sous les auspices des fabricants de béton, a poursuivit avec des fabricants de panneaux, il a conçu les premiers modèles d’habitations fabriquées dans les usines, il a inventé les quartiers, a pensé ce qui devait être démoli dans le centre-ville historique et construit sur ces territoires vacants, avec l’aide des usines. Ses écrits étaient sophistiqués, voire raffinés, bien qu’un peu trop didactiques à mon sens. Il a dessiné, peint, a créé des mosaïques et conçu tapisseries des Gobelins, mobilier et vaisselle graphique. Il pouvait se montrer mystique et mystagogue, technocrate et bureaucrate, mais la ligne de force de son activité incroyablement intense réside dans la conception industrielle de ses habitats en béton aux formes uniques, par la suite exploitée par d’autres. 80% de ce qui occupe aujourd’hui le sol russe est, en réalité, l’oeuvre de Le Corbusier. Et il y a nous, à mi-chemin. »


(Extrait de l’article de Grigori Revzine, critique d’art et d'architecture, paru dans le journal Kommersant)

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